7 Incarnation de la délinquance : corps des garçons, sexualité et histoire de la justice des mineurs au Québec, au début du XXe siècle

Tamara Myers

Traduit de l’anglais par Hélène Paré[1]

La justice des mineurs est née dans les écoles de réforme du XIXe siècle et a mûri dans les cours des jeunes délinquants du XXe. Dès le début, la délinquance juvénile est un concept subjectif, qui fait appel à une conception du comportement fondée sur des représentations du genre, de la classe et de la race et qui ouvre la porte à la répression d’un large éventail d’actes liés à l’esprit rebelle de l’adolescence. L’orientation genrée du système de justice des mineurs a alors quelque chose de frappant, peut-être en raison du fait que les actes qui conduisent les garçons dans les établissements pour mineurs diffèrent systématiquement de ceux qui concernent les filles.

Pour les filles, ce qui caractérise leur expérience de la justice des mineurs à travers le temps et les différences culturelles, religieuses, ethniques et raciales est la surveillance et la répression de leur sexualité. Le lien étroit entre la déviance féminine et la sexualité est manifeste dans l’obsession de la cour des jeunes délinquants pour l’objectif de refréner le corps des filles. En résumé, les filles incarnent la délinquance. Les études sur le genre et la délinquance ont amplement démontré que les filles furent construites en tant que délinquantes sexuelles, ce qui détermina à l’excès leur expérience de la justice des mineurs[2]. Les recherches sur un des premiers tribunaux de la jeunesse au Canada, la cour des jeunes délinquants de Montréal, offrent de nombreux exemples concernant l’expérience de la sexualité – forcée ou consentante – vécue par les filles et le vaste projet de la cour en vue de la normaliser. Les filles qui se présentent à la cour y ont été amenées pour que l’on vérifie médicalement l’état de leur hymen. Dans les affaires où les rapports médicaux ont condamné les filles, celles-ci doivent se soumettre à des « confessionnaux sexuels » et se dénuder complètement devant les agents de probation et le juge. Un grand nombre de filles amenées devant la cour y ont nommé des garçons et raconté des aventures sexuelles dans des salles de danse, des cinémas, des voitures et dans leur voisinage. On pourrait très bien imaginer que les adolescents délinquants puissent également être interrogés au sujet de ce type de comportement, mais dans l’histoire de la justice des mineurs, la surveillance et la répression du corps et de la sexualité des garçons restent inexplorées.

On cherche en vain une mention de la sexualité des garçons – ou de la dimension corporelle de leur désignation comme délinquants – dans la documentation sur les garçons et la délinquance juvénile[3]. Cette absence s’explique en partie par le fait que les documents officiels des organismes de justice des mineurs, tout comme leurs rapports annuels, passent sous silence la question de la sexualité des garçons. De la même façon, les articles et reportages dans les journaux ont grandement négligé cet aspect de la vie des garçons et de leur délinquance. En fait, au début du XXe siècle, à Montréal, l’image publique du délinquant est délibérément construite pour attirer la pitié et la compassion de la collectivité et susciter des appuis en faveur de la nouvelle cour, une soi-disant agence de « protection » de l’enfance. Ainsi, les images de garçons délinquants ont tendance à mettre en évidence leur situation d’adolescents prépubères, asexués et négligés. Pourtant, l’inattention des historiens à l’égard de la sexualité des garçons au début de l’existence d’une justice des mineurs confirme-t-elle un silence dans les archives? Ou bien est-ce que le corps des garçons a tout simplement été occulté par l’évidence d’un corps féminin adolescent plus problématique et les hypothèses savantes sur ce dernier ?

Dans la présente étude, j’interroge les archives de la cour des jeunes délinquants de Montréal, qui m’ont fourni d’innombrables témoignages sur la sexualité des filles, et je pose une question : « Où sont les garçons? » J’ai trouvé un ensemble intéressant de preuves concernant la sexualité de ces derniers. Les enquêtes de la cour sur la sexualité des garçons ne sont pas quotidiennes, mais dès le début, dans les années 1910, leur corps devient un facteur dans les affaires de délinquance, lorsqu’il est associé à la violence et à ce que la cour considère comme de la « perversion », c’est-à-dire l’homosexualité. Cette approche a subsisté pendant tout le XXe siècle. Vers les années 1940, cependant, la cour se lance dans une surveillance plus vaste de la sexualité des garçons. De cette manière, la répression des « actes immoraux » des garçons, comme les qualifie la cour, rejoint bientôt la répression des filles, bien qu’elles soient différentes sous deux aspects importants : premièrement, l’immoralité des garçons fait l’objet d’enquêtes beaucoup moins poussées et, deuxièmement, ces enquêtes entraînent des conséquences très différentes. Alors que les filles sont incarcérées, les garçons sont renvoyés chez eux après avoir promis de s’améliorer.

Au début du XXe siècle, les autorités en matière de justice des mineurs s’attendent à ce que les garçons présentent une certaine mauvaise conduite. Elles la tolèrent et la considèrent comme normale lorsqu’elle confirme le comportement stéréotypé du garçon incorrigible – caractère récalcitrant à la maison, petits vols, chahut en public et même voies de fait mineures. Depuis le milieu du XIXe siècle, la délinquance des jeunes garçons de Montréal a animé les discussions entre politiciens, réformateurs municipaux et de la justice pénale, ainsi que dans les journaux, ce qui a entraîné l’adoption, en 1869, de lois provinciales concernant les écoles de réforme et les écoles d’industrie. À cette époque, les observateurs sociaux relient le « problème » du vagabondage et de l’indiscipline des garçons au fait qu’ils aient été abandonnés par leurs parents et leur famille ainsi qu’à leur manque d’éducation, justifiant ainsi des peines sévères dans des établissements de réforme où ils pourront acquérir un savoir rudimentaire et des habiletés industrielles[4]. Une longue tradition présentant les garçons délinquants comme étant plus « en danger » que dangereux a contribué à modeler l’éthique de la justice des mineurs qui prévaut à Montréal au moment de l’inauguration de la première cour des jeunes délinquants de la ville, en 1912. Le travail de ce tribunal porte alors principalement sur les comportements propres aux garçons qu’il est possible de traiter et sur la réhabilitation des garçons amenés devant le tribunal par leurs parents ou la police. Au tribunal, les agents de probation examinent les contextes social et familial de la délinquance et abordent, dans une moindre mesure, le sujet du corps des jeunes garçons. Bien que soucieux d’analyser les habitudes personnelles et la morale des garçons, les agents de probation limitent leurs questions sur le comportement sexuel aux pratiques masturbatoires. En présence de preuves de comportement sexuel violent ou d’homosexualité, les tabous sociaux, religieux et moraux incitent ces agents du tribunal à employer des euphémismes pour décrire le comportement en question.

Au cours des quatre premières décennies d’existence de la cour des jeunes délinquants de Montréal, l’attitude des agents de probation et des autres responsables de la justice des mineurs évolue, ce qui entraîne une prise en compte accrue du corps et de la sexualité des garçons. Au début des années 1940, la situation n’est plus la même, en raison de plusieurs facteurs importants liés à des transformations de l’adolescence vécue au Canada et au Québec. Comme leurs semblables américains, les adolescents canadiens ont embrassé durant l’entre-deux-guerres une culture de la jeunesse enracinée dans l’identification avec les pairs et les loisirs modernes. Parents alarmés et observateurs sociaux font des mises en garde, affirmant que ce changement culturel aura pour effet de relâcher les mœurs sexuelles chez les jeunes du pays. Par exemple, le milieu du travail social au Canada déclare que la désinvolture croissante des adolescents à l’égard de la sexualité est l’un des problèmes les plus pressants du moment[5]. Les sources de ces changements abondent, mais la plupart des observateurs, depuis les juges des cours de jeunes délinquants jusqu’aux travailleurs sociaux et aux membres du clergé catholique, identifient les films français et américains comme étant les principaux coupables et la cause première de la perte du sens de la modestie et de la décence chez les adolescents. Au Québec, le clergé catholique et les associations chrétiennes féminines s’emploient à renforcer les normes morales qui se relâchent dans la jeunesse ouvrière, victime des messages pernicieux des films étrangers[6].

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, l’attention sur les « mauvais » comportements de la jeunesse s’intensifie, alors qu’une crainte panique de la délinquance, provoquée par l’absence des parents, l’augmentation du taux de maladies vénériennes et l’inquiétude quant à l’avenir de la nation, amène les responsables de la cour des jeunes délinquants, les éducateurs et les dirigeants religieux à poser un regard plus conséquent sur le comportement des adolescents et poussent l’État et les organismes privés à réprimer la sexualité de manière plus vigoureuse. En 1942, s’efforçant de « protéger » la jeunesse de la province, le gouvernement du Québec hausse l’âge de la délinquance juvénile de 16 à 18 ans, ce qui a pour effet d’élargir la catégorie « juvénile ». Ce groupe de jeunes plus âgés apporte avec lui à la cour des jeunes délinquants une expérience plus étendue en matière de sexualité, ce qui oblige la cour à examiner de plus près son rôle de répression de l’« immoralité » de la culture de la jeunesse. L’escouade de la moralité juvénile de la cour des jeunes délinquants de Montréal, composée exclusivement de membres de la force policière de la ville, facilite la transition vers un examen plus approfondi de la vie sociale et sexuelle des adolescents. Durant les années 1940, non seulement ce tribunal poursuit les garçons manifestant une promiscuité sexuelle, mais on y juge de plus en plus leur comportement du point de vue des diagnostics du comportement adolescent posés par des experts comparaissant devant la cour. À l’époque de la Deuxième Guerre mondiale, la cour des jeunes délinquants de Montréal adopte enfin l’administration très répandue des tests psychologiques et les théories du développement de l’enfant qui reconnaissent que les adolescents pubères entrent dans une période normale, quoique dangereuse, où une maîtrise de soi rigide est impérative et où la surveillance et la réglementation sont cruciales.

Alors que l’histoire de la justice des mineurs a mis du temps à se pencher sur le corps des délinquants, des disciplines connexes, comme les études sur la masculinité, l’histoire de la sexualité et l’éducation, ont ouvert la porte à la possibilité que la sexualité des garçons ait une histoire, fasse partie de leur identité et joue un rôle à divers moments de panique devant la délinquance. Les études en histoire de l’éducation nous renseignent sur les mouvements en faveur de la sensibilisation à l’hygiène sociale ou de l’éducation sexuelle au lendemain de la Première Guerre mondiale. Ces mouvements ont véhiculé la croyance que les garçons devaient être guidés à travers la puberté et au-delà des menaces de la dépravation sexuelle, des maladies et de la dégénérescence raciale, souligne Alexandra Lord[7]. Les études sur la masculinité présentent aussi l’utilité de fournir un contexte coïncidant avec l’époque de la cour des jeunes délinquants où se sont déroulées de vastes campagnes pour réguler la masculinité et le corps des adolescents, notamment la sexualité, remarque Angus McLaren[8]. L’ouvrage de Steven Maynard nous apprend en outre que le système de justice criminelle s’est employé à réguler les espaces et le corps des hommes gais[9]. L’étude de Cynthia Comacchio sur l’adolescence et les loisirs au cours de l’entre-deux-guerres décrit une époque où on réprouve les jeunes qui participent aux loisirs commerciaux urbains et « dansent jusqu’à la perdition », selon les paroles d’un de leurs détracteurs. Elle donne à penser que les inquiétudes au sujet du problème de la jeunesse, au cours des années 1920, relient le crime et la déviance à la licence sexuelle. Un bon encadrement des garçons signifie alors canaliser leur énergie dans diverses activités, de l’entraînement militaire aux loisirs sains et de l’éducation sexuelle jusqu’au YMCA, et bien souvent dans des activités où des hommes pouvaient servir de modèles aux jeunes garçons[10]. Mary Louise Adams situe le problème de la sexualisation des jeunes après la Deuxième Guerre mondiale et affirme que le développement d’une identité hétérosexuelle convenable devient crucial au cours de l’adolescence. Elle écrit : « Identité [en tant que jeune] et identité sexuelle devinrent une paire inséparable[11]. » Gaston Desjardins définit à son tour l’après-guerre comme une période chargée de messages normatifs sur la sexualité des garçons au Québec[12]. Ainsi, au Canada, la période allant des années 1920 aux années 1950 fournit des moments où les garçons, la sexualité et la délinquance juvénile sont associés dans la panique morale devant le comportement de la jeunesse.

Dans les études sur la justice des mineurs, c’est dans les limites des écoles de réforme que se trouve la répression de la sexualité des garçons. Les maisons de correction britanniques pour garçons que Linda Mahood a examinées dans le cadre de son étude sur la répression du genre, de la classe et de la famille donnent à penser que la surveillance étroite des garçons – la nécessité de transmettre une éthique de la maîtrise de soi – signifiait que la masturbation et l’activité homosexuelle étaient suivies de près et punies[13]. De la même façon, Bryan Hogeveen, dans sa thèse de doctorat, a soutenu qu’en Ontario, au début du XXe siècle, « les garçons de la classe ouvrière, contrairement aux filles, étaient rarement arrêtés pour avoir violé les mœurs sexuelles », par contre, ils étaient brutalisés pour avoir fait preuve de manque de maîtrise de soi en matière de sexualité durant leur incarcération[14].

Des documents d’archives de la cour des jeunes délinquants de Montréal et datant de la première moitié du XXe siècle – essentiellement des affaires de conduite immorale – décrivent le délinquant typique et la représentation discursive de la délinquance masculine, ainsi que l’accent mis par la cour sur la sexualité. Il semble clair qu’à compter des années 1940, le corps et la sexualité des garçons sont indéniablement intégrés dans l’approche de leur méchanceté par le système de justice des mineurs. Les dossiers de la cour permettent non seulement de voir comment un organisme de réglementation construit et refrène la sexualité, mais aussi d’apercevoir les contours de la sexualité : où et quand les garçons délinquants s’adonnent à une activité hétérosexuelle ou homosexuelle, où ils recherchent le plaisir et quand ils se servent de leur corps pour affirmer leur pouvoir par l’émergence d’un jargon sexualisé et par l’action.

La justice des mineurs et la construction de la notion de méchanceté des garçons

Le système de justice des mineurs au Canada, comme ailleurs, est conçu à l’origine comme une réponse à la délinquance des garçons de la classe ouvrière, en particulier celle des laissés pour compte de la vie urbaine[15]. En réalité, au XIXe siècle, la culture masculine des rues devient synonyme de délinquance juvénile[16]. Une combinaison des principales caractéristiques de la modernité industrielle – depuis la pauvreté urbaine jusqu’aux cinémas et au déclin du pouvoir de l’Église catholique – entraîne l’augmentation de la présence des garçons dans l’espace public. La ville moderne attire les garçons dans les rues comme vendeurs, camelots, livreurs, vagabonds et voleurs. Cette croissance de la présence de mineurs dans l’espace public entraîne des interventions sur plusieurs fronts, dans le but d’améliorer la vie des enfants et d’y mettre de l’ordre[17]. Cette morale de la protection des enfants plonge ses racines dans la conviction que la société urbaine et industrielle a rendu les enfants à la fois vulnérables et vicieux, ce qui exige des solutions ambitieuses de la part des organismes de bienfaisance et de l’État. Par exemple, la présence des bandes de garçons désœuvrés du milieu ouvrier dans les rues de Montréal – ville la plus populeuse du Québec – contribue à l’élan pour l’établissement d’écoles en vertu de la Loi sur l’éducation de 1846. Un des autres aspects de cette réaction est la création du système de justice des mineurs. Dans le cadre de ce système, le premier geste est de déplacer les jeunes des prisons locales vers des institutions de réforme. En 1869, la province de Québec adopte une législation autorisant l’établissement d’écoles de réforme pour les enfants de moins de 16 ans. Au cours de la décennie suivante, deux écoles de réforme pour les jeunes délinquants, une pour les garçons, l’autre pour les filles, ouvrent leurs portes à Montréal et toutes deux sont administrées par des communautés religieuses catholiques.

Une deuxième phase du système de justice des mineurs se met en place au début du XXe siècle, avec une loi fédérale sur les jeunes délinquants. Cette loi de 1908 institue la nouvelle cour des jeunes délinquants, qui se substitue à la cour criminelle tout en devenant un tribunal pour enfants victimes de négligence. En vertu de cette loi, les délinquants font partie d’une nouvelle catégorie de jeunes qui sont traduits en justice par le système des cours de jeunes délinquants pour des difficultés de comportement, souvent à la requête de leurs parents[18]. Cette loi ainsi que les cours des jeunes délinquants instituées par des municipalités facilitent la régulation de la classe ouvrière par l’État, non seulement pour les enfants âgés de moins de 16 ans en conflit avec la loi, mais aussi pour les adultes jugés négligents dans leurs devoirs parentaux. Les principes centraux de ce nouveau tribunal sont le rejet de l’idée que les enfants commettent des crimes et la substitution de la punition par un « traitement » éclairé. Comme leurs équivalents américains, ces tribunaux canadiens indiquent une évolution vers un système plus centré sur l’enfant qui prône la supériorité de la position morale de la classe moyenne.

Au cours des années 1910, la cour des jeunes délinquants de Montréal accuse des milliers de garçons d’une multitude d’actes de délinquance. Contrairement à d’autres juridictions, ce tribunal ne se préoccupe pas tellement de l’absentéisme scolaire. Au Québec, la loi sur la fréquentation scolaire obligatoire sera adoptée très tardivement, en 1943. Cependant, la cour s’intéresse à ce que les garçons conservent leur emploi, obéissent à leurs parents et ne courent pas les rues, particulièrement la nuit. La cour des jeunes délinquants cible très majoritairement les garçons de la classe ouvrière, non seulement les jeunes Canadiens français ou Irlandais catholiques, mais aussi les anglo-protestants et, en nombre croissant, les jeunes immigrants venus de l’Europe du Sud et de l’Est, y compris les jeunes juifs. Les garçons catholiques forment invariablement la majorité, comptant pour 70 à 80% de toutes les affaires[19]. Au cours des dernières années de la décennie, plus de mille causes sont traitées de façon formelle chaque année par le tribunal de Montréal, et plus de 80% de ces affaires impliquent des garçons. À la fin des années 1930, le nombre de causes impliquant des garçons s’élève à plus de deux mille par année et cette croissance se poursuit durant la Deuxième Guerre mondiale[20]. En général, les garçons sont poursuivis en justice pour vol, pour avoir troublé la paix, pour incorrigibilité ou vagabondage[21]. Les garçons volent leur mère, des boutiques du quartier et de grandes entreprises anonymes comme le chemin de fer du Canadien Pacifique. Ils volent du charbon, de la nourriture, des cigarettes, des bicyclettes, des chevaux et de l’argent. Les garçons vagabonds sont habituellement surpris à traîner, la nuit, dans des lieux publics que les Montréalais « respectables » estiment dangereux et la cour juge la présence de garçons dans ces lieux contraire au développement du civisme. L’incorrigibilité, chez les garçons, est habituellement décrite comme un comportement incontrôlable : refuser de travailler ou d’aller à l’école, désobéir aux parents ou faire du tapage après une projection cinématographique. Les accusations qui amènent des garçons devant la cour diffèrent considérablement de celles qui entraînent la comparution de filles. Par exemple, sur un total de cent quatre-vingt-une affaires impliquant des filles et jugées en 1918, la majorité tourne autour de l’incorrigibilité, de la désertion et du vagabondage, et presque toutes portent à croire qu’on reproche à ces filles d’être des délinquantes sexuelles[22].

À l’époque où la cour des jeunes délinquants est instituée, la justice des mineurs est largement acclamée pour son potentiel de prévention et de protection. Les réformateurs partisans du bien-être de l’enfance soutiennent que la décriminalisation des délits commis par les garçons garantit la sauvegarde de l’innocence de l’enfance. Dans les journaux, les responsables de la cour des jeunes délinquants se présentent comme une force charitable et des gens authentiquement inquiets pour les jeunes délinquants. Les sauveteurs des enfants de Montréal parlent de la « particularité du tempérament des garçons » et de la nécessité de « parvenir à la source cachée de cette nature[23] ». En raison d’un manque de compréhension, la méchanceté des garçons fait en sorte que « certains des meilleurs garçons sont dans des écoles de réforme, parce qu’ils possédaient trop d’esprits animaux ». Le personnel de la cour des jeunes délinquants et du système de probation affirme qu’en réduisant les crimes commis par les garçons à de « mauvais coups et des escapades », il a la capacité de corriger les familles et de ramener les garçons dans le droit chemin vers une enfance « convenable ».

Comme moyen d’éducation de la population et de promotion de la nouvelle cour des jeunes délinquants, on invite périodiquement la presse locale à être témoin des procédures quotidiennes et à en faire rapport. C’est avec exubérance que les journaux de Montréal écrivent sur François-Xavier Choquet (le « juge des enfants ») et son personnel d’agents de probation maternels. Tout au long des années 1910, les journaux présentent dans leurs articles la description en apparence immuable d’un jeune délinquant sans complication : préadolescent, pauvre (comme l’indiquent ses vêtements élimés) et ne présentant aucun signe visible d’appartenance à une nation étrangère; il s’agit donc de garçons « canadiens » (francophones et catholiques) ou « Canadian » (anglophones et protestants ou catholiques. En caricaturant les reportages mélodramatiques, les journalistes inventent le mauvais garçon : prépubère au « visage angélique », il est « mi-honteux, mi-provocateur » et il « fond en larmes devant le juge[24] ». La presse souligne l’innocence et la jeunesse des garçons et met la responsabilité de leurs activités délinquantes sur le dos de parents négligents et sur l’attrait des rues. Les garçons négligés par leurs parents sont dévoyés par les « mauvais compagnons » qu’ils rencontrent dans la rue[25]. Même les garçons arrêtés pour maniement d’armes à feu sont présentés comme étant simplement en train de jouer les héros du Wild West et d’imiter ce qu’ils ont vu dans les films[26].

Cette approche genrée et plutôt sympathique à l’égard des délinquants provient de gens qui ont avantage à dépeindre leur travail à la cour comme étant dans le meilleur intérêt de l’enfant et de la collectivité. Tout en visant à inspirer la confiance dans ce « poste de sauvetage d’enfants », les juges et les agents de probation présentent en outre clairement la cause principale de la délinquance comme étant les parents de la classe ouvrière et leur incapacité ou leur refus de former et de surveiller leurs propres enfants[27]. Rose Henderson, l’une des premières agentes de probation de Montréal, soutient que les particularités de la vie ouvrière – pauvreté, désertion, manque d’éducation – causent la délinquance. Elle voit donc son rôle comme un élément essentiel du système de bien-être social de la ville[28]. Selon cette employée de la cour des jeunes délinquants, le problème des garçons de la classe ouvrière tient à leur indolence et à l’incapacité des parents à la corriger. Le juge François-Xavier Choquet, qui préside la cour des jeunes délinquants de Montréal pendant sa première décennie, affirme que la délinquance commence dans les quartiers immigrants surpeuplés de la ville, où des parents « ignorants » ne comprennent pas « la langue et les lois de leur nouveau pays »[29]. En justifiant et en faisant la promotion de sa façon d’aborder la délinquance dans le nouveau tribunal, Choquet promet de transmettre la sagesse et un guide moral aux enfants de la classe ouvrière indisciplinée et « étrangère ». Ses affirmations sont au mieux impressionnistes, car, en réalité, la majorité des garçons qui se présentent devant son tribunal sont nés au Québec.

Dans leur enquête, les agents de probation ne s’en tiennent pas toujours à l’examen de l’offense ou du délit. Dans bien des cas, ils dressent la liste des habitudes des garçons et ajoutent des commentaires d’ordre général sur leur vie. Cette mise en contexte du délit, ou peut-être sa banalisation, forme la pierre angulaire de la justice des jeunes du XXe siècle et permet au tribunal de proposer un jugement moral, non seulement sur le comportement criminel des garçons, mais aussi sur leur situation. Certaines propensions sociales des adolescents sont toujours notées : fumer, blasphémer, aller au cinéma et traîner ou courir dans les rues. Dans les années 1910, le juge Choquet déclare que 95% des garçons qu’on lui amène fument des cigarettes, « et deviennent des épaves morales et mentales par suite de cet usage[30] ». La Woman’s Christian Temperance Union, active dans les écoles protestantes de la ville, établit un lien entre l’usage de la cigarette chez les garçons et l’abus d’alcool chez les adultes. Le juge Choquet se joint aussi au concert des voix qui, au Québec, critiquent l’industrie des « vues animées ». Choquet soutient qu’on devrait réduire au minimum les « drames à deux sous » du cinéma et que le fait de romancer les crimes comme le vol expose les enfants à la tentation. Contrairement à l’Église catholique, qui veut faire bannir les films américains et français à cause de leur message moral pernicieux, Choquet fait valoir leur potentiel éducatif, mais il demande que l’on respecte des exigences strictes en matière d’âge minimum.

Le besoin de sauver les délinquants juvéniles d’une enfance gâchée galvanise le personnel de la cour. La Loi concernant les jeunes délinquants et les lois provinciales sur la délinquance juvénile permettent un vaste contrôle des garçons par les policiers dans les milieux urbains, en particulier de ceux qui se rassemblent autour des lieux publics, fument des cigarettes et agressent des passants. La cour des jeunes délinquants, tout comme l’école de réforme qui l’a précédée, a été conçue comme un remède contre la vie « dans la rue », qui se nourrit de jeunes laissés pour compte qui ne sont ni à l’école ni au travail, commettent de petits délits et se destinent à une vie de crime. Owen Dawson écrit en 1916 que la plupart des délinquants disent n’être occupés ni à un emploi ni à l’école[31]. Dawson affirme que « la vie libre et facile des rues n’a pas tendance à inspirer le garçon et bon nombre d’entre eux dérivent vers la passivité », et il ajoute en conclusion que « les jeunes inactifs » s’engagent dans « les voies du mal »[32]. Dawson comme Choquet déplorent que l’inaction soit le signe d’une vie de dissipation qui met en péril le potentiel des garçons en tant que futurs citoyens[33].

Ce problème concernant les garçons comporte un élément d’urgence, car il laisse prévoir une vie adulte improductive et criminelle. Comme les enfants et les jeunes sont de plus en plus considérés comme des actifs de l’État et des citoyens de l’avenir, il est impératif que le système de justice des jeunes remette ces délinquants sur le droit chemin. Même si la justice des mineurs renforce une catégorie de délinquance fondée sur l’âge chronologique, à titre de futurs citoyens, les garçons du Québec doivent apprendre le respect de l’autorité familiale et civile, de la propriété privée et des normes de la décence morale. Les principaux groupes religieux et culturels (franco-catholiques, anglo-protestants et juifs) jugent particulièrement désastreuse la perte de leurs membres au profit de la délinquance. L’Église catholique, par exemple, représente une force religieuse, sociale et politique considérable dans la province à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Le personnel de la cour des jeunes délinquants, catholiques pour la plupart, déplore aussi les risques que les garçons soient perdus pour la paroisse et la famille sous l’autorité d’un père, notant que tandis que les garçons s’éloignent de la paroisse, ils refusent aussi d’assister à la messe du dimanche et d’obéir à leurs parents. Les employés du tribunal s’inquiètent des ramifications de cette conduite pour la survie de la « race » canadienne-française[34].

La sexualité et la cour des jeunes délinquants

Alors qu’il est clair, d’après les dossiers de la cour des jeunes délinquants, que la tendance des jeunes garçons de la classe ouvrière à traîner dans les rues à toute heure du jour et de la nuit incite la cour à les discipliner, les agentes et agents de probation décrivent ce comportement en termes moraux, mais ne posent jamais de questions sur l’aspect sexuel de ce comportement et, en règle générale, ils ne le sexualisent jamais. Ce silence est important lorsqu’on le replace dans le contexte de l’obsession du début du XXe siècle pour la connaissance de ce qui se passe sur le plan sexuel et pour sa réglementation. Les historiens de la sexualité ont fait remarquer que l’inquiétude au sujet de la sexualité des enfants avait été un des aspects de la préoccupation de la société victorienne concernant la dégénérescence nationale, une préoccupation centrée sur les enfants de la classe ouvrière et exprimée en termes généraux et à propos d’activités sexuelles particulières. Les filles suscitaient énormément d’attention parce que la sexualité précoce était perçue comme étant au cœur de la montée en flèche des taux de prostitution de mineures. Les garçons, pour leur part, attiraient l’attention parce que leur manque de contrôle de soi sur le plan sexuel – la preuve de cela étant l’habitude de la masturbation – pouvait les entraîner sur la pente de l’homosexualité. On contraint alors cette menace de diverses façons, dont des manuels de conseils, des avertissements et même la circoncision[35]. Au début du XXe siècle, avec la découverte de l’adolescence et les recherches dans ce domaine, la masturbation chez les garçons a été « normalisée », et on relie plus étroitement la sexualité problématique à l’activité homosexuelle, qui continue d’être criminalisée et pathologisée. Ainsi, lorsque les tribunaux de jeunes délinquants ouvrent leurs portes, la sexualité précoce des filles demeure un problème général, mais la « déviance » sexuelle des garçons n’est interprétée que de manière restrictive. Bref, les sexualités délinquantes sont alors genrées et envisagées inégalement par le système de justice des mineurs.

Dans la décennie au cours de laquelle la cour des jeunes délinquants ouvre ses portes, les campagnes en faveur de la réforme sociale et la recherche de « l’ordre sur le plan sexuel, dans la ville » créent les conditions propices à l’émergence de la délinquance féminine[36]. Comme l’a relevé Andrée Lévesque, la cible du mouvement de pureté sociale est alors la prostitution dans le tristement célèbre quartier du red-light de Montréal[37]. Le clergé et les médecins du Québec pointent du doigt l’ubiquité de « la luxure, la délectation et l’impudicité » dans la société montréalaise et se montrent particulièrement intéressés à garder les jeunes femmes sous leur pouvoir[38]. La perte de la virginité entraîne la ruine de réputations, l’ostracisme et, au bout du compte, l’impossibilité pour les filles d’accomplir leur « véritable » destin d’épouses et de mères[39]. Les campagnes vigoureuses pour faire fermer les bordels et mettre fin à la prostitution commerciale s’accompagnent d’un appel au sauvetage de la jeunesse féminine. Malgré cela, elles ont un effet inattendu sur les adolescentes : les recherches « scientifiques » des réformateurs, l’utilisation de la législation et la promotion de femmes à des postes de policière et de travailleuse sociale ont pour effet de construire socialement la délinquante. Dans un climat d’inquiétude croissante à propos du vice et des maladies vénériennes, on découvre la délinquance sexuelle dans les rues et les parcs, les salles de cinéma et les restaurants, et sa définition s’élargit au-delà de la prostitution pour inclure la rencontre amoureuse, la balade en voiture volée et la danse. On élargit aussi les tentatives pour contrôler cette délinquance de manière à inclure le travail de prévention et de protection auprès des adolescents.

Alors que les garçons délinquants sont ciblés pour leur potentiel de bons citoyens, ce qui signifie, selon le cas, des travailleurs respectables, de bons membres de familles catholiques et des sujets obéissants, le cas des filles est plus problématique[40]. La protection et l’encadrement des filles, ainsi que leur participation en tant que membres de la collectivité et de la nation découle tout particulièrement de leur potentiel de mères. Durant l’entre-deux-guerres, les filles canadiennes-françaises du Québec sont identifiées comme maillon faible dans le plan pour « la survivance de la race ». Les « jeunes filles modernes » incarnent la délinquance dès qu’elles arrivent sur le marché, font sentir leur présence dans les lieux publics du centre-ville, « fox-trottent » pendant la fin de semaine, se nourrissent non de la cuisine de leur mère, mais de la nourriture des « restaurants ethniques » et adoptent une attitude moderne qui s’exprime par leur sexualité. Tandis que les adolescentes fuient le modèle de passivité féminine représenté par leurs mères, les nationalistes canadiens-français orchestrent une campagne pour les ramener à leur position de classe et de genre, subordonnée au sein de la famille patriarcale et de la « nation ». À compter des années 1910 et jusqu’à la fin des années 1940, le tribunal prescrit des examens « médicaux » pour les filles, dans le cadre des enquêtes sur les antécédents, dans les affaires impliquant de jeunes délinquantes. Chaque jeune fille est examinée par un médecin masculin qui vérifie la présence d’un hymen et l’interroge sur l’étendue de son expérience sexuelle[41]. Un verdict de « virginité » peut sans aucun doute faciliter la comparution devant le juge, mais la plupart des jeunes filles sont en fait cataloguées parmi les filles « déflorées », ce qui équivaut à « débauchées ». Dans ces circonstances, les jeunes filles sont obligées de défendre leur intégrité en cour contre la preuve « scientifique » de leur délinquance sexuelle – qui s’appuie sur un hymen incomplet ou l’absence d’hymen. L’agent de probation presse ensuite ces filles de révéler les noms, lieux et dates se rapportant à leurs imprudences sexuelles. Cette priorité accordée à la relation entre sexualité et délinquance est tout à fait genrée, puisque les garçons délinquants sont très rarement soumis au même type d’interrogatoire sexuel et d’examen physique invasif. En 1924, par exemple, la cour ordonne deux cent quatre-vingt-quatre examens médicaux, dont deux cent soixante-dix-huit pour des filles et seulement six pour des garçons, ce qui démontre que le « confessionnal sexuel » est construit presque uniquement pour les filles[42]. Toutefois, le dossier de chaque fille peut fort bien contenir des noms de garçons ainsi que des renseignements sur l’activité sexuelle de ceux-ci, de sorte que les responsables du tribunal peuvent agir en conséquence s’ils veulent contrôler la sexualité des mineurs chez les garçons comme chez les filles.

Que pouvons-nous tirer de ce premier coup d’œil au refus de la cour des jeunes délinquants de surveiller l’expérience hétérosexuelle des garçons? Une des façons de comprendre l’orientation du tribunal est de la voir comme s’inscrivant dans le droit fil des idées et des politiques du XIXe siècle sur la protection de l’enfance et de la considérer en fonction d’un sens civique différencié selon le sexe. Comme Susan Houston l’a soutenu au sujet du problème de la délinquance à Toronto au XIXe siècle, la culture de la rue à laquelle participent les garçons alarme la société victorienne parce que ces jeunes « subsistent en marge de l’entreprise capitaliste » et résistent à l’acquisition de l’éthique du travail exigée[43]. L’étude de Linda Mahood sur les écoles industrielles britanniques évoque aussi cette perspective : « Le jeune vendeur ambulant indiscipliné et inexpérimenté était brandi comme l’antithèse de l’ouvrier qualifié discipliné[44] ». Elle signale également que les solutions à la sexualité adolescente sont alors différentes selon le sexe. Dans d’autres pays, au XIXe siècle, les solutions pour contrôler la sexualité ont pour effet d’emprisonner les filles pour les empêcher de devenir des prostituées, tandis que les garçons sont soumis à des techniques de socialisation visant à leur faire dépenser leur excès d’énergie et à produire des corps dotés de maîtrise de soi, notamment le sport, mais aussi le scoutisme, l’entraînement militaire et l’éducation à l’hygiène sociale[45]. De la même façon, à Montréal, le juge Choquet et l’agente de probation Rose Henderson préconisent que l’on ajoute l’hygiène sexuelle aux programmes scolaires afin de remédier au problème de la délinquance, proposition qui sera froidement accueillie par le plus grand organisme scolaire, la Commission des écoles catholiques de Montréal[46]. La préoccupation constante concernant les rôles appropriés et genrés des jeunes de la classe ouvrière – les garçons en tant que futurs travailleurs et citoyens et les filles en tant qu’épouses et mères – fait en sorte que le système de justice des jeunes demeure obsédé par ce qui fait obstacle au respect de ces normes. Dans le cas des garçons, cette obsession signifie qu’il n’est important de corriger leur sexualité que si elle s’écarte de l’hétérosexualité et, dans le cas des filles, l’insistance sur la protection de leur avenir reproductif signifie que même leur hétérosexualité précoce est abordée sévèrement. D’après les interventions de la cour des jeunes délinquants, il apparaît que les filles et leurs familles portent l’entière responsabilité d’une vertu compromise. Le corps et la sexualité des garçons, par conséquent, sont beaucoup plus visibles dans les affaires de délinquance sexuelle concernant des filles que dans la majorité des affaires impliquant des garçons.

Le corps des garçons, la sexualité et la cour des jeunes délinquants de Montréal

Comment la cour des jeunes délinquants, ses juges et ses agents de probation conçoivent-ils le corps des garçons et leur sexualité? Au début, le corps des garçons ne fait pas l’objet d’enquêtes, l’histoire sexuelle de chacun n’étant pas prise en compte. Ce n’est que de manière très circonscrite que l’activité sexuelle des garçons est mise en lumière. On reconnaît que la masturbation est normale à leur âge et les agents de probation de la cour des jeunes délinquants de Montréal présument que les adolescents ont l’habitude de se masturber, de sorte qu’ils en font rarement la remarque[47]. En revanche, le personnel du tribunal trouve beaucoup plus alarmant le comportement homosexuel ou incestueux, il le signale donc de façon plus détaillée dans le dossier historique. En somme, la cour élabore une dichotomie pour y classer les garçons : victime et prédateur. Les « victimes » sont les garçons surpris en train de se livrer à des actes homosexuels (pouvant néanmoins varier de « consentis » à « forcés ») et sont décrites de manière typique comme étant jeunes, innocentes et hostiles à ces activités sexuelles. Les « prédateurs » sont les garçons accusés d’inceste.

Certaines affaires traitées par la cour des jeunes délinquants de Montréal donnent à penser que les garçons ont tout autant besoin que les filles de protection contre les hommes mondains et dépravés qui guettent leur passage. Comme je l’ai soutenu ailleurs, les filles qui tentent de fuir leurs parents et les autorités savent comment utiliser la géographie de la ville à leur avantage, en se glissant anonymement dans la vaste zone à l’est du centre-ville, connue sous le nom de quartier du red-light[48]. Mais alors que la réputation des filles peut être stigmatisée du seul fait qu’elles se trouvent dans ce quartier à la nuit tombée, les garçons semblent jouir d’une plus grande liberté. Parfois, les agents de probation se disent inquiets de voir les garçons capituler devant les tentations de la ville. Par exemple, le cas de William S., fils d’un journalier, tourne autour de « sa passivité et [de] son relâchement » et de la détermination de l’agent de probation à l’empêcher de céder aux « tentations de la ville ». Les activités de William – « faire des bêtises » avec une bande de jeunes durs à cuire, rester dehors tard et parfois toute la nuit – sont explicitement non sexualisées, mais le discours sur la tentation est calqué sur les affaires impliquant des filles, dont les activités sont sexualisées[49].

Lorsque les garçons sont surpris à avoir des relations homosexuelles ou confessaient en avoir eu, la cour s’efforce de faire d’eux les victimes d’hommes adultes, minimisant souvent l’importance de la sexualité des garçons. Ils jouent d’ailleurs un rôle essentiel dans ce processus, en offrant des « récits de pardon » pour excuser des comportements que les agents de la cour et les policiers trouvent répugnants et, réunissent également des preuves pour démontrer que les grandes structures qui influencent leur vie sont à blâmer pour leurs actes délinquants[50]. Les garçons fournissent aux agents de probation des fragments de leur vie familiale, en y incluant souvent des histoires de foyer brisé et de parents ou de gardiens négligents, qui servent de mise en garde contre toutes les conséquences d’une vie familiale inadéquate et instable. Tel est le cas de Théodore F., jeune Canadien français âgé de 15 ans qui est arrêté durant l’été 1918 dans le square Viger, lieu de rassemblement populaire du centre-ville de Montréal[51]. Il est accusé de vagabondage, faute de pouvoir expliquer convenablement pourquoi il se trouvait sur la place tard le soir. Il s’agit d’une histoire de pauvreté et de négligence : sa mère, devenue veuve, s’est remariée avec un homme qui ne s’est pas occupé de Théodore, ce qui a provoqué une série de tentatives de placer l’adolescent loin de sa maison. D’abord placé chez un homme qui travaille sur les tramways, il est ensuite envoyé dans une maison de pension tenue par une dame Côté. Comme personne ne s’occupait véritablement de lui, il est facilement tombé dans la « mauvaise » bande. Un soir de juillet, au square Viger, il a rencontré un homme avec lequel il a bu de la bière et qu’il a ensuite suivi chez lui. Selon le garçon, cet « ami » a tenté de commettre un acte indécent sur lui, mais il a refusé et est retourné au square. Il y est arrivé très tard et la descente policière a entraîné son arrestation et sa comparution en cour des jeunes délinquants. Le fait que Théodore ait vécu de la négligence maternelle et sa déclaration selon laquelle il a réussi à repousser des avances homosexuelles montrent qu’il s’en remet à un modèle de victimisation et d’innocence qui cadre parfaitement avec les idées préconçues des agents de la cour.

Le dossier de Thomas D. comporte des éléments semblables, bien que le garçon ait confessé avoir fait « des choses révoltantes que même les animaux ne font pas[52] ». Au cours des mois précédant sa comparution, sa mère est morte, une période « d’instabilité » a suivi et Thomas a été envoyé chez sa tante. Ce jeune Canadien français âgé de 13 ans s’est enfui et n’a été retrouvé que trois semaines plus tard. Selon l’histoire qu’il raconte à l’agent de probation, il a rencontré un soldat arrivé du front depuis peu et il a habité avec lui. Le soldat était marié et prétendait que sa femme était en Angleterre. Vivant au jour le jour, le soldat et le garçon ont volé ce qu’ils ont pu pour survivre. Lorsque Thomas est arrêté, l’histoire de leur relation est révélée dans le bureau privé de l’agent de probation de la cour des jeunes délinquants. Contrairement au cas des filles, où l’agent de probation et les médecins examinateurs prennent soin de décrire en détail les relations sexuelles, l’agent de probation dans cette affaire décrit les relations en termes juridiques. En résumé, le soldat est coupable de « grossière indécence ». Quant à Thomas, souvent désigné comme étant « le jeune », il est facilement décrit comme une victime du soldat « brutal » et « lubrique », qui est tenu pour responsable de la situation. L’aspect protecteur de la justice des mineurs est clair dans cette affaire. Le moindre geste que Thomas pourrait avoir posé de sa propre initiative semble s’être évaporé dans ce processus de justice des mineurs et il recevra une sentence relativement courte d’un mois d’école de réforme, suivie d’une période de probation.

Dans la cause du soldat « lubrique » et de Thomas D., rien n’indique que ce dernier, dans son témoignage, se plaint des gestes du soldat. Pourtant, la répulsion de l’agent de probation n’est pas le moindrement dissimulée et il est vraisemblable que Thomas reçoit clairement le message que le rôle qu’il doit jouer est celui d’une jeune victime. Les années 1910 coïncident avec l’augmentation des mesures gouvernementales contre l’homosexualité au Canada. La police utilise une loi de 1890 concernant la « grossière indécence » comme arme contre les comportements homosexuels, comme cela a été fait contre le soldat. Mal définie, cette loi est utilisée pour réprimer chez les hommes homosexuels toute une série de comportements pouvant ne serait-ce qu’évoquer l’intimité physique[53]. En vertu du Code criminel du Canada, les hommes accusés d’infraction homosexuelle sont dirigés vers des médecins pour subir un examen physique (recherche de preuves de pénétration) et, dans les années 1910, les tribunaux commencent à diriger les inculpés vers des psychiatres[54]. En outre, les escouades de la moralité ciblent les lieux de rencontres homosexuelles bien connus, où des hommes consentants sont arrêtés sous prétexte de comportements sexuels visés par les lois sur la grossière indécence[55]. Dans le contexte de l’escalade de la surveillance et de la criminalisation des hommes homosexuels, la cour des jeunes délinquants fait des garçons adolescents les victimes d’hommes pervertis et se définit comme une cour de protection.

Un scandale, qui ébranle la maison de détention de la cour des jeunes délinquants en 1916, donne à voir la détermination du système de justice des mineurs à protéger les garçons par ailleurs délinquants contre les prédateurs sexuels. Dans cette affaire, deux frères âgés de 10 et 13 ans accusent un surveillant de la maison de détention « d’actes immoraux » à leur endroit. Située aux étages supérieurs de la cour des jeunes délinquants, la maison de détention est utilisée pour détenir les garçons et les filles pendant que les agents de probation font leur enquête. Les deux frères sont arrivés à la maison de détention à la mi-novembre après avoir comparu devant le juge Choquet pour vol. Leur père s’était précédemment adressé au pasteur de son église (anglicane) à propos de la mauvaise conduite des garçons et de leur envoi à la Shawbridge Boys’ Farm (une école de réforme pour garçons protestants) pour une période de discipline. Le pasteur lui a conseillé de consulter la cour des jeunes délinquants. Le juge Choquet envoie alors les garçons à la maison de détention de la cour, pour une semaine, pendant que l’agent de probation enquête sur les accusations de vol et sur la vie familiale des garçons. Il arrive souvent que le juge utilise la détention à court terme pour mettre en garde les garçons, après quoi il les renvoie à la maison en liberté surveillée. Une bonne vie de famille et un vol mineur font en sorte que ces garçons ne seront jamais envoyés à l’école de réforme de Shawbridge. À leur retour à la maison, cependant, leur mère les entend par hasard discuter des activités « immorales » qui ont eu lieu pendant leur incarcération. Mme M. en parle à son mari qui en parle au pasteur, qui communique alors avec le greffier de la cour des jeunes délinquants, qui à son tour se met en contact avec le shérif de la ville, qui réclame alors une enquête du bureau du procureur général du Québec. Lorsque Owen Dawson, greffier de la cour des jeunes délinquants, prend connaissance de la plainte contre le surveillant, Horace Desrosiers[56], il se souvient des rumeurs qu’il a entendues peu de temps auparavant et qui impliquaient des garçons de la maison de détention. Une année plus tôt, une lettre anonyme lui était parvenue, alléguant qu’un surveillant avait fait des attouchements à des garçons. Le greffier avait essayé d’étayer cette accusation, mais, sans victime, il ne pouvait guère procéder. Par conséquent, lorsque Gaston et Ernest M. se manifestent, les autorités judiciaires sont prêtes à croire leur histoire. Desrosiers est immédiatement suspendu et, un mois après les incidents, le docteur Daigneault, inspecteur des prisons et asiles de la province, mène une enquête à la maison de détention. Gaston, dix ans, lui décrit comment le gardien l’a emmené dans le vestiaire, l’a bâillonné et lui a fait « prendre [le gardien] dans le derrière ». Lors du deuxième incident, Desrosiers a détaché son pantalon et forcé le garçon à le caresser. À ce moment-là, ils ont été interrompus par d’autres garçons, dont le frère aîné de Gaston, Ernest. Ce dernier affirme catégoriquement qu’il a repoussé les avances sexuelles du gardien, mais il déclare avoir été témoin de ce qui est arrivé à son frère et s’être fait déchirer l’oreille par Desrosiers. Les garçons conduisent les membres du comité d’enquête à l’endroit où l’agression s’est déroulée et décrivent en détail les actes posés par l’homme et leur propre bouleversement. Les garçons sont avertis à plusieurs reprises qu’ils iront en enfer s’ils mentent, mais ils maintiennent leur récit. Au cours de l’enquête, ils sont confrontés à l’accusé et aux propos de Gaston, Desrosiers se renfrogne et dit : « Petit menteur ». L’enquête dure plusieurs jours et inclut les témoignages contradictoires de plusieurs garçons qui se trouvaient en détention au moment des agressions. Le rapport remis par Daigneault au procureur général révèle que même si l’inspecteur a trouvé problématique de procéder au témoignage de mineurs, la description des événements faite par Gaston l’a convaincu. Il a également été impressionné par le rôle important joué par le pasteur auprès de la famille des garçons et par le fait que le pasteur, les parents et Owen Dawson avaient tous cru les garçons. En outre, l’existence de rumeurs semblait confirmer les soupçons. Le fait que Desrosiers n’avait pas d’avocat peut aussi avoir affaibli sa défense. Au bout du compte, le gardien est congédié.

Cette affaire est surprenante, parce que les garçons se sont manifestés et ont brisé le silence caractéristique entourant les agressions sexuelles[57]. Le rôle non équivoque joué par les garçons et la situation relativement sans importance qu’occupait le gardien de nuit dans le système de justice des mineurs explique peut-être ce résultat. Si Gaston n’avait pas été prépubère et si l’agresseur avait eu plus de pouvoir au sein du système, on n’aurait peut-être pas cru le jeune. Cette affaire met aussi en évidence un aspect genré important des présupposés du système de justice des mineurs au sujet des questions sexuelles. Les garçons ayant subi des agressions sexuelles de la part d’hommes sont ainsi traités en victimes de violence et de perversion et, à l’inverse, les filles qui pourraient susciter de la sympathie comme victimes d’agression sexuelle voient leur crédibilité fondre si la cour découvre dans leur vie une histoire d’expérience sexuelle consentie. Ainsi, on croit moins souvent les filles et on ne poursuit pas les hommes qui les ont violées et contraintes[58].

Dans les premières années de fonctionnement de la cour, on ne considère les garçons adolescents comme étant libidineux, prédateurs et donc responsables de crimes sexuels que dans un nombre très limité de situations, notamment dans les affaires d’inceste. Lorsque les responsables de la cour des jeunes délinquants posent aux filles des questions pleines de sous-entendus concernant la perte de leur virginité, plusieurs d’entre elles révèlent que les personnes qui en sont « responsables » sont leurs frères[59]. En parcourant les dossiers des filles, il n’apparaît pas que la cour ait utilisé cette information pour réprimer le comportement sexuel de leurs frères. Peut-être est-ce dû au fait que l’incident en question était survenu plusieurs années plus tôt ou qu’on n’a tout simplement pas cru la fille ou qu’on l’a considérée comme étant, d’une certaine manière, également responsable. À l’occasion, l’agent de probation note cette activité lorsque les parents sont au courant et l’en informent. En septembre 1918, Romulus M., 14 ans, est amené à la cour par sa mère, car, selon son dossier judiciaire, il refuse de garder un emploi stable[60]. Il est donc accusé de  vagabondage, « n’ayant aucun moyen de subsistance », même s’il vit avec sa mère. L’agent de probation qui enquête sur cette affaire, J. E. Poirier, découvre une famille en difficulté désertée deux ans plus tôt par un père alcoolique. Poirier note en outre que la véritable raison pour laquelle la mère a amené son garçon à la cour est qu’elle veut le faire punir pour avoir tenté de violer sa petite sœur. Les dossiers n’indiquent pas quelle sorte de punition la mère de Romulus réclame pour son fils, mais le garçon n’est gardé qu’un mois à l’école de réforme, puis il est renvoyé à la maison, en liberté surveillée. Dans cette affaire, il est vraisemblable que la cour ait mis l’accent sur la nécessité d’imposer une discipline par le travail comme solution au comportement délinquant du garçon.

Wilfrid C. est amené à la cour par son père en mai 1916 pour avoir refusé d’aller à l’école régulièrement et être resté dehors tard le soir. Comme beaucoup d’autres garçons de 15 ans qui comparaissent devant un juge, il dit dans son témoignage que sa famille est « brisée » depuis la mort de sa mère, un an plus tôt. Se deux frères aînés ne sont plus à la maison, y ayant laissé Wilfrid et sa petite sœur avec leur père. Une lettre de l’école du garçon confirme que le veuf doit travailler, ce qui laisse les enfants sans surveillance. Les autorités de l’école suggèrent que le garçon soit placé dans une école industrielle. Au lieu de cela, Wilfrid accepte de travailler dans une manufacture plutôt que d’aller à l’école. Deux mois plus tard, Wilfrid et son père sont de nouveau devant la cour. On ne sait pas clairement comment le père a appris que Wilfrid violait sa sœur, mais en juillet une enquête est menée. Monsieur C. dépose une plainte déclarant que, le 1er juillet 1916, son fils « a partagé le lit de sa sœur et a eu des relations sexuelles avec elle; [elle était âgée de] 6 ans ». Wilfrid reconnaît devant l’agente de probation Marie Mignault que les incidents d’inceste se sont produits environ vingt-cinq fois. Un médecin est appelé pour examiner la fillette de sept ans. Une blessure récente et de nombreuses preuves de coït, y compris la rupture de l’hymen, amènent le médecin à conclure qu’elle a été victime d’agression sexuelle. Le père de Wilfrid veut que son fils soit sévèrement puni. L’oncle maternel du garçon prend sa défense, disant que le garçon se conduisait bien jusqu’à ce qu’il perde sa mère. Après cela, le père ne s’est plus occupé de lui, laissant les deux enfants se débrouiller seuls de six heures du matin à six heures du soir. L’oncle affirme que Wilfrid, influencé par de mauvais amis, s’est égaré. Celui qui s’occupe à présent de la fillette de sept ans prétend également qu’elle n’a pas beaucoup souffert, car elle semble encore vertueuse et ne parle jamais de façon déplacée. Il recommande au juge d’envoyer Wilfrid dans un établissement où il pourrait apprendre un métier. En fin de compte, le juge est d’accord et Wilfrid est placé pendant trois ans dans une école de réforme dirigée par un ordre religieux catholique masculin.

La Deuxième Guerre mondiale et l’encadrement sexuel plus strict des garçons : copains, exhibitionnistes et prostituées

Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, l’intérêt que porte la justice des mineurs au corps et à la sexualité des garçons devient plus intense et la position protectrice de la cour s’efface au profit d’un rôle plus répressif. On observe à la fois de la continuité et du changement dans cette période. Les adolescents plus âgés soupçonnés d’avoir agressé des enfants plus jeunes sont considérés comme des prédateurs, les cas de contrainte et d’exhibitionnisme sexuels sont plus nombreux au tribunal et, enfin, la cour des jeunes délinquants commence à cibler le comportement hétérosexuel des garçons, auquel on ne s’est jusqu’alors intéressé que dans les affaires de délinquance féminine. L’empressement de la cour des jeunes délinquants à examiner les histoires et les expériences sexuelles des garçons est facilité par les changements au sein du système de justice des mineurs. Des modifications substantielles du mandat de la cour ainsi que de sa compréhension du problème de la jeunesse moderne posent les bases permettant de rendre plus apparente la réglementation de la sexualité des garçons. Par exemple, un corps de policiers appelé Escouade de la moralité juvénile commence à travailler avec la cour des jeunes délinquants. Ces policiers prennent sur le fait de jeunes couples dans les parcs, les salles de danse et d’autres lieux publics, ce qui correspond au travail des premières policières qui ont patrouillé dans les rues de Montréal à l’époque de la Première Guerre mondiale, comme une sorte d’escouade de la délinquance sexuelle[61]. Cependant, à la différence des patrouilleuses des années 1910, l’escouade de la moralité juvénile se compose exclusivement d’agents masculins et elle ne cible pas uniquement les délinquantes, mais les jeunes des deux sexes.

Une autre décision a entraîné, elle aussi, d’énormes conséquences. En 1942, le gouvernement du Québec élargit la tranche d’âge des jeunes délinquants, portant sa limite supérieure de « moins de 16 ans » à « moins de 18 ans ». Un des effets de la présence croissante à la cour des jeunes délinquants de garçons de 16 et 17 ans est la plus grande attention accordée à leur comportement sexuel. Les plaintes contre ces garçons décrivent des « actes immoraux » commis avec des filles âgées de moins de 18 ans. L’attention portée à l’âge des filles donne à penser que la cour porte alors des accusations de conduite immorale contre de jeunes délinquants par manque de dispositions législatives sur l’âge du consentement. Ces dispositions se trouvent dans le Code criminel du Canada, mais elles sont embarrassantes à utiliser dans les poursuites, alors que les infractions concernant les jeunes, comme la conduite immorale, le sont moins. Ainsi se dégage un modèle dans les situations où les garçons âgés de 16 ou 17 ans surpris à avoir des relations sexuelles avec des mineures sont jugés par la cour pour s’être conduits de « [manière] immorale et scandaleuse[62] ». La refonte des lois sur la délinquance juvénile pour inclure cette cohorte de garçons plus âgés entraîne la présence dans le système de justice des mineurs d’une cohorte de jeunes qui, vraisemblablement, se considèrent non comme des mineurs, mais comme de jeunes adultes, plus indépendants de leur famille. Peu d’entre eux offrent des récits de pardon pour excuser leur « immoralité »; on utilise davantage comme défense le fait de porter atteinte à la réputation d’une fille, du seul fait qu’elle est impliquée.

Un autre changement simultané déterminant concentre l’attention de la cour sur la sexualité des garçons. Il s’agit de l’approche psychologique et de la médicalisation de la délinquance, adoptées beaucoup plus tôt par des tribunaux d’autres juridictions, mais refusées à Montréal jusqu’à la fin des années 1930[63]. Vers 1940, la plupart des délinquants sont examinés par un médecin et un dentiste commis d’office et de plus en plus de ces jeunes sont envoyés chez un psychiatre, en particulier ceux qui se trouvent impliqués dans des affaires d’immoralité sexuelle. Par la suite, la cour accepte la psychologie adolescente et l’idée de développement sexuel et social normal, sollicite de l’expertise en santé mentale lors du dépôt d’allégations d’aberration sexuelle. Alors que pendant presque toute la première partie du XXe siècle, les efforts de la Ville en matière de santé publique se centrent sur la mortalité infantile et les maladies contagieuses, vers la fin des années 1930, les préoccupations des responsables de la santé publique se tournent vers la délinquance juvénile et l’hygiène mentale. Pour concrétiser cette orientation, le Service de santé de Montréal embauche un psychiatre qui dirige une clinique pour la cour des jeunes délinquants. On établit à cette époque un lien très étroit entre activités délinquantes, en particulier celles qu’on juge « perverses » ou « dépravées », et facteurs psychologiques. Ce lien influence les attitudes de la cour à l’égard des garçons et devient omniprésent dans le jargon des agents de probation et des réformateurs moraux luttant contre la délinquance[64].

Les interventions des employés des tribunaux pour jeunes délinquants reflètent les attitudes et les préoccupations de l’ensemble de la société québécoise. Comme d’autres villes nord-américaines, Montréal connaît une panique croissante devant la délinquance pendant la guerre, ce qui place la sexualité des jeunes au premier plan des problèmes sociaux du front intérieur. Dès les premières années de la guerre, les médias canadiens font grand cas des taux de délinquance. En 1944, voire avant, on prétend que la délinquance juvénile a bondi de 80% depuis le début de la guerre[65]. Des journalistes de Montréal parlent de « l’impatience » de la jeunesse, un état associé de près à l’abandon du bon sens et de la moralité[66]. La même année, le directeur du Municipal Services Bureau tire l’alarme au sujet de « la dégénérescence morale de la jeunesse adolescente » qui a sa source, déclare-t-il, dans les « conversations à caractère sexuel qui ont cours entre et parmi les garçons et les filles à l’école », les messages pernicieux dans les films et la bière et les « partys » de « pelotage » dans les boîtes de nuit de la ville[67]. Un avocat de la cour des jeunes délinquants dit à l’auteur de La délinquance juvénile et la guerre que les jeunes abandonnent l’école pour rechercher le plaisir et satisfaire leurs passions[68]. Ces activités sont mentionnées comme un problème particulier chez les garçons de 16 à 20 ans, qui ont tout à coup des salaires plus élevés et plus de liberté qu’avant la guerre, mais pas plus de discernement.

Montréal réagit à la crise de la délinquance, notamment en accueillant une conférence nationale en 1944, intitulée « Semaine de prévention de la délinquance juvénile ». Bilingue et multiconfessionnel, cet événement débute par une séance sur les maladies vénériennes et les délinquants. Le relâchement moral de la culture des jeunes touche une corde sensible lorsqu’il se manifeste par la maladie vénérienne. Durant la Deuxième Guerre mondiale, c’est au Québec que ce problème est le plus sérieux[69]. Le taux de maladies vénériennes chez les recrues masculines des forces armées atteint des niveaux alarmants à Montréal et, alors que les campagnes contre celles-ci ciblent les femmes et les filles, les jeunes que l’on envoie à la cour des jeunes délinquants sont de plus en plus soupçonnés d’être porteurs de ce mal. On faisait constamment subir aux jeunes « indécents » des tests de dépistage de maladies vénériennes, comme le Neisser ou différentes versions du Wassermann. La cour des jeunes délinquants prend très au sérieux la présence de maladies vénériennes chez les délinquants. Par exemple, Alcide G., âgé de 14 ans, est envoyé à la prison de Bordeaux pour y subir un traitement contre la syphilis, plutôt qu’à l’école de réforme des garçons, en raison de son état hautement contagieux[70]. On emprisonne aussi les garçons s’ils refusent de suivre un traitement contre les maladies vénériennes[71]. Les campagnes visant à éradiquer le problème vénérien inspirent de nombreuses discussions sur l’hygiène sociale et sexuelle et sur l’importance du rôle des parents et des éducateurs dans la prévention. Après la guerre, cette tendance est surtout manifeste dans les nouvelles campagnes pour les cours d’hygiène sexuelle, mais on emploie encore des euphémismes dans les publications qui s’adressent aux adolescents catholiques. Une brochure intitulée Montreal Police Juvenile Guide donne, par exemple, aux jeunes les conseils suivants : « Soigne ton corps. Conserve ton âme propre […] Ton corps est le serviteur de ton âme… Tu transmettras à tes enfants ta santé physique et morale. N’oublie jamais ta mission d’homme ou de femme[72]. »

À la fin des années 1930, la cour des jeunes délinquants de Montréal commence aussi à explorer plus systématiquement les habitudes masturbatoires des garçons délinquants. En général, l’information est recueillie pendant l’examen médical ou psychologique des garçons. On s’inquiète en particulier de ces garçons que l’on soupçonne d’avoir profité de garçons plus jeunes, les incitant à participer à des séances de masturbation mutuelle. Les agents de probation les soupçonnent d’être des incitateurs à l’immoralité. À l’origine de cette préoccupation, il y a une nouvelle image médicalisée du jeune prédateur, soit un chef de gang capable d’entraîner des garçons vers l’activité criminelle ainsi que d’autres actions immorales et dont le comportement est une preuve de perversion ou d’homosexualité latente. Il s’agit, comme dans les cas de maladie vénérienne, d’un problème qu’il est possible de corriger chez les jeunes si on le décèle, mais si on ne s’en occupe pas, il peut se propager parmi les pairs. La cour des jeunes délinquants prend des mesures pour séparer les « chefs de gang » des garçons plus jeunes et de les affranchir des conditions de vie et de moralité dépravées qui, croit-on, ont produit ce comportement[73].

En avril 1944, deux garçons canadiens-français âgés de 10 et 13 ans sont amenés devant la cour pour s’être adonnés à des gestes immoraux ensemble ainsi que pour une kyrielle d’autres actions délinquantes, comme de refuser d’aller à l’école et de désobéir à leurs parents. L’agent de probation chargé de leur dossier, Patrick O’Reilly, les adresse à un examinateur médical travaillant pour la Division d’hygiène infantile du Service de santé de la ville et la cour ordonne la tenue d’un examen psychiatrique. Ni le médecin ni le psychiatre ne trouvent d’explication physique ou psychologique aux actes commis, car les garçons sont jugés respectivement ennuyeux et doué, et tous deux ont besoin d’un meilleur encadrement parental. O’Reilly refuse de décrire ce que les garçons ont fait l’un à l’autre, mais dans ses remarques sur le plus jeune, il dit qu’il a « commis cet acte […] dont il avait tellement entendu parler […] par les autres garçons avec qui il se tenait […] et il faisait la même chose que les autres pour être aussi grand qu’eux. […] il ne savait pas jusqu’à quel point l’acte qu’il commettait était mal parce qu’il dit qu’il n’avait pas d’intérêt pour ce genre de chose[74]. Les garçons sont renvoyés chez eux avec des mises en garde de ne plus jamais adopter ce comportement.

Dans une affaire d’attentat à la pudeur, un jeune de 17 ans, Robert, qui s’y trouve impliqué, dit qu’il a « discuté librement » du fait de se masturber et affirme à l’agent de probation que la masturbation et les femmes sont les seuls sujets dont on parle dans son groupe d’amis[75]. L’agent de probation considère l’influence de ce groupe nuisible et largement – mais pas exclusivement – responsable dans cette affaire. C’est dans ce groupe de jeunes hommes, dont le lieu de rencontre est un comptoir de fish and chips, que Robert a puisé toutes ses connaissances sexuelles et toutes ses valeurs, étant donné, juge-t-on, le vide laissé par sa mère, bien intentionnée, mais mal informée. Le groupe a créé une culture qui, selon la cour, est devenue imperméable à l’influence plus convenable du foyer et de la famille. Dans ses remarques sur la situation familiale, l’agent de probation signale que la mère, « comme tant de parents, » pense que le problème de Robert est « largement résolu lorsque des habitudes de modestie sont établies. » Alors qu’elle déclare avec fierté qu’il n’est pas question de sexualité dans sa respectable maison ouvrière, l’agent de probation rapporte ce fait comme un échec et une partie du problème de Robert.

Pendant la guerre, des policiers de l’escouade de la moralité juvénile étiquètent certains cas de masturbation réciproque de « conduite immorale avec un homosexuel ». Ces cas présentent des ressemblances avec d’autres affaires impliquant une masturbation réciproque, sauf que les garçons accusés d’homosexualité sont plus âgés. Dans deux affaires distinctes d’homosexualité, en septembre 1944, des garçons âgés de 16 et 17 ans sont décrits comme ayant eu une conduite immorale pendant plusieurs mois et sont incarcérés pour plusieurs années[76]. Cette réaction sévère témoigne vraisemblablement de l’influence des perspectives psychiatriques contemporaines sur la « perversion » et de son traitement compliqué. Parfois, le tribunal envoie les garçons accusés de masturbation réciproque consulter en psychiatrie, parce qu’il cherche des preuves de déficience mentale pour expliquer leur comportement. Dans la cause d’un garçon de 13 ans conduit devant la cour pour masturbation réciproque manuelle et orale avec d’autres garçons, le psychiatre du tribunal le juge « mentalement inférieur » et déclare sa perversion sexuelle – démontrée par la masturbation et la tendance homosexuelle – enracinée dans ce retard mental[77]. Cependant, dans les affaires mentionnées plus haut et impliquant des garçons plus âgés, les capacités mentales ne sont pas signalées comme un problème ou une explication et peut-être que ce fait sert à justifier de séparer ostensiblement ces garçons de la société dans le but de mettre fin à leur comportement homosexuel.

L’escouade de la moralité juvénile réprimait aussi la masturbation en public. À la suite d’une plainte déposée par deux filles mineures, le policier Naud déclare que Lucien, 17 ans, s’est comporté de façon immorale en « s’exposant dans un lieu public ». Le dossier ne contient pas l’explication donnée par Lucien pour s’être masturbé en public, mais ses parents et l’agent de probation font l’hypothèse que c’est dû à l’effet d’une maladie mentale ou d’un problème d’ordre physique causé par un grave accident de bicyclette survenu six ans auparavant. L’agent de probation recommande au juge de faire évaluer Lucien par le psychiatre[78]. Même si l’agent de probation le trouve « malade », le rapport du psychiatre ne réussit pas à convaincre le juge de l’incarcérer. Jugé travailleur, discipliné et bon fils, Lucien est renvoyé chez lui par la cour pour une période de probation et à condition qu’il respecte ses parents, rapporte son salaire à la maison et observe un couvre-feu fixé à neuf heures du soir.

Dans les affaires d’actes sexuels hétérosexuels, le langage clinique des dossiers de la cour des jeunes délinquants étiquète souvent les garçons comme prédateurs sexuels. Pourtant, un examen plus attentif révèle des interactions adolescentes plus complexes, des tensions intergénérationnelles et des préoccupations concernant la santé publique et la moralité. Dès le début des années 1940, des couples sont arrêtés par l’escouade de la moralité juvénile de la cour ou amenés à la cour par des parents. Il en résulte des accusations portées contre les garçons pour avoir prétendument encouragé les filles à quitter leur domicile et à avoir des rapports sexuels avec eux. Ces rapports semblent se classer parmi les relations normales et les personnes impliquées sont parfois des amants, parfois de simples connaissances. En 1944, Jean-Paul L. est emmené à la cour par suite d’une plainte de Mme A. Lecompte, agente de probation, pour conduite immorale avec des filles âgées de moins de 18 ans. Ses actes de séduction de filles mineures ont prétendument débuté dans les restaurants louches de la ville et culminé dans des chambres anonymes louées à des fins illicites. Les renseignements de l’agente viennent probablement d’affaires de délinquance sexuelle concernant des filles. On fait passer des tests  de dépistage de maladies vénériennes à Jean-Paul et, constatant qu’il n’est pas infecté, le tribunal le renvoie chez lui à condition qu’il ne fréquente plus ces lieux suspects, verse une pension convenable à son père et se conduise de manière honorable au travail[79]. Dans un autre exemple, Bernard P. et sa blonde, Gisèle, tous deux âgés de moins de 18 ans, sont amenés à la cour pour répondre d’actes immoraux pendant les quatre mois qu’a duré leur relation[80].

Il arrive souvent qu’un parent intervienne et amène les jeunes à la cour. Lloyd, âgé de 15 ans, par exemple, a encouragé Claire, âgée de 16 ans, à « quitter sa maison sans permission et à vivre avec lui dans la rue, dans le parc et dans une maison de chambres à Montréal », en juin 1943. Cette affaire tourne autour d’un conflit intergénérationnel entre Lloyd et ses parents au sujet de ses sorties avec Claire. La cour se voit remettre une lettre écrite par Lloyd à sa mère, dans laquelle il lui demande la permission écrite d’épouser sa fille. Elle lui répond par écrit qu’il est trop jeune et qu’il rencontrera d’autres filles. À la cour, il reconnaît avoir commis l’infraction et est condamné à une peine avec sursis à condition qu’il « obéisse à ses parents et les écoute, cherche du travail et donne son salaire à ses parents, se tienne loin de Claire ». Afin de mettre un frein à son désir sexuel et à son aspiration au mariage, son couvre-feu est fixé à 10 heures du soir et les restaurants et salles de billard lui sont interdits[81].

Dans les histoires de « mauvaises filles », on retrouve souvent le rôle des parents cherchant l’aide du tribunal, poussés par le soupçon que leurs filles sont peut-être sexuellement actives. Les parents de filles, délinquantes sur le plan sexuel, utilisent aussi la cour des jeunes délinquants pour tenir les petits amis à bonne distance. Normand L, dix-sept ans, a ainsi à la fois de la chance et de la malchance au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Il décroche un emploi dans une minoterie, où il gagne presque autant que son père. Au cours de l’été 1944, de l’argent plein les poches, il fréquente avec sa petite amie des restaurants et des cinémas dans leur petite ville à l’extérieur de Montréal. Lorsque les sorties passent de « tous les soirs » à toute la nuit, le père de la petite amie de 14 ans intervient. Pour discipliner sa fille, il l’envoie en août dans un couvent éloigné. En octobre, elle retourne chez elle en visite et saisit l’occasion de revoir Normand. Ils se rendent jusqu’au centre-ville de Montréal, où ils louent une chambre d’hôtel pour une semaine. Le père de la jeune fille porte cette histoire honteuse devant la cour des jeunes délinquants, demandant qu’elle engage des poursuites contre Normand. Dans son entrevue avec l’agent de probation, Normand ne nie rien et précise qu’il a pris des précautions pour que sa petite amie ne tombe pas enceinte. En fin de compte, la solution est de séparer les deux jeunes : elle retourne au couvent, Normand est renvoyé chez lui et la cour lui donne instruction de se conduire honorablement, de donner son salaire à ses parents et de rentrer à la maison avant 9 heures tous les soirs[82].

Les parents s’adressent aussi à la cour pour rendre les garçons et les jeunes hommes responsables de leur rôle dans la grossesse de femmes non mariées. La mère de François P. dit à la cour que son fils a mis enceinte une fille de moins de 18 ans. Son garçon de 18 ans admet avoir eu des rapports sexuels avec la fille, mais nie que cela ait eu pour conséquence une grossesse. Le tribunal n’a aucune difficulté à dépeindre la jeune fille comme une personne de mœurs légères, car il considère son corps de femme enceinte comme une preuve suffisante. On ne parvient pas à prouver la culpabilité du jeune homme, néanmoins, la cour ne le laisse partir qu’avec l’assurance qu’il ne répétera pas son infraction et qu’il maîtrisera ses pulsions sexuelles. Le juge exige qu’il promette de se tenir loin de la jeune fille enceinte et qu’il habite chez un oncle, que l’on considère comme une personne plus stricte que la mère en matière de discipline[83].

En dépit de la volonté de la cour d’enquêter sur les aventures sexuelles hétérosexuelles des garçons dès les années 1940, le traitement des délinquants demeure sensiblement différent pour les garçons et les filles. Roger, 17 ans, est surpris un matin d’août à faire des actes immoraux avec sa petite amie de 16 ans dans le parc Lafontaine. On envoie Jacqueline subir un examen gynécologique. Elle nie devant le médecin avoir eu des rapports sexuels ou même des attouchements sexuels, mais le médecin déclare dans son rapport que son hymen est « incomplet ». Les parents des deux jeunes sont convoqués au tribunal en prévision du jugement. Le traitement réservé aux deux jeunes met en évidence la constante différenciation selon le genre dont ce traitement fait l’objet de la part du tribunal. Tous deux sont placés sous tutelle de la cour jusqu’à l’âge de 21 ans et sont condamnés à des peines avec sursis assorties de certaines conditions. Il s’agit de mesures courantes qui permettent aux parents de renvoyer leurs enfants devant le tribunal s’ils ne respectent pas ces conditions, même au début de l’âge adulte. Jacqueline doit ainsi promettre de se tenir loin des parcs publics avec des intentions déshonorantes et de se conduire honnêtement avec tous les garçons. Roger, quant à lui, reçoit simplement une amende de 5 $ (à défaut de la payer, il sera placé à la maison de détention pendant 15 jours) [84].

D’autres affaires impliquant des garçons de 17 ans correspondent à ce modèle, la plupart d’entre eux ayant été amenés devant la cour après avoir persuadé des adolescentes d’avoir des rapports sexuels. Dans bien des cas, la cour leur accole l’étiquette de séducteurs de ces adolescentes, le rôle ou la motivation de ces dernières sont la plupart du temps laissés de côté et ignorés. En général, les garçons sont déclarés « délinquants juvéniles » (de sorte qu’ils restent sous la juridiction de ce tribunal jusqu’à l’âge de 21 ans) et doivent verser une amende inférieure à 10 $, puis on les relâche avec une condamnation avec sursis et à certaines conditions. Parfois, on leur interdit également de fréquenter les restaurants et les salles de billard et on leur ordonne de rentrer avant 9 ou 10 heures du soir, ce qui correspond à un couvre-feu qu’ils doivent observer jusqu’à l’âge de 21 ans[85]. Ces garçons doivent pour la plupart subir un examen médical, le médecin leur posant des questions sur leur santé et établissant un rapport qui comporte généralement des remarques sur l’état de leurs dents et leur santé physique générale. Le fait d’envoyer systématiquement les garçons chez le médecin dans les années 1940 fournit quelques indications sur la présence de maladies vénériennes dans la population adolescente, car les médecins se mettent à chercher non seulement des caries, mais aussi des preuves de maladies transmises sexuellement. Si les garçons qui présentent des maladies vénériennes sont accusés d’avoir passé la nuit avec des adolescentes, l’amende imposée a tendance à être plus élevée – soit 25$, généralement – que si leur bulletin de santé avait été impeccable[86].

Les adolescents plus âgés sont accusés d’avoir désobéi à leurs parents ou à ceux d’une autre personne, ce qui indique que certains des parents qui amènent leur enfant à la cour des jeunes délinquants cherchent des moyens pour soutenir leur autorité déclinante et de l’aide pour arracher leurs garçons à une culture de la jeunesse dont ils se sentent de plus en plus aliénés et qu’ils sont impuissants à contester. Roland, 17 ans, est amené devant la cour à la suite des plaintes de la mère d’une jeune fille. L’agent de probation trouve qu’il est un catholique pratiquant doué et très intelligent, mais qu’il exaspère sa mère en sortant trop souvent et en rentrant à la maison à 1 h 30 du matin, lorsqu’il rentre. Cet adolescent fumeur, danseur et lecteur de romans policiers est en outre égocentrique, mais non déloyal, paresseux ou influençable. Son rapport médical révèle qu’il a une gonorrhée et il est donc placé pendant moins d’un mois à l’hôpital de la prison, puis relâché comme pupille de la cour, moyennant la promesse de se conduire honnêtement avec toutes les filles[87].

Certaines affaires impliquant l’immoralité de garçons donnent à penser que les enquêtes de l’agent de probation concernant les garçons ressemblent occasionnellement à celles dont des filles sont l’objet. En 1940, Marcel, 13 ans, est amené devant la cour sur une plainte de la mère d’une amie, une jeune fille de 12 ans prénommée Marie. Cette plainte l’accuse de s’être rendu coupable d’immoralité sexuelle avec une fille au cours des six mois précédents. Dans cette affaire, Marie et Marcel ne sont pas les seules personnes impliquées : il y a aussi deux autres garçons. L’agent de probation verse au dossier les formulaires habituels, signalant que Marcel est influençable, sociable, mais non paresseux ni égoïste, et que ni les drogues, ni les cigarettes, ni l’alcool ne l’intéressent. Ce qui étonne, dans cette affaire, c’est que l’agent de probation prend en note une histoire sexuelle : Marcel reconnaît avoir participé à des séances de masturbation collective (pratique introduite dans le passé par un garçon plus âgé) et avoir eu des rapports sexuels avec Marie, qui « [l’] encourageait ». Marie prétend avoir été débauchée par Marcel. Son repentir et le fait qu’il ait réussi à rendre Marie responsable de la situation le sauvent de l’école de réforme et il est renvoyé à la maison avec une condamnation avec sursis, tout en restant pupille de la cour jusqu’à l’âge de 21 ans. Ce qui condamne Marie, c’est le témoignage de sa mère, qui admet que la jeune fille fréquente les restaurants et qu’elle est trop souvent incorrigible et incontrôlable. Cette révélation, jointe à sa mauvaise réputation parmi les voisins, motive la cour à la condamner à une peine de quatre ans à l’école de réforme[88]. Cette affaire suggère de porter attention aux différences évidentes dans la manière de disposer des causes.

Une autre série d’affaires des années 1940 concerne les menaces sexuelles ou l’exhibition du corps nu en public. Il s’agit de langage sexuel explicite, de comportement exhibitionniste ou de garçons considérés comme dangereux pour d’autres adolescents ou pour eux-mêmes. Le tribunal de Montréal, très lent à recourir à des textes de psychologie ou de psychiatrie, commence à confier ces affaires à des experts en santé mentale. Même si les comportements apparemment étranges des garçons sont de plus en plus pathologisés, aucun discours ne prédomine pour les expliquer. L’indignation morale et la rhétorique du péché et de la tentation trouvent ainsi leur place à côté des explications médicales ou des attributions de la faiblesse environnementale ou héréditaire. L’examen mental des délinquants demeure intermittent, même s’il devint de plus en plus important au cours de la décennie.

Un langage sexuel agressif est parfois suffisant pour rendre délinquant le garçon qui l’a tenu. Depuis les années 1910, les agents de probation émettent des commentaires sur l’emploi, par les jeunes délinquants, de termes blasphématoires et de langage offensant. Toutefois, les affaires appartenant à la période étudiée donnent à voir un jargon sexualisé de plus en plus populaire parmi les adolescents, jargon qui dérange les adultes, y compris le personnel de la cour des jeunes délinquants. Morris, 14 ans, se présente en cour à la suite d’une plainte selon laquelle il aurait dit des paroles indécentes à un garçon du voisinage âgé de 10 ans. Les voisins affirment que Morris a menacé de commettre des actes de grossière indécence devant l’autre garçon[89]. Dans une affaire concernant l’agression sexuelle d’une fillette de quatre ans, un « chef de gang » est décrit comme manifestant des habitudes sexuellement suggestives et particulièrement agressives. Des témoins déclarent ainsi qu’il saisit souvent ses organes génitaux, disant aux garçons et aux filles du voisinage : « mettez ça dans votre pipe[90] ». La cour entend la cause d’Eric, qui a écrit à une jeune fille de sa connaissance : « Que dirais-tu d’une baise ? ». « Si tu veux baiser », lui a-t-il écrit, viendrait-elle, « please », le rencontrer à tel endroit ? Son langage effronté et sexuellement explicite (incluant les dimensions de son pénis) persuade la cour de lui faire subir un test psychologique. Bien que le médecin l’évalue comme étant « normal », le tribunal se montre moins confiant et le déclare pupille de la cour jusqu’à l’âge de 21 ans[91].

L’exhibitionnisme entre garçons est également pris très au sérieux par le système de justice des mineurs. La plupart sont envoyés chez des psychiatres pour voir si la déficience mentale explique leurs actions. Benny, 16 ans, qui se montre nu sur la rue Jeanne-Mance en plein après-midi, est envoyé au Mental Hygiene Institute de Montréal, où on le déclare imbécile, avec un âge mental de six ans et un QI de 47[92]. Frank, 15 ans, est lui aussi amené devant la cour pour s’être montré nu à plusieurs reprises en public devant des filles. Le médecin de la cour lui trouve des caries dentaires (!), mais conclut que son état psychologique semble normal. La cour l’envoie alors consulter un psychiatre, qui déclare ses actes immoraux comme étant « stupides », mais non l’effet d’un esprit dément. Bien que légèrement retardé sur la plan mental, conclut le rapport, le garçon sait certainement que ce qu’il fait est mal. Le psychiatre recommande un séjour à l’école de réforme pour redresser son comportement[93]. La cour, en désaccord, en décide autrement et renvoie le garçon chez lui en tant que pupille de la cour. Dans une autre affaire, un garçon de 17 ans qui, pendant son travail de livraison du courrier, a exhibé ses « parties privées » devant des mineurs est déclaré mentalement instable. Son principal problème, selon le psychiatre, est la masturbation, un symptôme de son obsession érotique. Cette caractéristique obsessionnelle est considérée comme le signe d’un trouble névrotique de la personnalité chez ce jeune homme. Même si ses activités sont entièrement pathologisées, la cour et le psychiatre pensent qu’il peut être renvoyé chez lui en probation et, avec de l’encouragement et des conseils, se libérer de sa névrose[94].

Dans les années 1940, les tribunaux pour jeunes délinquants continuent à entendre des affaires impliquant des garçons et des hommes plus vieux. Avec les années 1940, cependant, on cesse de voir les garçons comme de simples victimes et la cour envisage de les accuser de délits reliés à la prostitution. Gerard, 15 ans, raconte qu’il est sorti avec différents hommes, qui l’ont payé pour des actes sexuels (décrits ainsi : masturbation, fellation et tentatives de sodomie). Ces hommes l’ont nourri, lui ont acheté des boissons et lui ont donné de petits montants d’argent; l’un d’entre eux s’est dit inquiet de voir l’adolescent inadéquatement habillé. Comme d’autres garçons, Gerard admet avoir l’habitude de se masturber. L’affaire aborde en fin de compte l’environnement familial du garçon. La famille, trop pauvre pour offrir à Gerard une éducation convenable (son manque de vêtements, affirme-t-on, l’empêche d’aller à l’école ou à la messe), devient la coupable. On le déclare pupille de la cour jusqu’à l’âge de la majorité, on lui fixe un couvre-feu strict à 6 heures du soir et on ordonne à ses parents de l’habiller pour qu’il aille à l’école[95]. Dans une autre affaire, en novembre 1944, un chômeur de 16 ans, Louis T, est arrêté pour avoir sollicité des hommes dans un but de prostitution. Durant l’interrogatoire de l’agent de probation, Louis admet qu’il faisait de la sollicitation lorsque les détectives l’ont attrapé et essaie de s’expliquer en disant qu’il voulait simplement un peu d’argent pour passer la soirée à Danceland. Il s’agit de la deuxième arrestation de Louis pour ce motif, et elle aurait vraisemblablement mené à son incarcération s’il n’avait pas réussi à s’enfuir du territoire de Montréal, où s’exerce la compétence du tribunal[96].

La cour reçoit aussi des renseignements de la police et des parents des victimes au sujet des jeunes qui commettent des crimes de grossière indécence. Les enquêtes sur ces affaires s’arrêtent brièvement aux circonstances des incidents, mais elles portent souvent, et plus en détail, sur l’environnement social, familial et éducatif. La plupart du temps, les garçons sont renvoyés chez eux avec une condamnation avec sursis et leurs parents sont chargés d’encadrer le comportement de leurs garçons, verdict étonnant si l’on tient compte du fait que – durant la panique morale devant la délinquance au début des années 1940 – la négligence parentale a souvent été désignée comme à l’origine du problème. Charles, 15 ans, est amené devant la cour par la police pour avoir commis un acte de grossière indécence sur un enfant de sept ans (il s’agit de masturbation orale et manuelle). Il reconnaît devant les agents de probation qu’il a agi ainsi et qu’il a fait la même chose avec trois autres garçons (âgés de 9 et 10 ans). La série de questions porte aussi sur son habitude de se masturber (« deux à trois fois par semaine »). Il confesse à l’agent de probation qu’il a mal agi et qu’il s’est mis en danger à tel point qu’il est convaincu que son comportement le rendra « fou », et il promet d’arrêter de se masturber, seul ou avec d’autres. Sans être étiqueté de prédateur, mais simplement de jeune ayant besoin d’un encadrement plus serré, Charles est renvoyé à la maison, avec ses parents, devient pupille de la cour jusqu’à l’âge de 21 ans et est condamné à une peine avec sursis, en vertu de laquelle il doit écouter et respecter ses parents, fréquenter régulièrement l’école, bien étudier et rester à la maison après 6 heures du soir[97].

Conclusion

Le corps et la sexualité des garçons ont joué un rôle dans l’histoire de la pratique de la justice des mineurs. Les juges, les agents de probation et les parents ont reconnu cette dimension corporelle de la délinquance masculine, bien que cette reconnaissance se soit développée lentement. Il est vrai qu’au cours des premières décennies de la période, les activités sexuelles des garçons ne coïncident pas avec l’image prédominante de l’enfant délinquant méritant soins et réhabilitation. Originaires de la classe ouvrière et conscients des dangers de la rue, les garçons sont préoccupants en raison de leur manque d’éducation, de leur passé de négligence et de leur susceptibilité à la tentation. Conformément à la construction sociale de la cour comme un « conseil de famille » ou un poste de sauvetage d’enfants, on considère alors que ces garçons peuvent être sauvés. Dans les premiers temps, leurs activités ne sont pas sexualisées par la cour des jeunes délinquants dans la même mesure que la délinquance féminine. La cour choisit en premier lieu d’enquêter seulement sur des aspects limités de la sexualité des jeunes garçons. Par exemple, elle entend des histoires de relations homosexuelles et définit ces garçons comme les victimes de prédateurs adultes dans un climat de plus en plus hostile à l’homosexualité. Les expériences d’homosexualité vécues par les garçons, de manière forcée ou libre, sont jugées réversibles et traitables, à la différence des menus larcins. La cour des jeunes délinquants de Montréal ne pathologise ni ne criminalise la sexualité des garçons, sauf lorsqu’elle est liée à la violence ou à l’inceste.

Avec les années 1940, une cohorte plus âgée de garçons est amenée devant la cour des jeunes délinquants pour un type de « conduite immorale » qui n’a pas jusqu’alors fait l’objet de répression. Il est clair que la cour des jeunes délinquants de Montréal utilise l’infraction  de « conduite immorale » comme moyen de réprimer la sexualité prénuptiale. Lorsque débute la Deuxième Guerre mondiale, dans le contexte d’une peur panique de la délinquance, les responsables de la cour adoptent un langage qui exprime de l’inquiétude pour les garçons en proie à une « crise » de l’adolescence, où ils sont facilement excités sexuellement par les films et par ce dont ils sont témoins dans la rue[98]. Amenés devant la cour par l’escouade de la moralité juvénile ou par des parents, les garçons doivent expliquer leur comportement obscène et reconnaître leur activité sexuelle, privée comme publique. À cette époque, la cour a commencé à interroger les garçons sur leurs habitudes de masturbation. Cette dernière est censée indiquer que la discipline fait défaut à la maison. Cependant, le problème peut se régler moyennant la fréquentation assidue de l’école ou de l’église. Dans les affaires où la masturbation implique des actes en groupe, les agents de probation visent la dispersion du groupe et l’élimination de l’immoralité et de la criminalité potentielles.

En outre, avec les années 1940, les infractions sexuelles commises par de jeunes délinquants sont souvent ignorées ou banalisées, particulièrement lorsqu’un médecin a examiné leurs auteurs. Les garçons surpris à employer un jargon agressif et sexualisé ou à exhiber leur corps en public sont examinés par des psychiatres. Des médecins examinent aussi le corps des garçons, à la recherche de preuves d’actes sexuels et de maladies vénériennes. La cour et les parents reconnaissent également le rôle des garçons dans la propagation de maladies vénériennes et dans la hausse du nombre des grossesses hors mariage. C’est ainsi que le corps des garçons est médicalisé et pathologisé. Cependant, le tribunal ne se limite pas à un discours particulier sur la sexualité des garçons, mais il s’engage dans des discours concurrents pointant dans la direction de lacunes psychologiques et morales de la part du garçon ou de ses parents.

En dépit de la judiciarisation du corps et de l’activité sexuelle des garçons, la justice des mineurs continue à être genrée, en particulier dans le traitement des affaires. Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, les adolescents de la classe ouvrière, particulièrement les garçons âgés de 15 ans et plus, trouvent facilement des emplois bien payés, jouissent d’indépendance par rapport à leurs parents s’ils servent dans les forces armées ou travaillent dans les usines de guerre. Leur comportement dérangeant préoccupe les employés de la cour des jeunes délinquants, mais ceux-ci, comme les enseignants, les travailleurs sociaux et les politiciens, s’attendent à ce que les adolescents remplacent les pères absents pour la durée de la guerre et assument un rôle important dans la société une fois la guerre finie[99]. Ainsi, contrairement aux filles, les garçons sont interrogés, puis renvoyés à la maison, où ils sont censés ne pas répéter leurs délits et les parents, les encadrer davantage. En outre, contrairement aux filles, les garçons reçoivent souvent des amendes pour avoir obéi à des impulsions sexuelles « normales », mais inappropriées et immorales. Ces amendes fonctionnent dans deux sens : pour leur apprendre, premièrement, que leurs actions ont des conséquences et, deuxièmement, qu’ils devront littéralement payer pour leurs actions. En fin de compte, la cour reconnaît les jeunes hommes comme des personnes sexuellement actives, comme des salariés et, paradoxalement, comme des citoyens assez âgés pour contribuer à la société.


  1. Traduction de « Embodying Delinquency: Boys’ Bodies, Sexuality, and Juvenile Justice History in Early Twentieth-Century Quebec », Journal of the History of Sexuality (USA), 14, 4 (2005), p. 383‑414.
  2. Anne Meis-Knupfer, Reform and Resistance: Gender, Delinquency, and America’s First Juvenile court, New York, Oxford University Press, 2001; Mary E. Odem, Delinquent Daughters: Protecting and Policing Adolescent Female Sexuality in the United States, 1885–1920, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1995; Meda Chesney-Lind, Girls, Delinquency and Juvenile Justice, Belmont (Calif.), Brooks/Cole, 1992; Linda Mahood, Policing Gender, Class and Family: Britain, 1850–1940, Londres, University College London Press, 1995; Ruth Alexander, The « Girl Problem »: Female Sexual Delinquency in New York, 1900–1930, Ithaca, Cornell University Press, 1995.
  3. Il existe néanmoins des études qui examinent de manière comparative le caractère genré de la délinquance. Voir Dorothy E. Chunn, « Boys Will Be Men, Girls Will Be Mothers: The Legal Regulation of Childhood in Toronto and Vancouver », Sociological Studies in Child Development, vol. 3 (1990), p. 94.
  4. Jean-Marie Fecteau, Sylvie Ménard, Jean Trépanier, and Véronique Strimelle, “Une politique de l’enfance délinquante et en danger : La mise en place des écoles de réforme et d’industrie au Québec (1840–1873),” Crime, Histoire & Sociétés/Crime, History & Societies vol. 2, no 1 (1998), p. 75–110.
  5. Cynthia Comacchio, « Dancing to Perdition: Adolescence and Leisure in Interwar English Canada », Journal of Canadian Studies, vol. 32, no 3 (1997), p. 5–35, 25.
  6. En 1919, l’évêque de Montréal publia une lettre pastorale sur la question, afin d’encourager un organisme féminin, la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, à revigorer la Ligue des bonnes mœurs. Les films parlants américains et les clubs de danse étaient montrés du doigt par l’Église catholique dans sa campagne visant à protéger les bonnes mœurs de la jeunesse. Voir Andrée Lévesque, La norme et les déviantes : des femmes au Québec pendant l’entre-deux-guerres, Montréal, Éditions du Remue-ménage, p. 64-69.
  7. Alexandra M. Lord, « Models of Masculinity: Sex Education, the United States PublicHealth Service, and the YMCA, 1919–1924 », Journal of the History of Medicine and Allied Sciences, vol. 58, no 2 (2003), p. 123–152.
  8. Voir, par exemple, Angus McLaren, The Trials of Masculinity: Policing Sexual Boundaries, 1870–1930, Chicago, University of Chicago Press, 1997.
  9. Steven Maynard, « “Horrible Temptations”: Sex, Men, and Working-Class Male Youth in Urban Ontario », 1890–1935, Canadian Historical Review, vol. 78, no 2 (juin 1997), p. 191–235.
  10. Comacchio, « Dancing to Perdition »; Cynthia Comacchio, “The Rising Generation”:Laying Claim to the Health of Adolescents in English Canada, 1920–70 », Canadian Bulletin of Medical History, vol. 19, no 1 (2002), p. 139–178.
  11. Mary Louise Adams, The Trouble with Normal: Postwar Youth and the Making of Heterosexuality, Toronto, University of Toronto Press, 1997.
  12. Gaston Desjardins, L’amour en patience. La sexualité adolescente au Québec, 1940–1960, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 1995.
  13. Mahood, Policing Gender, Class and Family, 112.
  14. Bryan Richard Hogeveen, « “Can’t You Be a Man? ” Rebuilding Wayward Masculinities and Regulating Juvenile Deviance in Ontario, 1860–1930 », thèse de doctorat, University of Toronto, 2003, p. 2 et ch. 5.
  15. Voir, par exemple, Jean Trépanier et Lucie Quevillon, « Garçons et filles : Définition des problèmes posés par les mineurs traduits à la cour des jeunes délinquants de Montréal (1912–1950) », dans Femmes et justice pénale, XIXe–XXe siècles, sous la dir. de Christine Bard et al., Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 341.
  16. Susan E. Houston, « The “Waifs and Strays” of a Late Victorian City: Juvenile Delinquents in Toronto », dans Childhood and Family in Canadian History, sous la dir. de Joy Parr, Toronto, McClelland and Stewart, 1982, p. 131.
  17. Peter C. Baldwin, « Nocturnal Habits and Dark Wisdom: The American Response to Children in the Streets at Night, 1880–1930 », Journal of Social History vol. 35, no 3 (2002), p. 593–611. Sur la situation au Canada, voir P. T. Rooke et R. L. Schnell, Discarding the Asylum: From Child Rescue to the Welfare State in English Canada, 1800–1950, Lanham (Md), University Press of America, 1983; Neil Sutherland, Children in English-Canadian Society: Framing the Twentieth Century Consensus, Toronto, University of Toronto Press, 1976; Renée Joyal, dir., Entre surveillance et compassion : l’évolution de la protection de l’enfance au Québec, Sainte Foy, Presses de l’Université du Québec, 2000 .
  18. En vertu de cette loi, un jeune contrevenant, défini comme étant âgé entre 7 et 16 ans, n’était plus désigné comme un « criminel », mais plutôt comme un délinquant. Un jeune délinquant était décrit de la façon suivante : « un enfant qui commet une infraction à l’une quelconque des dispositions du Code criminel […] ou d’un statut fédéral ou provincial, ou d’un règlement ou ordonnance d’une municipalité […]. » Loi concernant les jeunes délinquants, Statuts du Canada, 1908, chapitre 40, art. 2.
  19. Les rapports annuels de la cour des jeunes délinquants de Montréal n’existent pas pour toutes les années de la période à l’étude. Pour les affaires concernant des garçons en 1919 : 1116 catholiques (81%), 164 protestants (12%), 93 juifs (7 %), 8 orthodoxes (< 1%). Pour les affaires concernant des garçons en 1922 : 895 catholiques (70%), 213 protestants (17%), 147 juifs (12%), 10 orthodoxes (< 1%). Pour les affaires concernant des garçons en 1926 : 1316 catholiques (78%), 200 protestants (12%), 130 juifs (8%), 33 orthodoxes (2%), 2 autres (< 1%). Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Québec (ci-après BAnQ-Q), bureau du Procureur général, correspondance, E 17, dossiers de 1919, 1922 et 1926.
  20. On trouvera des données globales dans l’Annuaire statistique de la province de Québec (1946); voir aussi Bibliothèque et Archives Canada, Fonds Conseil canadien du développement social, MG I10, vol. 85, dossier : Juvenile courts . . . 1938–1941, « Questionnaire, Province of Quebec ».
  21. Pour une ventilation des délits commis par les garçons, voir Trépanier et Quevillon, « Garçons et filles », p. 343. À titre d’exemple des délits commis par les garçons, une étude portant sur 100 affaires concernant des garçons (10%) et soumises à la cour des jeunes délinquants de Montréal en 1918 a révélé la répartition suivante : 40 concernaient le vol, 14, l’incorrigibilité, 12 le vagabondage, 5 l’entrée avec effraction, 4 l’agression, 4 la désertion, 4 le dommage à la propriété, 4 le fait d’avoir été négligé, 3 la possession d’armes, 3 la vente de journaux sans permis ou après les heures, 1 la fraude, 1 l’infraction au règlement sur les pétards (en vertu d’un règlement municipal), 1 le fait de conduire une bicyclette sans éclairage, 1 le fait de fumer des cigarettes dans un lieu public. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Montréal, Fonds de la cour des jeunes délinquants de Montréal (ci-après BAnQ-M, Fonds CJDM), dossiers de 1918.
  22. Tamara Myers, « The Voluntary Delinquent: Parents, Daughters and the Montreal Juvenile Delinquents’ court in 1918 », Canadian Historical Review vol. 80, no 2 (juin 1999), p. 252.
  23. Montreal Daily Herald, 9 avril 1909, J. J. Kelso, de l’Ontario, à propos de la nécessité d’une cour pour les jeunes contrevenants.
  24. Montreal Herald, 8 juin 1912.
  25. Montreal Gazette, 4 octobre 1918.
  26. François-Xavier Choquet, « The Juvenile court », Canadian Municipal Journal, vol. 10, no 6 (juin 1914), p. 233.
  27. Voir BAnQ-Q, bureau du Procureur général, correspondance, E 17, Rapports annuels de la cour des jeunes délinquants de Montréal (ci-après CJDM) pour 1915, 1916 et 1924;Choquet, « The Juvenile court », p. 232.
  28. Rose Henderson, « Child Labour, Delinquency, and the Standards of Living », SocialWelfare, vol. 2, no 1 (octobre 1919), p. 16. Alors que la plupart des personnes engagées par la cour des jeunes délinquants étaient, comme Choquet, des partisans du parti libéral qui suivaient le modèle de justice des mineurs en vigueur à Chicago et à Denver, villes progressistes à cette époque, Henderson était l’une de rares socialistes qui travaillaient à la cour.
  29. Choquet, « The Juvenile court », p. 232.
  30. Ibid.
  31. BAnQ-M, Fonds CJDM, Rapport annuel pour 1916, p. 4.
  32. Jean Trépanier, « Protéger pour prévenir la délinquance : l’émergence de la Loi sur les jeunes délinquants de 1908 et sa mise en application à Montréal », dans Joyal, Entre surveillance et compassion.
  33. BAnQ-Q, bureau du Procureur général, correspondance, E 17, Rapport annuel de la CJDM pour 1916, p. 4; Choquet, « The Juvenile court », p. 232.
  34. Voir Sylvie Ménard, Des enfants sous surveillance : la rééducation des jeunes délinquants au Québec (1840–1950), Montréal, VLB, 2003. Sur la réaction de la communauté juive, voir Tamara Myers, « On Probation: The Rise and Fall of Jewish Female Anti-delinquency Work in Interwar Montreal », dans Negotiating Identities in Nineteenth-and Twentieth-Century Montreal, sous la dir. de Bettina Bradbury et Tamara Myers, Vancouver, University of British Columbia Press, 2005.
  35. Voir Michel Foucault, Histoire de la sexualité, vol. 1, Paris, Gallimard, 2008 (1984); Robert Darby, « The Masturbation Taboo and the Rise of Routine Male Circumcision », Journal of Social History, vol. 36, no 3 (2003), p. 737–757.
  36. Voir Carolyn Strange, « From Modern Babylon to a City upon a Hill: The Toronto Social Survey Commission of 1915 and the Search for Sexual Order in the City », dans Patterns of the Past: Interpreting Ontario’s History, sous la dir. de Roger Hall et al., Toronto, Dundurn Press, 1988, p. 255–277; et Carolyn Strange, Toronto’s Girl Problem, Toronto, University of Toronto Press, 1995.
  37. Andrée Lévesque, « Éteindre le Red Light : les réformateurs et la prostitution à Montréal entre 1865 et 1925 », Urban History Review, vol. 17, no 3 (février 1989, p. 191–201.
  38. Lévesque, La norme et les déviantes, p. 62-63.
  39. Lévesque a montré que l’Église s’était rigoureusement opposée à ce rejet de la maternité (ibid., p. 63-64).
  40. Joan Sangster, « Creating Social and Moral Citizens: Defining and Treating DelinquentBoys and Girls in English Canada, 1920–1965 », dans Contesting Canadian Citizenship: Historical Readings, sous la dir. de Robert Adamoski, Dorothy E. Chunn et Robert Menzies, Peterborough, Ontario, Broadview Press, 2002, p. 337.
  41. Après 1940, on changea d’endroit et les examens furent pratiqués à la Maison de détention.
  42. BAnQ-M, bureau du Procureur général, correspondance, E 17, Rapport annuel de la CJDM pour 1924.
  43. Houston, « The “ Waifs and Strays” », p. 131.
  44. Mahood, Policing Gender, Class and Family, p. 118.
  45. Ibid., p. 136. Mahood note que Frank Mort propose d’y voir le moment où émergèrent les « conceptions militarisées de la sexualité masculine ».
  46. Choquet, « The Juvenile court », p. 233; Henderson, « Child Labour », p. 17.
  47. Bastien Pelletier, « Les agents de probation à la cour des jeunes délinquants de Montréal, 1912–1949 », mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, 2000, p. 88.
  48. Tamara Myers, « Deserting Daughters: Runaways and the Red Light District of Montreal before 1945 », dans Child Welfare and Social Action, 19th and 20th Centuries, sour la dir. de Pat Starkey et Jon Lawrence, Liverpool, University of Liverpool Press, 2001, p. 15–35.
  49. BAnQ-M, Fonds CJDM, 10 décembre 1918, affaire #5595, William S., 15 ans, accusé d’incorrigibilité. L’auteure a modifié les noms de l’accusé et des accusateurs, conformément aux exigences relatives à l’accès aux dossiers.
  50. Joan Sangster, « “Pardon Tales” from Magistrate’s court: Women, Crime, and the court in Peterborough County, 1920–1950 », Canadian Historical Review, vol. 74, no 2 (juin 1993), p. 161–197.
  51. BAnQ-M, Fonds CJDM, 29 juillet 1918, affaire #5166, Théodore F., 15 ans, arrêté pour vagabondage.
  52. BAnQ-M, Fonds CJDM, 27 mars 1918, affaire #4759, Thomas D., 13 ans, arrêté pour désertion.
  53. Carolyn Strange et Tina Loo, Making Good: Law and Moral Regulation in Canada, 1867–1939, Toronto, University of Toronto Press, 1997, p. 85–86.
  54. Steven Maynard, « The Emergence of the Homosexual as a Case History in Early Twentieth-Century Ontario », dans On the Case: Explorations in Social History, sous la dir. de Franca Iacovetta et Wendy Mitchinson, Toronto, University of Toronto Press, 1998, p. 67.
  55. Steven Maynard, « Through a Hole in the Lavatory Wall: Homosexual Subcultures, Police Surveillance, and the Dialectics of Discovery, Toronto, 1890–1930 », Journal of the History of Sexuality, vol. 5, no 2 (1994), p. 207–241.
  56. L’enquête est conservée dans les dossiers confidentiels de BAnQ-Q, bureau du Procureur général, correspondance, E 17, 5608/16, sous le titre : « Enquête tenue par le Dr F. H. Daignault, Inspecteur des Prisons, Asiles et Bureaux Publics de la Province de Québec, conformément aux instructions contenues dans une lettre de M. Charles Lanctôt, C.R., Assistant-procureur général, 6 décembre 1916 ».
  57. Voir Michel Dorais, Don’t Tell: The Sexual Abuse of Boys, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2002.
  58. Voir Tamara Myers, Caught: Montreal’s Modern Girls and the Law, 1869–1945, Toronto, University of Toronto Press, 2006.
  59. Voir Tamara Myers, « Qui t’a débauchée?: Female Adolescent Sexuality and the Juvenile Delinquents’ court in Early Twentieth-Century Montreal », dans Family Matters: Papers in Post-Confederation Canadian Family History, sous la dir. de Lori Chambers et Ed Montigny, Toronto, Canadian Scholars Press, 1998, p. 377–394.
  60. BAnQ-M, Fonds CJDM, 26 septembre 1918, affaire #854, Romulus M., 14 ans, accusé de vagabondage.
  61. Tamara Myers, « Women Policing Women: A Patrol Woman in Montreal in the 1910s », Journal of the Canadian Historical Society, vol. 4, no 1 (1993): p. 229–245.
  62. BAnQ-M, Fonds CJDM, 10 novembre 1943, affaire #5319.
  63. Le comité anglophone de la cour des jeunes délinquants de Montréal, plus restreint et non catholique, qui s’occupait des enfants protestants et juifs, avait accepté dans les années 1920 la collaboration du Montreal Montreal Mental Hygiene Institute. Les agents de probation anglophones s’adressaient à ces psychiatres, qui procédaient également à des recherches sur les populations délinquantes par l’entremise de la cour.
  64. Voir, par exemple, Valère Massicotte, La délinquance juvénile et la guerre, Montréal, Œuvre des Tracts, 1944, p. 6. En évaluant le taux croissant de délinquance juvénile, il demande si le garçon présente un retard mental ou s’il est « anormal » et « incapable de réprimer ses instincts pervers. »
  65. Frederick Wright, directeur, Bureau des services municipaux, Montréal, « Juvenile Delinquency », Municipal Review of Canada, vol. 40, no. 3 (mars 1944), p. 1. Voir aussi Jeffrey A. Keshen, Saints, Sinners, and Soldiers: Canada’s Second World War, Vancouver, University of British Columbia Press, 2004, ch. 8.
  66. Montreal Gazette, 22 janvier 1941; Mary Brechin, « Danger: Child Growing Up », Maclean’s Magazine, 15 août 1943. Baruch Silverman, directeur de la Mental Hygiene Institution, remarque l’agitation et l’humeur changeante des jeunes à Montréal : Montreal Gazette, 20 janvier 1943.
  67. Wright, « Juvenile Delinquency », p. 1.
  68. Massicotte, La délinquance juvénile, p. 10.
  69. Keshen, Saints, Sinners, and Soldiers, p. 136.
  70. BAnQ-M, Fonds CJDM, 20 février 1943, affaire #3371.
  71. BAnQ-M, Fonds CJDM, 31 mars 1943, affaire #3696. L’affaire de Rosaire est revenue devant le tribunal en 1946, à cause de son refus de prendre ses médicaments contre les maladies vénériennes.
  72. Montreal Police Juvenile Guide, sous la dir. de Dollard Baudoin, no 1, Montréal, à compte d’auteur, novembre 1950, p. 169.
  73. Voir David Niget, « Jeunesses populaires sous le regard de la justice: Naissance du tribunal pour enfants à Angers et Montréal (1912–1940) », thèse de doctorat, Université d’Angers, 2005, p. 420–421.
  74. BAnQ-M, Fonds CJDM, 17 avril 1944, affaire #6362. Rapports des docteurs Marcotte, Plouffe et O’Reilly.
  75. BAnQ-M, Fonds CJDM, 6 novembre 1944, affaire #7557.
  76. BAnQ-M, Fonds CJDM, 20 septembre 1944, affaire #7309, Armand C., 16 ans; 18 septembre 1944, affaire #7276, Roger D., 17 ans.
  77. BAnQ-M, Fonds CJDM, 7 novembre 1942, affaire #2572, Jean G., 13 ans.
  78. BAnQ-M, Fonds CJDM, 26 septembre 1944, affaire #7345. Rapport de l’agent de probation René Dupuis. Rien n’indique que le Dr Marcotte a procédé à l’évaluation.
  79. BAnQ-M, Fonds CJDM, 31 mars 1944, affaire #6266.
  80. BAnQ-M, Fonds CJDM, 24 mars 1944, affaire #6214.
  81. BAnQ-M, Fonds CJDM, 28 juin 1943, affaire #4424.
  82. BAnQ-M, Fonds CJDM, 13 octobre 1944, affaire #7435.
  83. BAnQ-M, Fonds CJDM, 4 juillet 1944, affaire #6845.
  84. BAnQ-M, Fonds CJDM, 23 août 1943, affaire #4761.
  85. BAnQ-M, Fonds CJDM, 7 septembre 1943, affaire #4843 et affaire #4848.
  86. BAnQ-M, Fonds CJDM, 1 février 1943, affaire #3141 et affaire #3144.
  87. BAnQ-M, Fonds CJDM, 9 août 1943, affaire #4686.
  88. BAnQ-M, Fonds CJDM, 19 juillet 1940, affaire #1333 et affaire #1312.
  89. BAnQ-M, Fonds CJDM, 12 décembre 1940, affaire #2416.
  90. BAnQ-M, Fonds CJDM, 31 août 1944, affaire #7147, Jean-Paul B.
  91. BAnQ-M, Fonds CJDM, 23 mars 1940, affaire #538.
  92. BAnQ-M, Fonds CJDM, 26 février 1943, affaire #3420.
  93. BAnQ-M, Fonds CJDM, 1er mars 1940, affaire #375.
  94. BAnQ-M, Fonds CJDM, 9 février 1944, affaire #5877; voir aussi 20 juin 1944, affaire #6773.
  95. BAnQ-M, Fonds CJDM, 5 décembre 1940, affaire #2378.
  96. BAnQ-M, Fonds CJDM, 3 novembre 1944, affaire #7549.
  97. BAnQ-M, Fonds CJDM, 1er avril 1940, affaire #591.
  98. BAnQ-M, Fonds CJDM, 4 mars 1943, affaire #3476.
  99. Tamara Myers et Mary Anne Poutanen, « Cadets, Curfews, and Compulsory School: Regulating Youth in WWII Quebec », Histoire sociale/Social History, vol. 38 (2005), p. 367-398.

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