5 Le cléricalisme juridique et l’enseignement de la culture juridique dans l’Archidiocèse de Québec, 1852-1898

Brian Young

Traduit de l’anglais par Denis Lessard[1]

Il est important de reprendre conscience de la dimension religieuse de notre tradition juridique, y compris ses fondements dans diverses manifestations de la doctrine chrétienne, afin de réagir créativement à cette nouvelle ère de l’histoire mondiale dans laquelle nous sommes entrés… -Harold J. Berman[2]

La religion peut être créatrice de règles de droit, soit par la médiation de la morale, soit même directement : elle peut aussi renvoyer au pouvoir laïc la charge de légiférer. -Jean Carbonnier[3]

Les historiens du droit connaissent bien la modernisation du droit civil, criminel et procédural au Québec. On constate toutefois le peu d’attention accordée à l’importance du droit ecclésiastique dans le Québec de la fin du XIXe siècle[4]. En France, l’évolution de la laïcité a connu son apogée dans la célèbre Loi de séparation des Églises et de l’État, datant de 1905. Par contre, le Québec représentait un espace idéologique caractérisé par une Église de plus en plus autoritaire, par l’expansion de ses institutions confessionnelles, et par l’intrusion vigoureuse des clercs dans les discours concernant la « nation »[5]. Dans ce contexte, l’application du droit canonique, l’adaptation de ce système universel de droit religieux aux particularités nationales, linguistiques et culturelles du Québec, la fusion et la légitimisation de ce système avec le droit positif du législateur laïque, ainsi que le développement de l’enseignement et des modalités de communication visant à propager le droit ecclésiastique, forment une composante essentielle de la culture juridique québécoise[6].

Ce « cléricalisme juridique » s’est manifesté le plus visiblement dans un cadre institutionnel au sein de la société laïque par la fondation d’une université catholique en 1852. Pour s’assurer de la formation adéquate en sciences du corps professoral de l’Université Laval dans une perspective catholique, le Séminaire de Québec a envoyé ses plus brillants diplômés à Rome, Louvain et Paris, pour accomplir des études doctorales. À leur retour d’Europe, les intellectuels formés au droit assurèrent, à la Faculté de théologie de l’Université Laval, l’enseignement du droit canon en tant que système juridique scientifique doté de son langage propre, de son histoire, de ses procédures, de sa hiérarchie et de ses tribunaux[7]. Pour leur part, les spécialistes de l’histoire ecclésiastique, du droit civil, de la philosophie et même de la médecine allaient enseigner l’application du droit ecclésiastique dans les cours des facultés de droit, des arts et de médecine. Hors du cadre institutionnel de l’Université et dans le but d’influencer les pratiques dans les paroisses, les tribunaux et les cabinets médicaux, les autorités archidiocésaines produisirent une série de publications juridiques, autant que possible rédigées par des clercs. Cet effort fut davantage soutenu dans les secteurs juridiques concernant la famille, l’éducation, les associations et la moralité publique, avec beaucoup moins d’impact dans les secteurs du droit criminel ou commercial.

Cette contribution examine la mise en place de la culture juridique catholique dans l’éducation de quatre groupes professionnels. Il s’agit d’abord de l’éducation juridique des étudiants en théologie et des prêtres. En tant que soldats de l’Église, les prêtres avaient la responsabilité de l’application locale d’une série de lois canoniques et laïques concernant l’administration paroissiale, la conduite des clercs, ainsi que les questions quotidiennes se rapportant au mariage, aux écoles, à la santé publique et à l’état civil. Avec la modernisation et la croissance démographique de l’État québécois, ces prêtres ont eu besoin d’une solide formation universitaire en droit canon, puis d’une formation continue sur les rapports de plus en plus complexes entre le droit ecclésiastique et le droit laïque.

L’éducation et l’administration de ce clergé paroissial en expansion impliquaient l’éducation d’une nouvelle élite cléricale composée de professionnels du domaine juridique, formés pour l’enseignement ou l’administration de l’Église, en qualité de vicaires ou d’évêques. Choisis parmi la crème des diplômés en théologie, les jeunes prêtres canadiens-français prometteurs furent envoyés en nombre croissant, après 1854, pour faire des études de troisième cycle en droit canon dans les collèges pontificaux.

Les autorités ecclésiales, qu’elles soient gallicanes ou ultramontaines, n’ont d’ailleurs pas limité leur intérêt à l’éducation juridique universitaire des membres d’ordres religieux. Les étudiants des facultés de droit québécoises représentaient les juristes laïques de demain. À titre d’avocats, de juges et de politiciens, ceux-ci faisaient également face à de délicates responsabilités juridiques et législatives dans les domaines juridiques qui se chevauchaient entre l’Église et l’État, tels que le mariage, le divorce ou la séparation, les droits de propriété de l’Église relativement aux seigneuries et aux exemptions de taxes municipales, le contrôle par l’État des droits ecclésiastiques de succession, la perception de la dîme ou l’ordre à l’église[8]. De plus, il n’y avait rien d’unique dans cet effort des autorités religieuses visant à influencer les « habitudes » et le caractère des étudiants en droit. Par exemple, l’évêque anglican John Strachan a mentionné leur besoin « d’acquérir des vues et modes de pensée similaires, et de recevoir un enseignement basé sur les préceptes et l’exemple[9] ».

Le quatrième groupe mentionné brièvement ici était celui de la médecine, avec la convergence, au sein de cette profession, des pratiques de modernisation en chirurgie, en pharmacie et en soins palliatifs, avec l’éthique juridique ecclésiastique en évolution, à propos de l’avortement, des droits du fœtus versus ceux de la mère, du baptême des nouveau-nés par les médecins, ou de l’administration des narcotiques en fin de vie. L’enseignement de l’éthique juridique canonique aux étudiants en médecine et aux jeunes praticiens requérait la création de facultés catholiques spécialisées, la surveillance morale de l’enseignement à la faculté de médecine et la production de textes dans le domaine de l’éthique juridique, en vue de la formation continue des médecins.

Cette formation aux principes juridiques catholiques adressée aux professionnels cléricaux et laïques comportait plusieurs dimensions institutionnelles, déontologiques et communicationnelles. Le déplacement de la formation des professionnels en droit et en théologie, depuis les externats et les séminaires vers les facultés universitaires catholiques, représentait un phénomène observé à l’échelle internationale dans des métropoles catholiques telles que Dublin, Baltimore, Paris et Rome. Cette question s’est posée de façon particulièrement aiguë au Bas-Canada, puisque les autorités catholiques se retrouvaient devant le fait accompli de la fondation, en 1821, de l’Université McGill – non confessionnelle, bien que protestante – et de ses facultés professionnelles de médecine (1829) et de droit (1848). L’octroi d’une charte par les autorités britanniques et l’édification, dans la colonie de Sa Majesté, de l’Université Laval, française et catholique, fut un accomplissement politique remarquable facilité par les autorités du Séminaire de Québec[10]. Doté d’une charte laïque, le Séminaire de Québec travailla de sorte que le séminaire et l’université forment ce que Nive Voisine a appelé « un monde clos » ou encore, comme l’expriment les auteurs de l’Histoire de Québec et de sa région : « En réalité, l’Université Laval et le Séminaire de Québec ne font qu’un […] [11] ». Le contrôle exercé par le Séminaire sur la constitution, l’administration, les programmes d’enseignement et les nominations au sein du corps professoral de l’Université Laval assurait la stabilité institutionnelle tout en ayant une influence idéologique durable sur la formation des étudiants dans l’ensemble de l’université.

De pair avec l’établissement d’une université catholique survenait la modernisation des communications entre l’administration centrale de l’Archidiocèse et le clergé sur le terrain. Historiquement, le clergé des paroisses se basait sur le Rituel du diocèse du Québec, un guide d’administration paroissiale publié pour la première fois en 1703 et complété par des instructions régulières envoyées par l’archevêque sous forme de lettres pastorales, de mandements et de circulaires[12]. Fortes de leur expérience dans l’utilité des maisons d’édition catholiques, des bibliothèques de presbytères, des photographies, du service postal et des visites d’inspection diocésaines par voie ferroviaire, les autorités ecclésiales prirent des mesures pour améliorer leurs communications. Ainsi, en 1855, Léger Brousseau fut nommé imprimeur officiel de l’Archidiocèse, avec la responsabilité de la publication des manuels scolaires, des catéchismes et du Courrier du Canada. Il fut l’imprimeur du principal tract juridique de l’archevêque, Discipline du diocèse de Québec[13]. Sur le plan juridique, les autorités archidiocésaines accordèrent une attention particulière à la production de plusieurs textes didactiques (voir Tableau 1). Ces ouvrages, de plus en plus rédigés par des clercs, avaient recours à des formes scientifiques d’ordonnancement juridique incluant des procès-verbaux, de la terminologie et de l’indexation juridique, alternant entre le latin, langue du droit canon, et les langues vernaculaires de la Coutume de Paris et de la common law d’Angleterre.

Qu’est-ce que cela signifie dans la pratique ? En gros, nous pouvons affirmer que des jeunes catholiques choisis arrivaient dans les facultés professionnelles avec une compréhension de base de l’éthique catholique. Celle-ci était acquise dans le cadre de leurs classes de confirmation paroissiales, de cours d’histoire, de citoyenneté et de droit, dispensés dans les écoles catholiques, puis lors des cours obligatoires de philosophie offerts dans les douze collèges-séminaires de l’Archidiocèse (en date de 1879)[14]. Dans ces derniers cours, les étudiants apprenaient la définition des termes « autorité », « conscience », « consentement », « devoir », « équité », le droit « éternel » versus « législatif », « ordre », « société » et « vertu »[15]. Cette culture d’élite commune ou idéologie « normative » , comme l’appelait Foucault, parsemait l’étude du droit d’interprétations implicites sur les plans politique, territorial et ethnique[16]. Aux côtés de la longue histoire du christianisme et de ce que l’archevêque appelait « les règles éternelles de la justice », l’Église du Québec, selon son interprétation, bénéficiait d’une protection sous la Couronne britannique[17]. La conquête britannique, et l’Acte de Québec qui en est résulté, furent présentés dans les cours d’histoire canadienne au séminaire, comme dans les cours d’histoire du droit et d’histoire de l’Église enseignés dans les facultés de droit et de théologie, comme des indicateurs de diplomatie ecclésiale efficace, de largesse britannique envers les catholiques et d’un tampon monarchique contre les ravages de l’anticléricalisme français. Pour sa part, l’environnement catholique québécois revêtit de nouvelles formes juridiques et administratives. On créa des paroisses « nationales » séparées pour les Irlandais catholiques de langue anglaise, tout en réprimant sévèrement la culture populaire irlandaise qui leur était associée. On découragea de plus les relations institutionnelles étroites avec les protestants et l’on réitéra la stricte interdiction des mariages interconfessionnels[18]. La construction d’une identité nationale francophone et catholique, essentiellement distincte des communautés irlandaises, protestantes et autochtones, n’était pas un phénomène statique. En effet, pour l’Église, elle nécessitait un ajustement constant des stratégies juridiques ecclésiastiques lorsqu’elles s’appliquaient à des questions liées à la constitution, à la famille et au travail. Il suffit de penser à la présomption, par le nouveau gouvernement fédéral, d’une juridiction civile concernant le mariage et le divorce (1867), l’infaillibilité papale (1870), le droit d’association dans un syndicat (1872) ou les droits et devoirs du capital et du travail (Rerum novarum, 1891). Dans le contexte turbulent des relations entre l’Église et l’État, avec notamment l’affaire Guibord, l’influence « indue » sur les élections et les crises pancanadiennes au sujet des écoles séparées, les praticiens du droit avaient besoin d’une solide base de principes juridiques catholiques.

La formation juridique des prêtres

Pour quelles raisons le Séminaire a-t-il tant investi dans l’édification d’une université catholique, dans des études de troisième cycle à Rome pour ses meilleurs étudiants et dans le fait d’orienter ces étudiants diplômés vers des doctorats en droit canon, plutôt qu’en théologie? J’ai fait allusion au caractère central de la paroisse dans la vie religieuse et sociale au Québec. La paroisse, institution érigée civilement et soumise au droit civil, avait également un statut ecclésiastique qui la rendait soumise au droit canon, à la juridiction des tribunaux d’Église et à l’autorité de l’évêque. Ainsi, aux côtés de sa forme civile, la paroisse était ce qu’un commentateur du XIXe siècle a décrit comme « le premier degré de l’échelle ecclésiastique ». Un autre, qui écrivait en France, a fait remarquer que « depuis au moins la mutation féodale, la paroisse est une structure d’ordre »[19]. Dans la hiérarchie de l’Église, la paroisse représentait le quotidien, l’ordinaire, l’humain, et l’application du droit canon au chevet des mourants, pour l’arbitrage de la légitimité dans le cloaque des fautes charnelles et le jugement des énigmes entourant la consanguinité.

À cela s’ajoute le statut civil de la paroisse, ce que Donald Fyson appelle, en référence à la période antérieure à 1840, « l’élément fondamental de la structuration de l’espace rural par l’administration coloniale[20]. » En plus d’être le père spirituel de la communauté et le gardien des sacrements, le prêtre d’alors était un « fonctionnaire » qui lisait les ordonnances de l’État et appliquait la loi étatique se rapportant aux mesures de santé publique, concernant les épidémies et les cimetières, ou à l’enregistrement des statistiques civiles[21]. Avant l’arrivée d’un notaire résidant, les archives du prêtre, sa bibliothèque, ses comptes financiers et ses registres constituaient, peut-être avec les comptes du seigneur, les principaux documents écrits de la communauté. Il n’est donc pas surprenant que la formation juridique du prêtre et sa formation continue, dans les régimes de droit ecclésiastique et civil en évolution, étaient d’une importance capitale pour les autorités de l’Église.

Les prêtres étaient formés au Séminaire de Québec depuis la fondation de son Grand Séminaire, en 1663. Toutefois, avec la demande croissante de prêtres, au milieu du XIXe siècle, pour desservir les populations grandissantes en milieu rural, urbain, et parmi les Irlandais d’expression anglaise, les collèges théologiques de Québec et de Montréal assouplirent leurs critères pour admettre des étudiants ayant une connaissance minimale du latin et, par conséquent, une compréhension rudimentaire du droit canon, de l’histoire de l’Église et de sa culture[22]. Cette faiblesse de l’enseignement du droit canon était un phénomène à l’échelle internationale. Lors du troisième conseil plénier de Baltimore (1884), réunissant quatorze archevêques et soixante-et-un évêques américains, on mit l’accent sur cette lacune du droit canon. Les membres du clergé américain devaient parler et écrire en latin et leur formation théologique, d’une durée de quatre ans, devait inclure des cours de droit canon. Au Canada, l’évêque de Kingston déplorait que « la masse du clergé canadien n’est pas suffisamment éduquée[23]. » Aux États-Unis comme au Canada, on présentait les retraites annuelles comme des contextes privilégiés pour des cours de rattrapage en droit. En principe, les prêtres américains devaient passer un examen tous les cinq ans pour évaluer leurs compétences dans les Saintes Écritures, le droit canon et l’histoire de l’Église[24]. En Amérique du Nord, le droit canon revêtit une nouvelle importance à la suite d’un décret émis par la Sacrée Congrégation, régissant la création des tribunaux épiscopaux. Dans l’Archidiocèse de Québec, ce tribunal appelé l’Officialité fut fondé en 1880. Composé d’un juge, d’un procureur diocésain, d’un avocat de la défense et d’un chancelier, il tenait des procès portant sur des causes disciplinaires ou matrimoniales et réglait les litiges au sein du clergé[25].

Un manuel de droit ecclésiastique à l’usage des paroisses

Historiquement et sans changement à la suite de la conquête britannique, les instructions religieuses et juridiques pour l’administration des paroisses catholiques étaient essentiellement contenues, comme nous l’avons vu, dans le Rituel de Québec, publié pour la première fois en 1703. Cent cinquante ans plus tard, ni les annexes périodiques au Rituel, ni une deuxième édition épuisée ne sont apparues satisfaisantes pour un archevêque ambitieux, préoccupé par les règles disciplinaires de l’archidiocèse. Pour déterminer si l’absolution pour hérésie demeurait tel qu’énoncé dans le Rituel, une prérogative du prêtre de paroisse, Taschereau dut pondérer la doctrine de l’Ancien Régime appliquée en Nouvelle-France, en regard des décrets pontificaux subséquents[26]. Pour ajouter à sa frustration, les statuts découlant de quatre synodes provinciaux, essentiels à la modernisation de l’administration ecclésiale, étaient passés presque inaperçus sous forme d’annexes au Rituel ou d’encarts distribués avec les Mandements et les lettres pastorales, puis sous la forme d’un Recueil publié en 1859 et réimprimé en 1865. De plus, avec l’hostilité grandissante entre les positions gallicanes et ultramontaines, les responsables de l’Archidiocèse souhaitaient mettre en place un programme gallican de publications qui pourrait rivaliser avec les manuels de droit publiés à Montréal sous le parrainage de l’évêque Ignace Bourget[27].

Nommé archevêque en 1871, Taschereau, formé selon la tradition scientifique du Séminaire de Québec et le droit canon des collèges pontificaux, décida personnellement de rédiger un manuel complet, bien structuré et classé par ordre alphabétique[28]. Premier point révélateur, il supprima de son titre le terme « Rituel » pour le remplacer par « Discipline ». Publiée pour la première fois en 1879, révisée lors d’une deuxième édition par son coadjuteur Louis-Nazaire Bégin en 1895, puis dans une troisième édition par le cardinal J.-M. Rodrigue Villeneuve en 1937, la Discipline du diocèse de Québec était conçue comme un manuel destiné aux prêtres de paroisse. Totalisant 303 pages, organisé par sujets, cet ouvrage comportait un index de douze pages, une liste alphabétique des questions traitées par les synodes provinciaux et une bibliographie renfermant des sources juridiques romaines, françaises et canadiennes. L’obéissance cléricale à la Discipline était une obligation. Principalement rédigé en français, ce volume passait au latin pour les sujets de droit canon tels que le mariage, la confirmation et la communion. Les sujets comme « cimetière », qui comportaient à la fois des dispositions de droit canon et de droit civil, alternaient entre le latin et le français.

Dans sa préface, Taschereau expliquait son plan pour un vaste recueil qui comprendrait « tout ce qui appartient à la discipline générale de la Province Ecclésiastique de Québec ». Visant spécifiquement ce que l’archevêque appelait les « circonstances actuelles », c’est-à-dire son applicabilité dans les paroisses, la Discipline incluait des sujets provenant des « lois générales de l’Église », des statuts provinciaux et des mandements en provenance de Rome et de sa propre autorité. Tout en résumant le droit ecclésiastique, l’archevêque, un gallican résolu, à la fois de par sa formation et sa tradition familiale, incluait un choix de statuts provinciaux, de lois civiles et de décisions judiciaires. Ces éléments aideraient à « faire mieux connaître au clergé sa position vis-à-vis l’autorité civile[29]. » Faisant appel au « patriotisme » et à la conscience sociale des prêtres, la Discipline plongeait profondément dans la dimension laïque, insistant à maintes reprises sur la réciprocité entre les régimes législatifs civil et ecclésiastique au Québec, et la nécessité de la soumission cléricale au Code civil et aux lois provinciales. Par exemple, sous la rubrique « Agriculture », l’archevêque insistait sur un soutien zélé du clergé à la promotion par la province des techniques agricoles progressistes. Et de poursuivre : « C’est notre clergé qui a toujours tenu le sceptre des fortes études littéraires et scientifiques dans notre pays; […] c’est lui qui […] [a] contribué très puissamment à perfectionner l’agriculture et à accroître le bien-être matériel de notre peuple[30]. »

La lecture de l’édition de 1879 de la Discipline et de la version révisée de 1895 donne une forte impression des changements rapides et de la préoccupation de l’Archidiocèse en regard de l’instruction du clergé des paroisses concernant la pénétration croissante du droit laïque dans des domaines traditionnellement ecclésiastiques. Un nouveau vocabulaire – « l’heure moyenne de Greenwich », « hygiène » et « statistiques » – fut introduit parallèlement à la législation récente sur les inhumations lors d’épidémies et la pollution de l’eau dans les cimetières d’églises. Les nouvelles organisations telles que les services de santé publique, le bureau de recensement et le laboratoire universitaire ont nécessité des mises à jour juridiques auprès du clergé des paroisses, notamment sur la compréhension du terme « corps », du registre d’état civil et de leurs responsabilités légales quant à leurs rapports aux responsables de l’État. La demande croissante de cadavres humains pour les cours universitaires d’anatomie avait donné lieu à la Loi sur l’anatomie (1883) et à l’obligation pour les autorités des hôpitaux et des hospices de remettre aux laboratoires universitaires les corps des personnes décédées dans des institutions publiques. Afin d’aider le clergé à la remise et à l’enregistrement des cadavres des indigents, l’édition de 1895 de la Discipline se vit augmentée d’une nouvelle section intitulée « Dissection », qui expliquait les procédures de remise et d’enregistrement des corps, la sépulture « convenable » ultérieure et le non (ré-)enregistrement des corps démembrés[31].

Sur les terrains mouvants du Bas-Canada, où l’on remettait notamment en cause la dîme, les redevances banales et autres droits de propriété seigneuriaux, les autorités ecclésiales exercèrent de fortes pressions pour défendre leurs droits. Les « testaments » et les successions cléricales offrent un exemple de la synthèse par Taschereau, dans sa Discipline, d’ouvrages historiques de droit canon comme De successionibus ab intestato, qui remontait au recueil de Gratien datant du XIIe siècle, et des principes de la common law concernant la liberté testamentaire autorisée par l’Acte de Québec[32]. Les instructions de l’archevêque étaient précises et rédigées en français. Elles informaient le clergé en citant les dispositions du droit séculier afin d’exploiter au maximum les legs à des fins pieuses[33]. La section « Testament », l’une des plus longues du volume de 1895, adressait aux prêtres huit pages d’instructions sur la préparation du testament. Les prêtres y apprenaient qu’ils n’étaient plus soumis, sous la juridiction britannique, aux pratiques testamentaires et aux traditions culturelles de la Coutume de Paris, en vertu desquelles ils avaient historiquement constitué bénéficiaires leurs mères veuves, d’autres membres de leur famille ou leurs gouvernantes[34]. En vertu de l’Acte de Québec, la liberté testamentaire permettait en bonne conscience aux prêtres de faire des legs à l’Église plutôt qu’à leur famille. La Discipline affirmait que cette liberté avait été confirmée dans « notre Code civil », selon les termes suivants : « l’on peut tester en faveur de qui l’on veut, même en faveur de son confesseur, médecin […][35]. » L’ouvrage soulignait la validité du testament olographe et non notarié, les instructions comprenant un modèle de testament que les prêtres n’avaient qu’à remplir. Les testaments devaient être mis à jour annuellement et 28 corporations religieuses étaient énumérées en tant que bénéficiaires appropriés[36].

Les études doctorales en droit canonique

Revenons au thème de la professionnalisation. L’Église québécoise, de plus en plus confiante dans ses relations métropolitaines avec Londres et Rome, commença à envoyer des jeunes clercs étudier dans les collèges pontificaux. Ce processus a atteint son apogée avec la fondation du Collège canadien de Rome, en 1888. L’objectif était de constituer une élite cléricale administrative et pédagogique dirigée par des professionnels du droit formés dans les collèges pontificaux. En particulier, la Faculté de théologie de l’Université Laval, nouvellement fondée, était pilotée par un corps professoral dont les membres détiendraient idéalement des doctorats émis par Rome dans les disciplines du droit canon, de l’histoire ecclésiastique et de la théologie. Le droit canon, notamment, était considéré comme une science juridique associée à la longue histoire de l’université en Europe, au rôle dans l’enseignement du « docteur » en droit et au développement du droit en tant que discipline universitaire « scientifique »[37]. Avec l’imbrication de l’Université et du Séminaire, il avait été prévu que la Faculté de théologie enseignerait les sciences ecclésiastiques du droit canon, de l’histoire de l’Église et de la théologie, tandis que le Séminaire assurerait l’apprentissage spirituel et pastoral des étudiants en théologie.

Deux ans après la fondation de l’Université Laval en 1852, le Séminaire de Québec envoyait Elzéar-Alexandre Taschereau étudier le droit à Rome. Premier clerc canadien à obtenir un doctorat en droit canon, Taschereau était un choix évident. Ordonné prêtre en 1842, il descendait d’une famille aristocratique de seigneurs et de juristes. Son père, son grand-père et son arrière-grand-père étaient d’éminents juristes et législateurs, son frère Jean-Thomas Taschereau Jr. avait étudié le droit à Paris et allait siéger à la Cour Suprême du Canada et enfin, son beau-frère René-Édouard Caron fut président de la commission de codification qui allait produire le Code civil du Québec. Les Taschereau étaient associés aux plus prestigieuses maisons d’enseignement pour filles et garçons de Québec, les Ursulines et le Séminaire. Par ailleurs, la mère d’Elzéar-Alexandre Taschereau était la nièce de l’archevêque Jean-Claude Panet.

À Rome, Taschereau s’inscrivit au Séminaire pontifical français, un collège fondé en 1853, où deux de ses compagnons de classe devinrent respectivement évêques de Mans et de Nîmes[38]. Apparemment, les cours de droit canon étaient dispensés par l’École de droit canonique (Facoltà di Diritto Canonica e Diritto Civile) instituée en 1853 par Pie IX. Le programme d’études de Taschereau comprenait l’étude de l’histoire ecclésiastique, du Code de Justinien, du droit canon tel que systématisé dans le Decretum de Gratien, des écrits des intellectuels de l’Église et des décrets pontificaux. Il obtint son doctorat en droit canon de l’Apollinaire (Pontificia Università Lateranense)[39].

La formation juridique de Taschereau en Europe et son appartenance à une famille de juristes et de législateurs d’élite lui assurait l’accès à une carrière professorale ou administrative, plutôt que l’affectation à une paroisse. De retour à Québec en 1856, il gravit rapidement les échelons de l’administration : directeur du Petit Séminaire (1857-1859); directeur du Grand Séminaire (1859); supérieur du Séminaire de Québec (1860-1866). Ce dernier poste impliquait le rectorat de l’Université Laval où il occupa de nouveau les deux postes entre 1869 et 1871. Il collabora à la première charte de l’Université Laval en 1852, fut le premier professeur de droit canon à l’université, le premier doyen de la faculté de théologie et le deuxième recteur de l’institution. Nommé archevêque en 1871, il fut également visiteur de l’université et chancelier.

Le parcours de Taschereau, depuis ses études doctorales en droit canon, en enseignement universitaire puis aux postes de la haute administration, n’était pas un cas unique. À titre de recteur de l’Université Laval, Taschereau envoya Louis-Nazaire Bégin, de vingt ans son cadet, faire des études doctorales en droit canon à l’Université pontificale grégorienne[40]. Professeur de théologie à Laval, membre de la Société royale du Canada, auteur d’une histoire du Canada, principal de l’école normale Laval, évêque de Chicoutimi, archevêque de Québec et cardinal, Bégin siégea également au conseil universitaire de Laval en tant que directeur du Petit et du Grand Séminaire. Sa formation juridique lui fut particulièrement utile lors de la préparation d’une deuxième édition de la Discipline du diocèse de Québec de Taschereau[41]. Au moins quatre autres jeunes diplômés du Grand Séminaire de Québec furent envoyés à Rome pour compléter un doctorat en droit canon durant la même période et deux d’entre eux devinrent évêques au Québec[42].

L’enseignement et les manuels de droit canonique à l’Université Laval

Bien que fondée en 1852, Laval n’ouvrit sa Faculté de théologie qu’en 1866. À son retour de Rome, Taschereau enseigna d’abord le droit canonique au Grand Séminaire et devint en 1866 le premier professeur de droit canon à Laval, puis le premier doyen de théologie[43]. On a conservé plusieurs documents d’archives sur les lectures de Taschereau parmi les principaux canonistes européens, les notes de recherche pour son histoire du Séminaire et ses plans de cours en droit canon, en histoire, en théologie et en astronomie[44]. À son accession au rang d’archevêque en 1870, il ne fut pas remplacé par un spécialiste attitré. Au cours des vingt-cinq années suivantes, les cours de droit canon furent offerts de façon intermittente par les professeurs Joseph-Édouard Feuiltault et Louis-Nazaire Bégin. Ces derniers détenaient des doctorats en droit canon, mais la principale responsabilité de Feuiltault était l’enseignement de la théologie, tandis que Bégin enseignait l’histoire ecclésiastique[45]. Ce recul dans l’enseignement du droit canon donna lieu à des plaintes. En 1874, on déconseilla au recteur de Laval d’envoyer l’annuaire de l’université aux responsables du Vatican, parce que ce document démontrait qu’« il ne se donne pas une leçon de droit canonique dans l’université catholique de Québec et qu’il n’y a pas de professeur de cette science, jugée si nécessaire à Rome même dans le plus humble grand séminaire[46]. »

Il fallut attendre jusqu’en 1896 pour que Joseph-Narcisse Gignac soit nommé à la Faculté de théologie comme spécialiste en droit canonique, un poste qu’il occupa jusqu’à son décès en 1936. Détenteur d’un doctorat romain en théologie et en droit canonique, Gignac se décrivait comme faisant partie d’un petit groupe placé sous le mentorat du cardinal Taschereau[47]. Dans le même esprit que Taschereau, il favorisait l’enseignement du droit canon en tant que discipline dont l’influence devait aller au-delà des collèges théologiques pour atteindre l’Université, les collèges classiques et les paroisses[48]. En consultant les plans de cours de quatre professeurs de Laval – Taschereau, Feuiltault, Bégin et Gignac – disponibles dans les archives du Séminaire de Québec, nous avons une idée précise du contenu de leurs cours. De plus, les notes de cours des étudiants montrent que ces derniers copiaient machinalement ces ouvrages de droit canon[49]. Parrainé par l’archevêque Bégin, le cours de Gignac publié en deux volumes sous le titre Compendium Juris Canonica de Personis (1901) devint le texte standard en droit canon au Québec[50].

Tout comme pour leurs collègues civils à la faculté de droit, on faisait appel aux professeurs de droit canonique pour arbitrer des questions d’ordre juridique. En 1861, on demanda à Taschereau si un prêtre pouvait détenir des actions de sociétés comme la Banque Nationale ou d’une compagnie ferroviaire[51]. De son côté, Gignac travailla à titre de consultant en droit canonique sur des questions allant des disputes relatives à des successions cléricales, à l’interprétation des chartes universitaires et à l’établissement des juridictions respectives du droit canon et des tribunaux civils[52].

Tels qu’enseignés à l’Université Laval jusque dans les années 1930, les cours de droit canon allaient bien au-delà des limites rigoureuses du jus canonicum[53]. Les curriculums de Taschereau et de Gignac démontrent qu’ils enseignent ce que l’on désignerait sous le nom de « civilisation catholique », en mettant fortement l’accent sur les rapports entre l’Église et l’État. Chacun de ces professeurs présentait deux chronologies de l’histoire chrétienne. La première était un canon ou cadre de longue durée, allant de Rome, du droit naturel et du Compendium de Gratien datant du XIIe siècle, jusqu’aux réformes du Concile de Trente. La seconde chronologie consistait en un récit contemporain centré sur le Québec et mettant l’accent sur la survie catholique dans une colonie britannique. Gignac décrit cette histoire comme étant « nationale » et montre le développement des droits juridiques catholiques au cœur de l’Amérique du Nord britannique. Dans une déviation inhabituelle du latin au français, il souligne l’attitude condescendante de la Grande-Bretagne envers l’Église au lendemain de la Conquête, sa tolérance à l’égard des catholiques, le maintien de la dîme après la Conquête et l’Acte de Québec en tant que jalon progressiste dans l’histoire de l’Église[54]. Passant à l’anglais, il cite le jugement du Conseil privé dans l’affaire Guibord (1874), avec son affirmation claire de la primauté du droit de l’État sur les règles de l’Église. Les diplômés de ces cours de droit canonique repartaient avec une conception à deux niveaux de l’historicité et une conscience toute gallicane du fait que le droit ecclésiastique était « un processus dialectique d’adaptation des règles à de nouvelles situations[55]. »

La dynamique évolutive entre l’Église et l’État au Canada fit de la formation continue en droit ecclésiastique un aspect d’intérêt vital pour les administrateurs de paroisses. L’archevêque Taschereau insistait sur le fait que le vicaire en particulier doit faire du droit canon et de l’histoire de l’Église « l’objet principal des études de toute sa vie [56] ».

La formation en culture juridique catholique à la Faculté de droit de l’Université Laval

La charge de l’enseignement des principes du droit ecclésiastique n’était pas limitée aux étudiants de théologie. On a fait mention des origines de la faculté de droit et de son corps professoral. Dans son histoire de la faculté de droit de Laval, Sylvio Normand souligne le rôle de l’Église comme « fondatrice » de l’université, dont la faculté de droit fait office de « galerie de modèles » pour les étudiants [57]. Augustin-Norbert Morin, juge de la Cour supérieure, codificateur et fervent défenseur de l’Église, constituait un choix exemplaire comme premier doyen. Parmi les membres de la faculté, tous à temps partiel et formés pour la plupart à Paris, l’on retrouvait Jean-Thomas Taschereau, le frère de l’archevêque, comme chargé de cours en droit commercial. Dans leur contrat avec Laval, les professeurs devaient accepter de n’enseigner aucun sujet « opposé à la morale ou à la foi de l’église catholique » et les plans de cours et les publications des membres de la faculté font ressortir leur orthodoxie[58]. Jacques Crémazie, secrétaire de la faculté et auteur d’un texte en droit civil, fondait typiquement son enseignement sur ce qu’il désignait comme « deux sortes de lois : les lois naturelles ou immuables et les lois positives ou arbitraires. » De leur côté, les étudiants du cours de droit administratif de François Langelier apprenaient que « nos lois ne supposent pas qu’il puisse exister des gens sans religion[59]. » Dans tous les cours dispensés à Laval, les lectures étaient soumises à l’Index catholique des ouvrages interdits[60]. Pour résoudre un dilemme dans la préparation des étudiants concernant le droit québécois de la famille et les questions liées au mariage et au divorce, l’archevêque accorda une dispense pour les lectures du Traité du mariage par Robert-Joseph Pothier.

Cette formation universitaire en droit était suivie de stages et de formations pratiques. Les étudiants faisaient des stages avec des avocats de tous horizons politiques, incluant des juristes ouvertement anticléricaux, comme Joseph Doutre[61]. Les autorités ecclésiastiques s’employaient également à démontrer, dans l’enseignement même du droit canon à la faculté de droit, le rôle de cette discipline au cœur même de la pensée juridique occidentale et à s’en servir pour souligner le droit historique de l’Église à l’autonomie par rapport à l’ingérence de l’État[62]. Depuis longtemps, les juristes français soutenaient l’importance du « droit commun de la chrétienté » comme sujet d’étude dans les facultés de droit à travers la France. Au cours des années 1840, André Dupin, auteur du Manuel du droit public ecclésiastique français, proposa la création de chaires de recherche en droit canon dans les facultés de droit françaises, avec pour mission particulière l’enseignement prodigué aux futurs juristes en matière de propriété ecclésiastique, d’administration paroissiale et de discipline religieuse [63].

De plus, l’archevêque ne pouvait se référer à des publications françaises ou romaines concernant le droit administratif applicable dans son archidiocèse sur des sujets comme l’état civil, les écoles ou l’ordre dans les églises. L’archevêque Charles-François Baillargeon incita donc Hector Langevin, avocat et rédacteur des Mélanges religieux, à préparer un manuel détaillé s’adressant aux étudiants, aux prêtres de paroisses et aux juristes. Frère de l’évêque de Rimouski et du vicaire général de l’archevêque Taschereau, Langevin avait une réputation gallicane impeccable. Avec une lettre de recommandation de Baillargeon en guise de préface, le Droit administratif ou manuel des paroisses et fabriques de Langevin (1863) résumait le droit civil et les décisions des tribunaux touchant l’administration paroissiale[64]. Au long des vingt-huit chapitres de son livre, Langevin évite les débats idéologiques en précisant simplement qu’il inclut des décisions juridiques contraires aux positions de l’Église, dans l’intérêt des praticiens. L’ouvrage réédité en 1878 fut jugé « excellent » par l’archevêque Taschereau[65]. Tandis que le manuel de Langevin devenait de plus en plus dépassé, les autorités se tournèrent vers le juriste Pierre-Basile Mignault, reconnu pour ses travaux en droit civil et sa croyance au droit coutumier. En 1893, Mignault publia Le Droit paroissial étant une étude historique et légale. Approuvé officiellement par l’archidiocèse, Mignault insistait délicatement sur son manque de compétence en droit canonique et sur le fait que son approche du droit paroissial était strictement du point de vue du droit civil[66].

Toutefois, ces ouvrages techniques rédigés par de prudents juristes séculiers ne rencontraient pas les préoccupations de l’Église en ce qui avait trait à l’enseignement dispensé aux étudiants de droit, notamment en matière des grands principes du droit ecclésiastique et des points de jonction critiques entre l’éthique catholique et la culture juridique québécoise. À l’occasion de leur cinquième concile provincial (1873), déchirés entre les visions gallicane et ultramontaine des relations entre l’Église et l’État, les évêques du Québec décrétèrent qu’il était essentiel, dans l’éducation des futurs juges, avocats, parlementaires et auteurs catholiques, que les professeurs, caractérisés par une « saine doctrine », « instruisent exactement » dans les collèges, les académies et les universités de la province. Cet enseignement devait être accompagné par un texte doublement approuvé, du fait qu’il était rédigé par des clercs versés en philosophie, en théologie et en droit, et par l’aval ultérieur des autorités ecclésiastiques. Publié en 1881 et comportant 79 pages, le Manuel du citoyen catholique était divisé en quinze leçons[67] :

  1. La famille, base naturelle de toute société humaine
  2. La société civile ou l’État
  3. La société religieuse ou l’Église
  4. La prééminence de l’Église sur l’État
  5. L’indépendance de l’Église vis-à-vis de l’État
  6. La subordination de l’État à l’Église
  7. Le pouvoir doctrinal de l’Église
  8. Le pouvoir législatif de l’Église
  9. Le pouvoir judiciaire de l’Église
  10. Le droit de l’Église à posséder des biens temporels et à les administrer
  11. L’union nécessaire entre l’Église et l’État
  12. L’appui mutuel que se doivent l’Église et l’État
  13. Les droits de l’Église relativement au mariage
  14. Les droits de l’Église relativement à l’éducation
  15. Les principaux devoirs politiques du citoyen catholique

Avec un fort penchant pour l’ultramontanisme, le Manuel évoquait le risque d’« erreurs » et la nécessité de purger le « Césarisme » de l’étude du droit au Québec. Citant l’insistance de Pie IX sur « l’obéissance absolue », l’ouvrage réaffirmait l’indépendance de l’Église et la subordination de l’État à l’Église. Il résumait ainsi les devoirs du citoyen catholique : « ses discours, ses votes, ses actes devraient toujours être en conformité avec ses croyances religieuses, et toujours aussi, inspirés par le désir le plus sincère et le plus efficace de procurer la gloire de Dieu et la prospérité de son pays[68]. »

En conclusion

Vers le milieu du XIXe siècle, les autorités ecclésiales du Québec avaient reconnu l’impasse de leurs méthodes d’enseignement anachroniques dans les séminaires et les cléricatures juridiques, ainsi que de l’utilisation de textes juridiques ecclésiastiques datant du début du XVIIe siècle. Elles devaient affronter de nombreux défis, dont le progrès scientifique, les directives de plus en plus rigides émanant de Rome, la sécularisation de la société civile, la création d’un état fédéral canadien, l’expansion des bureaucraties civiles dans des domaines comme la santé publique et les statistiques de l’état civil, ainsi que la professionalisation de l’éducation juridique, dans un environnement politique et judiciaire complexe ayant notamment donné lieu à l’affaire Guibord et à la question des écoles du Manitoba. Loin de se retrancher, les autorités archidiocésaines réagirent en intervenant dans l’éducation juridique des professionnels au moyen d’initiatives énergiques en matière de pédagogie et de publications. Ces propositions comprenaient la fondation d’une université catholique francophone, une intervention massive dans la culture juridique enseignée dans les facultés de théologie, de droit, des arts et de médecine, l’envoi en Europe de jeunes clercs, juristes et médecins pour y accomplir des études doctorales et la publication à l’interne de manuels et de commentaires par des intellectuels cléricaux. Loin d’être anachronique ou étranger, le droit canon était mis de l’avant comme discipline universitaire parallèle au droit romain, en tant que science juridique pertinente, dans le cadre de laquelle on pouvait donner une forme théorique et rationnelle aux enseignements moraux[69]. De plus, en tant que système juridique « parfait », le droit canon pouvait exercer une pression morale  sur la turpitude de la société en voie de laïcisation. Enfin, ce cléricalisme juridique dotait le droit québécois d’une historicité et d’une authenticité morale distinctes, en raison de son lien à la longue histoire du droit canonique et à la résistance contemporaine d’un peuple catholique et français minoritaire. À l’époque, le droit ecclésiastique pouvait être enseigné avec assurance en tant que pilier de l’Église/Nation et solide composante juridique parmi les traditions distinctes du Canada français sur les plans ethnique, linguistique et religieux.

Il faut reconnaître qu’il est difficile d’évaluer l’influence plus large qu’ont eu ces initiatives de la fin du XIXe siècle au niveau des institutions, de la pédagogie et des publications, sur les décisions des tribunaux, la profession juridique et la culture juridique québécoise. Nous ne l’avons pas tenté dans le cadre du présent texte. Cette difficulté s’avère particulièrement intéressante, au vu de la diversité québécoise et des différences entre les contextes sociaux et juridiques de la région de Québec, de Montréal et d’autres régions. Il est peut-être préférable de conclure sur le plan de la symbolique, en suggérant que l’introduction du crucifix sur les murs des salles d’audience du Québec par le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau, neveu de l’archevêque, constituait le symbole d’une certaine persistance du cléricalisme juridique jusque tard au XXe siècle[70].

Tableau 1 : Choix de manuels et de publications sur le droit ecclésiastique au Québec, 1853 – 1901
Date Auteur Ouvrage Langue principale Lectorat
1853 clerc Appendice au compendium du rituel romain des diocèses de la province ecclésiastique de Québec[71] français clergé
1859 clerc Recueil d’ordonnances synodales et épiscopales du diocèse de Québec[72] français clergé
1863 (1878 2e éd.) Hector Langevin (juriste) Droit administratif ou manuel des paroisses et fabriques[73] français clergé; juristes
1864 Joseph Désautels (clerc) Manuel des curés pour le bon gouvernement des paroisses et fabriques dans le Bas-Canada[74] français clergé
1870 Joseph-Ubalde Beaudry (juriste) Code des curés, marguilliers et paroissiens[75] français clergé
1872 Siméon Pagnuelo (juriste) Études historiques et légales sur la liberté religieuse en Canada[76] français juristes
1879 (1895 2e éd.) Mgr Elzéar-Alexandre Taschereau (clerc) Discipline du diocèse de Québec[77] français et latin clergé; étudiants en théologie
1882 clerc Manuel du citoyen catholique, ouvrage spécialement recommandé par NN. SS. Les Évêques de la Province de Québec[78] français étudiants de droit; sémina-ristes
1883 clerc Petit manuel du jeune médecin catholique[79] français étudiants en médecine; médecins
1893 Pierre-Basile Mignault (juriste) Le droit paroissial étant une étude historique et légale…[80] français juristes
1901 Joseph-Narcisse Gignac (clerc) Compendium juris canonici ad usum cleri canadensis[81] latin étudiants en théologie; clergé

  1. Traduction de « Legal Clericalism and Teaching Legal Culture in the Archdiocese of Quebec, 1852-1867 », dans Barreau du Québec, Avocats, société et politique au Québec, 1763-1867 (Montréal : Éditions Yvon Blais, 2018), p. 149-172. Merci à Brigitte Caulier, Donald Fyson et le regretté Blaine Baker pour leurs judicieux commentaires.
  2. Berman, Law and Revolution. The Formation of the Western Legal Tradition, Cambridge, Harvard University Press, 1983, p. x.
  3. Carbonnier, « La religion, fondement du droit? », Archives de philosophie du droit, tome 38, 1993, p. 17.
  4. De leur côté, les juristes de l'époque mesuraient l'importance du droit ecclésiastique. Voir, par exemple, les 80 titres en « droit canon et ecclésiastique » présents dans la bibliothèque du juge en chef James Stuart. Christine Veilleux, « La bibliothèque du juge en chef James Stuart, 1853 » dans L’histoire de la culture de l’imprimé. Hommages à Claude Galarneau, sous la direction de Yvan Lemonde et Gilles Gallichan, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1996, p. 179.
  5. Jean-Marie Fecteau, « La construction d’un espace social : les rapports de l’Église et de l’État et la question de l’assistance publique au Québec dans la seconde moitié du XIXe siècle », dans L’histoire de la culture de l’imprimé. Hommages à Claude Galarneau, sous la direction de Yvan Lemonde et Gilles Gallichan, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1996, p. 67-68; René Hardy, « Regards sur la construction de la culture catholique québécoise au XIXe siècle », Canadian Historical Review, vol. 88, n° 1, mars 2007, p. 7-40; Jean-Marie Fecteau, La liberté du pauvre. Crime et pauvreté au XIXe siècle, Montréal, VLB, 2004; Louis Rousseau, « Crises, choc et revitalisation culturelle dans le Québec du XIXe siècle » dans Chocs et ruptures en histoire religieuse (fin XVIIIe-XIXe siècles), sous la direction de Michel Lagrée, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1998, p. 5-69. Sur les relations juridiques entre l'Église et l'État, voir Edmond Lareau, Droit canadien depuis les origines de la colonie jusqu’à nos jours, II, Domination anglaise, Montréal, Périard, 1889, p. 425-458. Sur les rapports avec Rome, voir Roberto Perin, Rome in Canada : the Vatican and Canadian Affairs in the late Victorian age, Toronto, University of Toronto Press, 1990.
  6. L'introduction du droit religieux catholique et la création de tribunaux catholiques n'était pas un phénomène isolé. Voir par exemple, les tribunaux juifs d'arbitrage créés à Montréal en 1915. Joseph Kary, « Judgments of Peace Montreal’s Arbitration Courts, 1914-1976 », American Journal of Legal History, vol. 56, n° 4, 2016, p. 453.
  7. Pour une analyse du caractère « scientifique » du droit canon, voir J.-P. Schouppe, Le droit canonique. Introduction générale et droit matrimonial, Bruxelles, E. Story-Scientia, 1990, p. 50-57.
  8. Au sujet des droits seigneuriaux, voir Benoît Grenier, Nouveaux regards en histoire seigneuriale au Québec, Québec, Septentrion, 2015. En ce qui concerne la dîme, voir Bruce Curtis, « Pastoral power, sovereignty and class: Church, tithe and simony in Québec », Critical Research in Religion, 2017, vol. 5, n° 2.
  9. Cité dans G. Blaine Baker, « The Juvenile Advocate Society, 1821-1826: Self-Proclaimed Schoolroom for Upper Canada’s Governing Class », Historical Papers / Communications historiques, Société historique du Canada, 1985, p. 82. [Traduction libre]
  10. En vue de l'obtention de sa charte, le Séminaire de Québec s'est inspiré de l'exemple des universités canadiennes-anglaises. En 1849, Elzéar-Alexandre Taschereau rendait compte des similitudes entre le projet d'université catholique et les chartes des institutions protestantes comme le Queen’s College de Kingston (1839), de confession presbytérienne, le Bishop’s College à Lennoxville (Québec), de confession anglicane, ou encore les séminaires de théologie comme celui du Acadia College (1844), de confession baptiste. Au lieu de solliciter une charte royale, Taschereau recommanda d'obtenir une législation locale accordant les mêmes privilèges confessionnaux qu'aux protestants. Taschereau expliqua que « puisqu'ils ne demanderaient rien d'exclusif ou d'excessif, rien qui ne soit déjà familier en ce pays, et rien qui ne représenterait une dépense pour le gouvernement, pourquoi devrait-on leur refuser ? » Brian Young, Patrician Families and the Making of Quebec: The Taschereaus and the McCords, Montréal et Kingston, McGill-Queen's University Press, 2014, p. 281. [Traduction libre]
  11. « Un monde clos », cité dans Caulier, Voisine, Brodeur, De l’harmonie tranquille au pluralisme consenti, p. 6. « En réalité, l'Université Laval et le Séminaire de Québec ne font qu’un… » : M. Vallières, Y. Desloges, F. Harvey, A. Héroux, R. Auger, Histoire de Québec et de sa région, tome II, 1792-1939, Québec, INRS, 2008, p. 896. Au sujet de la charte civile de l'université et de l’autorisation papale de décerner des diplômes en théologie (1853), voir en ligne, Annuaire de l’Université Laval pour l’année académique 1858-1859, p. 24-25.
  12. Jean-Baptiste de la Croix de Chevrières de Saint-Vallier, Rituel du diocèse du Québec, Paris, Simon Langlois, 1703. Un historien a estimé qu'en excluant la correspondance individuelle qui, selon l'archevêque, pouvait être significative, ces communications de l'administration centrale, lorsqu'elles étaient imprimées, totalisaient environ quatorze mille pages entre 1764 et 1914. Jean De Bonneville, « La presse dans le discours des évêques québécois de 1764 à 1914 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 49, n° 2, automne 1995, p. 202.
  13. « Léger Brousseau », http://www.biographi.ca/fr/bio/brousseau_leger_11E.html
  14. Pour un exemple de manuel d'éducation civique à l'intention des écoles catholiques, voir Jacques Crémazie, Manuel des notions utiles sur les droits politques, le droit civil, la loi criminelle et municipale, les lois rurales, etc., Québec, J. & O. Crémazie, 1852. https://ia802608.us.archive.org/9/items/cihm_37644/cihm_37644.pdf
  15. Musée de la civilisation, M768, « Termes de philosophie. Définitions, sources ». Au sujet de l'enseignement de la philosophie, voir Yvan Lamonde, La philosophie et son enseignement au Québec, Montréal, HMH, 1980, p. 128 et Marc Lebel, « L’enseignement de la philosophie au Petit Séminaire de Québec (1765-1880) », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 19, n° 2, septembre 1965, p. 238-253.
  16. Concernant l'exposé de Foucault sur les rapports entre le droit, le savoir et la normalisation, voir Márcio Alves da Fonseca, Michel Foucault et le droit, Paris, Harmattan, 2013, p. 107; au sujet de l'« ethnicisation » au sein de l'Église, voir Matteo Sanfilippo, « Le Saint-Siège devant la question linguistique au Canada et en Belgique (1870-1939) » dans Les élites et le biculturalisme Québec-Canada-Belgique, sous la direction d'Alex Tremblay Lamarche et Serge Jaumain, Québec, Septentrion, 2017, p. 84-85; à propos de la culture publique commune et de la hiérarchie ecclésiale, voir Gary Caldwell, La culture publique commune. Les règles de jeu de la vie publique au Québec et les fondements de ces règles, Québec, Éditions Nota bene, 2001, p.104.
  17. Peter C. Bischoff, Les débardeurs au port de Québec. Tableau des luttes syndicales, 1831-1902, Montréal, Éditions Hurtubise, 2009, p. 303.
  18. En ce qui a trait aux composantes internationales de ce processus d'ethnicisation, voir Sanfilippo, « Le Saint-Siège devant la question linguistique au Canada et en Belgique (1870-1939) », p. 84-85; au sujet de l'opposition farouche de l'Église québécoise au syndicalisme irlandais, voir Bischoff, Les débardeurs au port de Québec. Tableau des luttes syndicales, 1831-1902; concernant la condamnation par l'Église des mariages interconfessionnels et l'imposition de conditions strictes à leur endroit, voir « Mariage », Discipline du diocèse de Québec, p. 132-133.
  19. P. B. Mignault, Le Droit paroissial étant une étude historique et légale…, Montréal, Beauchemin et fils, 1893; Jacques Chiffoleau cité dans Jacques Le Goff et René Rémond, Histoire de la France religieuse XIVe-XVIIIe siècle, Paris, Seuil, 1988, vol. 2, p. 63; au sujet du pouvoir épiscopal sur le clergé paroissial, voir Philippe Sylvain et Nive Voisine, Histoire du catholicisme québécois, tome 2, Montréal, Boréal, 1991, p. 209-210.
  20. Donald Fyson, « La paroisse et l’administration étatique sous le régime britannique (1764-1840) », dans Serge Courville et Normand Séguin, Atlas historique du Québec. La paroisse, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2001, p. 38, 25, 28. La fonction du prêtre et de la paroisse sont brièvement décrites dans John J. Coughlin, Canon Law : A Comparative Study with Anglo-American Legal Theory, New York, Oxford University Press, 2011, p. 116-124.
  21. Jean Roy, « Depuis le XIXe siècle. Un siècle de changement religieux », dans Serge Courville et Normand Séguin, Atlas historique du Québec. La paroisse, p. 40.
  22. D. Deslandres, J. Dickinson, O. Hubert. Les Sulpiciens de Montréal. Une histoire de pouvoir et de discrétion, 1657-2007, Montréal, Fides, 2007, p. 460. L'enseignement du droit canon et de la plupart des autres cours de théologie se faisait en latin.
  23. Correspondance de Mgr Edward John Horan adressée à Michel-Édouard Méthot, 30 décembre 1879, citée dans Yvan Lamonde, La philosophie et son enseignement au Québec, Montréal, HMH, 1980, p. 89.
  24. Conseil plénier de Baltimore, https://en.m.wikipedia.org/wiki/Plenary_Councils_of_Baltimore#Third_Plenary_Council_of_Baltimore_.281884.29
  25. Les archives de l'Officialité sont conservées aux Archives de l’Archevêché de Québec. Voir également les dossiers conservés au Musée de la Civilisation, E.-A. Taschereau (M665).
  26. Musée de la civilisation, M767, E.-A. Taschereau, « Questiones canonicae », p. 49.
  27. En 1864, Joseph Désautels, principal conseiller de Bourget en droit canon et futur vicaire général, publiait le Manuel des curés pour le bon gouvernement des paroisses et fabriques dans le Bas-Canada, Montréal, Lovell, 1864. https://archive.org/details/cihm_37009  Cet ouvrage insistait sur « l’indépendance de l’Église », « son droit » et « sa constitution divine » (p. vi). Voir également Roberto Perin, « Joseph Désautels », Dictionnaire biographique du Canada, http://www.biographi.ca/fr/bio/desautels_joseph_11E.html.
  28. « Circulaire au clergé », 10 décembre 1879, Mandements des évêques de Québec, vol. II, Québec, 1890, p. 186-187.
  29. Mgr E.-A. Taschereau, Discipline du diocèse de Québec, Québec, Léger Brousseau, 1895, p. 5.
  30. Discipline, p. 14-16.
  31. Lois du Québec, Loi sur l'anatomie, (46 vic., cap. 30, 1883); Discipline, p. 88.
  32. Au sujet de l'histoire du droit canon et des dispositions testamentaires, voir Michael Sheehan, The Will in Medieval England, Toronto, Pontifical Institute of Medieval Studies, 1963.
  33. Jack Goody relie l'hostilité de l'Église envers le mariage endogame, sa position sur l'illégitimité, son opposition au divorce et l'accumulation de richesses par l'Église grâce aux successions. Il écrit au sujet de l'Angleterre avant la Réforme : « on pourrait presque dire que le testament n’existait que pour aliéner la propriété familiale au bénéfice de l’Église. » Goody, L’évolution de la famille et du mariage en Europe, Paris, Armand Colin, 2012, p. 36. Voir également p. 36-37, 284, 291.
  34. Voir la description par Serge Gagnon des pratiques testamentaires du clergé dans L’argent du curé de campagne, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2010, p. 205-221.
  35. Discipline, p. 236.
  36. Discipline, p. 238-239.
  37. Harold Berman a démontré comment le droit canon, dès le XIIe siècle, possédait le statut et les caractéristiques d'un système juridique, en attirant l'attention sur le fait que l'Église fut le premier collectif à se donner le nom de corporation. Chaque évêque avait la compétence et le droit de juger; les recours pouvaient être déposés à la Curie papale. Berman, Law and Revolution, p. 150-51; concernant les origines, au XIIe siècle, de l'enseignement du droit canon à l'université, voir Mario Ascheri, The Laws of Late Medieval Italy, 1000-1500, Leide, Brill, 2013, p. 107.
  38. Gérard Cholvy et Yves-Marie Hilaire, Histoire religieuse de la France contemporaine 1800-1880, Toulouse, Privat, 1985, p. 318; concernant le Séminaire français, voir Philippe Boutry, Yves-Marie Fradet et Philippe Levillain (dir.), 150 ans au coeur de Rome. Le Séminaire français 1853-2003, Paris, Éditions Karthala, 2004.
  39. En ce qui a trait à l'inscription de Taschereau et à son doctorat, voir les Archives de l’Archidiocèse de Québec, 31-16A, « Catalogue des élèves du Séminaire français à Rome »; au sujet de la formation en droit canon, voir Harold J. Berman, Law and Revolution, p. 163; lettre de Luca Codignola adressée à l'auteur, 19 janvier 2017.
  40. Benjamin Pâquet accompagnait Bégin à Rome. En prévision de sa formation en tant que futur professeur de théologie, il s'inscrivit au doctorat en théologie morale à l'Université pontificale grégorienne. « Benjamin Pâquet », Dictionnaire biographique du Canada, http://www.biographi.ca/fr/bio/paquet_benjamin_12F.html
  41. Roberto Perin, « Louis-Nazaire Bégin », Dictionnaire biographique du Canada, http://www.biographi.ca/fr/bio/begin_louis_nazaire_15F.html
  42. André-Albert Blais (évêque de Rimouski), Michel-Thomas Labrecque (évêque de Chicoutimi), Joseph-Édouard Feuiltault (professeur de théologie à Laval) et Joseph-Narcisse Gignac (professeur de droit canon à Laval). Parmi les plus éminents détenteurs d'un doctorat en droit canon au début du XXe siècle, signalons l'archevêque Paul Bruchési de Montréal et le cardinal J.-M.-R. Villeneuve. Ce dernier enseigna à la Faculté de droit canonique de l'Université d'Ottawa.
  43. Concernant son programme de cours, voir Musée de la civilisation, Québec, M540, « Cours de droit canonique par l’abbé E.-A. Taschereau », 1855; Caulier, Voisine, Brodeur, De l’harmonie tranquille au pluralisme consenti, p. 13, 14. Au Grand Séminaire de Montréal fondé par les Sulpiciens, l'enseignement du droit canonique débuta en 1870.
  44. MS29, E.-A. Taschereau, « Notes diverses et table de matières de l’Histoire du Séminaire ».
  45. Au sujet du cours de Feuiltault, voir Musée de la civilisation, M34, « Lectiones Juris Canonici; concernant les notes de cours de Bégin sur le droit matrimonial, voir M575, « Notes pour cours de droit canonique »; M576-577 « Juris canonici praelectiones : de matrimonio. »
  46. Correspondance de B. Pâquet adressée au recteur Thomas-É. Hamel, 30 septembre 1874, citée dans Caulier, Voisine, Brodeur, De l’harmonie tranquille au pluralisme consenti, p. 20-21.
  47. Musée de la civilisation, Fonds Gignac, P37.1/4, Correspondance de Gignac adressée à Louis-Alexandre Taschereau, 19 janvier 1936.
  48. Correspondance de Gignac adressée au cardinal J.-M.-R. Villeneuve, 6 janvier 1932, Fonds Gignac, P37.1/4.
  49. Musée de la civilisation, M862, François Pelletier, « Droit canonique, cours de Jos.-Édouard Feuiltault », 1886.
  50. Voir Caulier, Voisine, Brodeur, De l’harmonie tranquille au pluralisme consenti, p. 183; Correspondance de Bégin adressée à Gignac, 4 février 1901, Musée de la civilisation, Fonds Gignac, P37.1/4. Une photographie de Gignac figure dans son passeport, P37.1/4 « Correspondance 1871-1935 ».
  51. Musée de la civilisation, M767, E.-A. Taschereau, « Questiones canonicæ », p. 72.
  52. Voir les nombreux cas de consultation dans le Fonds Gignac, « Correspondance 1895-1897 », P37.22/1; P37.2.2/29.
  53. L'Université Laval a fondé un Institut de droit canonique en 1932, lequel est devenu à son tour la Faculté de droit canonique, en activité de 1939 à 1948. Dans les cours de droit canonique offerts par cette faculté, l'enseignement suivait l'ordre du Code de droit canonique (1917), avec une attention particulière sur la philosophie du droit et les relations juridiques entre l'Église et l'État au Canada. Caulier, Voisine, Brodeur, De l’harmonie tranquille au pluralisme consenti, p. 29.
  54. Jos.-N. Gignac, Compendium juris canonici ad usum cleri canadiensis, Québec, Garneau, 1901, p. 378. https://archive.org/stream/DePersonisV1/DePersonisV1_djvu.tx
  55. Berman, Law and Revolution, p. 254. [Traduction libre]
  56. Taschereau, Discipline, p. 208.
  57. Sylvio Normand, Le droit comme discipline universitaire : une histoire de la Faculté de droit de l’Université Laval, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2005, p. xiii-xiv.
  58. Annuaire de l’Université Laval pour l’année académique 1858-59, Québec, 1858, p. 28. https://books.google.ca/books?id=sEhxSpIcVZAC&printsec=frontcover&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=falseJean-Thomas Taschereau, François-Hubert Larue et François Langelier figuraient parmi les premiers membres de la faculté formés à Paris.
  59. Crémazie, Manuel des notions utiles sur les droits politiques, le droit civil, la loi criminelle et municipale, les lois rurales, etc., Québec, J. & O. Crémazie, 1852, p. 42-43; Langelier cité dans Normand, Le droit comme discipline universitaire, p. 73.
  60. Ces restrictions s'appliquaient également à la faculté de médecine nouvellement fondée. En 1853, le Séminaire envoyait l'étudiant en médecine François-Alexandre-Hubert La Rue étudier la jurisprudence médicale, d'abord à Louvain, puis à Paris. De retour à Québec (et marié à la cousine de l'archevêque), il obtint son doctorat à l’Université Laval. Vers 1858-1859, il avait été nommé secrétaire de la faculté de médecine et professeur de médecine légale et d'hygiène. Dans le cadre des controverses académiques entourant la religion et la science, sa thèse de doctorat intitulée « Du Suicide » (1859) le plaçait carrément dans le camp anti-darwiniste lorsqu'il argumente que le suicide pourrait être attribué à « l'indifférence en matière de foi et de religion ». (« Du Suicide », Doctorat en médecine, Université Laval, 15 juin 1859, p. vi.) https://archive.org/stream/101230455.nlm.nih.gov/101230455_djvu.txt) De plus, dans le Petit manuel du jeune médecin catholique, publié sous le nom de l'archevêque avec l'approbation de tous les évêques du Québec (1883), les jeunes médecins catholiques recevaient des instructions de forme similaire à celle des manuels produits pour les praticiens juridiques et les clercs. Ce guide condensait les aspects éthiques, scientifiques et juridiques en quarante rubriques et donnait des directives précises en ce qui a trait aux actes médicaux, notamment ceux liés à l'avortement et aux moments sacramentaux de la naissance et du décès.
  61. http://www.biographi.ca/fr/bio/doutre_joseph_11E.html
  62. Berman, Law and Revolution, p. 2.
  63. André Dupin, Manuel du droit public écclesiastique français, Paris, 1844, p. xxxiii-xxxv. https://archive.org/details/manueldudroitpu00dupigoog
  64. https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=mdp.35112104099496;view=1up;seq=9
  65. Discipline, p. 6.
  66. Le Droit paroissial étant une étude historique et légale, Montréal, Beauchemin et fils, 1893; au sujet de la carrière de Mignault, voir Sylvio Normand, « Le droit civil canadien de Pierre-Basile Mignault ou la confection d'un palimpseste », dans Nicholas Kasirer (dir.), Le faux en droit privé, Montréal, Les éditions Thémis, 2000.
  67. Manuel du citoyen catholique, ouvrage spécialement recommandé par NN. SS. Les Évêques de la Province de Québec, Montréal, Librairie Notre-Dame de Lourdes, 1882.https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=aeu.ark:/13960/t2f771w0h;view=1up;seq=9
  68. Manuel du citoyen catholique, p. 89.
  69. James A. Brundage, Law, Sex, and Christian Society in Medieval Europe, Chicago et Londres, University of Chicago Press, 1987, p. xix-xx. Wolfgang Muller, Mary Sommar et Kenneth Penlington, Medieval Church Law and the Origins of the Western Legal Tradition, Washington, Catholic University Press, 2012, p. 4.
  70. Concernant la persistance de ces phénomènes au XXe siècle, voir Donald Fyson, « The Legal Profession and Penal Justice in Quebec City, 1856-1965: From Modernity to Anti-Modernity », dans Constance Backhouse & W. Wesley Pue (dir.), The Promises and Perils of Law. Lawyers in Canadian History, Toronto, Irwin Law, 2007; Michael Gauvreau, The Catholic Origins of Quebec’s Quiet Revolution, 1931–1970, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2005; Lucia Ferretti, Brève histoire de l’Église catholique au Québec, Montréal, Boréal, 1999. Au sujet de l'introduction du crucifix dans les salles d'audience, consulter le blogue de Gaston Deschênes, Les éditions du Septentrion, 12 février 2014. (http://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2007/04/03/duplessis-le-crucifix-et-le-garagiste-de-rouyn/) On a retiré le crucifix de la plupart des salles d'audiences du Palais de justice de Montréal dans les années 1970, et de la Cour d'appel du Québec, au cours des années 1990. Fred Kaufman, Searching for Justice: An Autobiography, Toronto, Osgoode Society for Canadian Legal History, 2005; interview avec Jacques-Yvan Morin, 20 décembre 2017.
  71. Édition de 1874 : https://archive.org/stream/appendiceauritue00cath/appendiceauritue00cath_djvu.txt
  72. https://archive.org/details/recueildordonnan00cath
  73. https://books.google.fr/books/about/Droit_administratif.html?id=_CxOiV84FXIC&redir_esc=y https://books.google.fr/books?id=3rEzAQAAMAAJ&printsec=frontcover&hl=tl&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
  74. https://archive.org/details/manueldescursp00desa
  75. https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=aeu.ark:/13960/t45q59g2j;view=1up;seq=6
  76. Montréal, Beauchemin et Valois, 1872 : https://ia801409.us.archive.org/17/items/tudeshistorique02pagngoog/tudeshistorique02pagngoog.pdf
  77. Édition de 1879 : http://scans.library.utoronto.ca/pdf/9/16/disciplinedudioc00cath/disciplinedudioc00cath.pdf
  78. https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=aeu.ark:/13960/t2f771w0h;view=1up;seq=95
  79. https://archive.org/stream/petitmanueldujeu00eaar#page/1/mode/2up
  80. https://ia802604.us.archive.org/6/items/ledroitparoissia00mign/ledroitparoissia00mign.pdf
  81. Québec, Garneau, 1901 : https://archive.org/stream/DePersonisV1

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