3 « Le public a le droit d’être protégé contre un fléau mortel » : débat sur la quarantaine, la migration et la gouvernance libérale lors de l’épidémie de typhus de Montréal de 1847

Dan Horner

Traduit de l’anglais par Paulette Vanier[1]

En 1847, une épidémie de typhus frappa Montréal du début de la saison de navigation jusqu’à la fin de l’été. Avant la fin de l’année, six mille personnes avaient péri et onze mille hommes, femmes et enfants avaient été hospitalisés, dont une partie au General Hospital, mais la plupart se trouvaient dans les abris destinés aux immigrants qui avaient été construits sur les bords du canal de Lachine, au sud-ouest de la ville[2]. Les conséquences de la maladie se firent sentir avec une acuité particulière chez les émigrants ayant fui la famine en Irlande. Le typhus, qui se manifeste par de fortes fièvres, des éruptions et du délire, se propageait facilement à bord des bateaux surpeuplés et crasseux dans lesquels les émigrants traversaient l’Atlantique. Transmise par le pou de corps, la maladie touchait tout particulièrement ceux que la faim et les bouleversements avaient affaiblis et que les circonstances avaient forcés à vivre dans des conditions insalubres. D’où les noms familiers de « fièvre des camps », « fièvre des prisons » ou « fièvre des navires » que les observateurs lui donnaient[3]. Cette année-là, Montréal ne fut pas la seule ville à devoir affronter le typhus. En effet, la maladie se propageait le long des itinéraires empruntés par les Irlandais qui fuyaient leur pays, phénomène associé à la perte des récoltes et à la transformation des rapports sociaux et des pratiques agricoles résultant du passage de la région à une économie de marché ainsi qu’au refus des autorités métropolitaines de Londres d’intervenir dans la manière dont les grands propriétaires terriens exploitaient leurs domaines. Cette inaction du gouvernement a conduit les historiens s’intéressant à la famine à considérer celle-ci comme une crise de la gouvernance libérale, approche dont s’inspire le présent article pour étudier les conséquences, pour Montréal, de la famine et de la migration qui en a découlé[4].

Les événements de 1847 ont accentué les ressemblances et les liens entre Montréal et les autres villes portuaires de l’Amérique du Nord, de la Grande-Bretagne et de l’Europe occidentale. Bien que l’épidémie n’ait pas touché l’ensemble de la population montréalaise, elle a précipité dans une crise grave ce qui était alors la plus grande ville et le plus grand centre commercial de l’Amérique du Nord britannique. Les membres de l’élite municipale eurent à s’interroger sur le développement de leur ville à une époque marquée par l’immigration massive et l’émergence d’une classe de citadins pauvres composée d’un nombre excessivement élevé de migrants récemment arrivés dans la région. En pleine épidémie, alors que le public réclamait une action décisive et que les tensions s’intensifiaient entre les administrations municipale et coloniale, des débats houleux s’engagèrent sur le rôle de l’État, le bien-fondé de l’opinion publique et les droits des immigrants démunis. Il faut donc voir l’épidémie de typhus de 1847 non seulement comme un tournant dans l’histoire de la santé publique à Montréal, mais également comme l’occasion d’étudier les opinions qu’entretenait la population sur divers enjeux liés à la gouvernance coloniale en milieu urbain au cours d’une décennie que l’on peut qualifier de turbulente et de transformatrice dans l’histoire de la ville.

L’article est axé sur l’un des débats les plus conflictuels qu’ait connus la ville durant l’épidémie. Ce débat portait sur la politique de quarantaine adoptée par l’administration coloniale, laquelle consistait à examiner les immigrants à leur arrivée à Grosse-Île, une île du Saint-Laurent située en aval de Québec, avant de les autoriser à remonter le fleuve jusqu’à Montréal. Arrivés à destination, ceux qui présentaient toujours les symptômes du typhus devaient être à nouveau confinés dans les abris construits sur le bord du canal de Lachine. Or, l’épidémie s’aggravant, des membres de l’élite municipale de Montréal se firent de plus en plus critiques à l’égard de la politique adoptée, qu’ils qualifiaient d’absolument inadéquate. Ce qui était en jeu, tonnaient-ils, c’était la vie des citoyens de Montréal à qui on offrait peu de protection contre la crise à venir. À leurs yeux, la seule ligne de conduite prudente consistait à construire d’autres installations le long du fleuve, en aval de Montréal, où les émigrants devaient se soumettre à d’autres examens et à une deuxième période de quarantaine avant d’être autorisés à se rendre à la ville. Le débat qui opposa les partisans de ces deux approches nous donne un aperçu de la manière dont les élites urbaines et la population en général abordaient les défis que la ville, en tant que plaque migratoire transnationale, devait relever. Il montre que la forme qu’allait prendre la gouvernance libérale au milieu du XIXe siècle s’est négociée dans une ambiance de crise, alors que les commentateurs, les administrateurs et les politiciens devaient jongler avec, d’une part, le droit des immigrants à circuler librement et, d’autre part, les besoins de la population qui souhaitait être protégée des troubles sociaux associés à une migration massive. Il montre également comment, dans une décennie marquée par un féroce conflit politique et sectaire, les membres de l’élite engagés dans la gouvernance de Montréal ont exploité le débat entourant l’épidémie de typhus pour asseoir la légitimité de leur pouvoir et de leur autorité. Enfin, il montre comment les événements survenus à Montréal ont été entraînés vers le grand tourbillon de la lutte pour l’attribution des compétences entre les autorités locales, coloniales et métropolitaines.

Dans ces pages, nous situerons les événements et débats consécutifs à l’épidémie de typhus qui a touché Montréal en 1847 dans le cadre de deux corpus historiographiques dynamiques. D’abord, l’historiographie récente qui explore la transformation de la culture politique britannique en Amérique du Nord au milieu du XIXe siècle. Une population de plus en plus préoccupée[5] demandait une voix dans les affaires gouvernementales, s’en prenant violemment à la petite clique de membres de l’administration coloniale antidémocratique qui, depuis les premiers jours de la colonie, jouissait d’un accès pratiquement illimité aux leviers du pouvoir politique. Si l’ordre politique ayant émergé des conflits ultérieurs a pu laisser l’impression qu’on s’intéressait aux idéaux démocratiques qui circulaient en Amérique du Nord durant cette période, il s’appuyait en fait sur un processus dynamique d’exclusion[6]. Dans leur volonté de ravir le contrôle des affaires coloniales aux représentants non élus de la métropole, l’élite locale faisait valoir que son autorité de fraîche date était légitime, puisqu’elle possédait les caractéristiques requises pour assumer cette fonction[7]. Ces caractéristiques hautement controversées et politisées reposaient sur les notions de genre, de race et de classe. Selon cette vision, seuls les hommes blancs de l’élite étaient en mesure de posséder la maîtrise de soi et l’indépendance requises pour gouverner un tumultueux avant-poste colonial.

Non seulement la composition de l’élite politique a-t-elle changé, durant cette période, mais également son approche de la gouvernance et de l’autorité. Bien que cette transformation ait été graduelle, irrégulière et source de controverse, on observait chez ces notables une propension à définir, identifier et tenter de corriger une myriade de problèmes sociaux liés à l’urbanisation rapide, notamment le crime, la maladie et la pauvreté. Au cours de cette période, les rapports sociaux furent marqués par l’établissement de nombreuses institutions vouées à ce vaste projet, dont des écoles, des prisons, des hôpitaux et des orphelinats, plusieurs ayant été fondées et étant dirigées par des organisations religieuses[8]. La rhétorique libérale de l’époque fournissait les fondements idéologiques de ce projet, elle-même étant modelée par la volonté de respecter les droits individuels tout en préservant l’idée d’une société ordonnée privilégiant une élite propriétaire face à l’agitation populaire et aux perturbations sociales. Cette vision amenait les élites à craindre une intervention gouvernementale jugée excessive dans des domaines qu’elles considéraient comme relevant du privé, notamment l’immigration et la santé publique. Plutôt que de cibler les problèmes sociaux en adoptant une approche radicale et autoritaire, les théoriciens libéraux soutenaient que les élites pouvaient favoriser l’avènement et le maintien d’une société ordonnée en corrigeant les agissements inacceptables de ceux qui la composent sans pour autant empiéter à outrance sur leurs droits et libertés[9]. En conséquence de cette vision, les théories portant sur l’autorité et la pratique de celle-ci eurent pour effet de modifier de manière à la fois substantielle et superficielle les relations entre la population et l’État[10]. Les réactions des représentants gouvernementaux et du public face à une épidémie constituèrent une bonne indication de la manière dont la société mettait ces idées en pratique.

Le second corpus documentaire concernant notre sujet explore les liens qui existent entre épidémie, conflits sociaux et émergence de l’État. Depuis longtemps, les historiens étudient le rôle que jouent les épidémies dans l’apparition et l’intensification de conflits entre divers groupes raciaux ou ethniques d’une société ou entre classes sociales[11]. Ces conflits sont alimentés par le fait que les épidémies forcent l’État à intervenir avec une vigueur accrue dans la vie privée des gens et, bien souvent, en conférant encore plus de pouvoir aux groupes sociaux dominants. À l’époque, c’était d’autant plus vrai que la science s’appuyait encore principalement sur la prémisse voulant que les maladies se transmettent par les miasmes, d’où la propension chez les responsables et le public à faire porter la responsabilité des épidémies aux membres les plus pauvres de la population, qui n’avaient pas d’autre choix que de vivre dans des logements surpeuplés et insalubres. En étudiant comment une ville aux nombreux clivages ethniques, sectaires et de classe réagissait au désordre social, politique et culturel résultant d’une épidémie, on peut mieux comprendre comment des politiques complexes en matière de santé publique intervenaient dans un contexte local.

L’épidémie de typhus a touché Montréal au moment même où divers changements sociaux, culturels et économiques étroitement liés y alimentaient déjà un sentiment général d’instabilité, d’incertitude et de conflit. La ville avait longtemps été le pivot commercial de l’Amérique du Nord britannique, mais les conséquences des changements dans l’économie mondiale commençaient à se faire sentir chez les ouvriers et les marchands, le commerce international s’accentuant à la veille de l’industrialisation[12]. De plus en plus, les rapports sociaux étaient marqués par les tensions de la polarisation économique. Alors que les riches s’enrichissaient grâce au commerce et aux investissements dans la propriété et les infrastructures de transport, le nombre de citadins pauvres augmentait rapidement. La majorité des immigrants débarquant à Montréal n’avaient d’autre choix que d’occuper des emplois précaires, dangereux et tellement mal payés qu’il fallait être particulièrement économe et astucieux pour survivre dans de telles conditions[13]. Pour les plus pauvres des Montréalais, les possibilités s’amenuisaient. L’espoir de s’établir comme fermiers indépendants qui avait poussé bien des immigrants irlandais à risquer l’éprouvante traversée océanique pour s’établir en Amérique leur échappait rapidement alors que les territoires de colonisation agricole de l’Amérique du Nord britannique commençaient à se refermer.

La vague d’immigration massive qu’a connue Montréal a eu un impact considérable sur sa composition démographique. Non seulement la population est-elle passée de moins de quarante mille habitants dans les années 1830 à près de cinquante mille en 1847, mais l’équilibre linguistique qui régnait jusque-là fut bouleversé, cette croissance étant essentiellement le fait d’immigrants en provenance de l’Irlande et des îles Britanniques. Ce fut là une des rares périodes où les francophones se sont retrouvés en minorité dans la ville, ce qui a contribué à alimenter les conflits ethniques de la décennie[14]. Ces changements économiques et démographiques se jouaient sur un fond d’une crise politique qui mijotait depuis les premières décennies de la colonie et dont l’enjeu était constitué des demandes de l’élite canadienne-française quant à une meilleure représentation politique. Cette élite demandait qu’on mette un terme à l’entente politique en place depuis la conquête anglaise de la Nouvelle-France en 1763 et qui autorisait une faible minorité britannique protestante à rester aux leviers du pouvoir politique[15]. À plusieurs reprises, ces tensions politiques, souvent à coloration ethnique, ont donné lieu à des violences collectives, particulièrement lors des rébellions armées de 1837 et 1838, et à des confrontations sporadiques, mais régulières dans les rues de Montréal au cours des années 1840[16].

D’autres changements culturels et politiques ont également marqué cette période, laissant une trace indélébile sur la réaction à l’épidémie de typhus dans la ville. L’Église catholique, qui jusque-là s’était montrée plutôt discrète, commença à s’imposer comme force sociale, culturelle et politique d’importance[17]. L’épidémie joua un rôle crucial dans ce changement, surtout lorsque l’essentiel des soins médicaux et de la conduite des œuvres de bienfaisance fut confié à l’Église[18]. Le rythme impressionnant de la croissance poussa également un groupe de notables, issus des deux côtés de la fracture ethnique, linguistique et sectaire à s’engager de plus en plus dans le projet d’assainir l’environnement urbain. Leur activisme se mêlait de tout, que ce soit d’exiger une réglementation plus stricte concernant la vente d’alcool ou de réclamer une plus grande présence policière dans les rues et les espaces publics. L’épidémie fournit d’importantes munitions à ce groupe de bourgeois montréalais, qui affirmaient que l’incidence de la maladie dans la ville était associée à divers maux sociaux et sanitaires qu’ils s’étaient déjà engagés à combattre[19].

La maladie joua un rôle pivot dans les transformations sociales, politiques et culturelles que Montréal a subies au milieu du XIXe siècle. Les épidémies étaient la conséquence de l’augmentation massive de la migration humaine au cours des années 1840. Pris entre, d’une part, les acteurs privés impliqués dans le processus migratoire et désireux d’optimiser leurs profits et, d’autre part, un gouvernement refusant d’imposer des règles, les immigrants étaient souvent gardés dans des lieux successifs – vaisseaux, hospices, stations de quarantaine et logements surpeuplés – dont les conditions favorisaient la propagation rapide des maladies. Les épidémies étaient non seulement le reflet de l’urbanisation accélérée que connaissaient les pays de l’Atlantique Nord durant cette période, mais elles eurent un effet durable sur ce processus. Elles amenèrent les résidants de villes comme Montréal à s’interroger sur le rôle central que jouait leur ville dans la migration régionale et transatlantique. L’accroissement phénoménal de l’immigration au milieu des années 1840 montre à quel point Montréal faisait partie intégrante d’un réseau, déployé de part et d’autre de l’Atlantique, de lieux urbains ou ruraux qui se transformaient sous l’effet des stratégies du développement capitaliste[20]. De manière générale, les débats suscités par ces discussions soulevèrent également d’autres questions : à qui devait-on accorder des droits en tant que citoyen et qui devait-on en priver? Et, dans ces villes, jusqu’à quel point pouvait-on tenir les autorités, civiles ou religieuses, responsables du bien-être des milliers d’immigrants débarqués dans leurs ports au cours de cette période? L’arrivée d’un nombre inégalé d’immigrants irlandais durant les années 1840 et la crise de santé publique qui l’a accompagnée ont révélé que les mécanismes mis en place dans l’Amérique du Nord britannique de l’époque pour faire face à l’immigration, à la pauvreté et à la maladie étaient désormais inadéquats. La question n’avait rien de théorique. En effet, les coûts des soins à prodiguer aux immigrants irlandais atteints de typhus risquaient d’épuiser les ressources réservées dont la ville disposait pour aider les démunis. Plaque tournante à la fois commerciale économique, la ville avait déjà du mal à fournir une maigre assistance à ses résidants indigents. De nombreuses voix s’élevaient pour dire qu’elle devait prendre soin d’abord des pauvres qui habitaient dans la ville plutôt que des Irlandais qui ne faisaient que la traverser[21]. Par conséquent, au moment même où politiciens et citoyens débattaient des soins à prodiguer, ou non, aux immigrants malades, ils réfléchissaient aux limites que leur imposaient leurs obligations morales et légales à l’endroit de ces derniers.

L’épidémie de typhus a eu pour effet de remettre sérieusement en cause l’intervention de l’État, ce qui ne s’était pas vu depuis l’épidémie de choléra de 1832. Les trois paliers de gouvernement – municipal, colonial et impérial – qui avaient des intérêts dans la ville adhéraient de différentes manières à une idéologie politique libérale qui voyait d’un mauvais œil une intervention à long terme de l’État. Les mesures temporaires d’hygiène publique qu’on avait adoptées durant l’épidémie de 1832 n’avaient pas été maintenues par la suite. En outre, durant cette période, il n’y avait guère de réglementation sur l’immigration dans la colonie[22]. Cette hésitation à réglementer s’avérait particulièrement problématique en pleine épidémie et constituait un défi à l’ordre public, qui réclamait une intervention d’importance, notamment en restreignant davantage l’immigration et en imposant des règles sanitaires plus strictes, ce qui constituait assurément une ingérence du gouvernement dans la sphère du privé. L’épidémie de typhus de 1847 apparaît donc comme une crise ayant incité les autorités et le public à remettre en cause des pratiques de longue date et des croyances idéologiques fermement enracinées.

C’est durant l’hiver 1847 que les journaux de Montréal publièrent leurs premiers articles sur le risque que faisait courir l’épidémie aux citoyens. La presse britannique s’en était déjà émue, qualifiant la situation en Irlande de désastreuse[23]. Des rapports indiquaient que la famine continuait de frapper ce pays comme elle le faisait depuis 1845 et que, parmi ceux qui le fuyaient, les cas de typhus n’étaient pas rares[24]. Les fermiers locataires en étaient venus à dépendre largement de la pomme de terre, seul produit agricole capable d’assurer la subsistance d’une famille sur son lotissement. De leur côté, les propriétaires terriens non résidents étaient déterminés à tirer un maximum de profit de leurs terres, envenimant ainsi les rapports sociaux et aggravant la vulnérabilité des pauvres en milieu rural[25]. Près d’un million d’Irlandais périrent à la suite des ravages causés aux récoltes par le mildiou et un million d’autres quittèrent le pays en quête d’un meilleur endroit où vivre[26]. Compte tenu des conditions désastreuses sous lesquelles s’effectua ce déplacement massif de personnes, le typhus et diverses autres maladies n’eurent aucun mal à se répandre.

Selon la situation matérielle et familiale ainsi que les circonstances, l’émigration des paysans irlandais a emprunté diverses voies. Nombreux sont ceux qui ont d’abord émigré vers les villes portuaires de la côte ouest de l’Angleterre et de l’Écosse, Glasgow, Liverpool et Bristol étant des destinations particulièrement populaires. Certains s’établirent en permanence dans ces villes animées, tandis que d’autres préférèrent s’éloigner davantage, dans la mesure où leurs ressources financières le leur permettaient. Pour bien des émigrants irlandais, l’Amérique du Nord représentait l’accès à la terre. Si certains s’y rendirent directement à partir de ports irlandais, la plupart passèrent d’abord par la Grande-Bretagne, notamment par Liverpool, avant d’entreprendre des démarches pour traverser l’Atlantique[27].

Quand parvint aux États-Unis la rumeur voulant que la vague migratoire en provenance de l’Irlande soit aussi importante, voire plus, que celle de l’été précédent, les autorités de certains territoires suivirent l’exemple de l’État de New York et imposèrent diverses taxes et restrictions à l’immigration afin d’en contenir le flot[28]. Ces pénalités ayant été mises en place avant le début de la saison de navigation de 1847, la grande majorité des émigrants irlandais disposant des ressources nécessaires pour se rendre outre-Atlantique durent opter pour l’Amérique du Nord britannique. Si un petit nombre d’entre eux débarquèrent au Nouveau-Brunswick dans le but de trouver du travail dans l’industrie forestière alors en plein essor[29], la plupart embarquèrent plutôt à bord des vaisseaux qui devaient les déposer à Grosse-Île, la station de quarantaine établie par les autorités coloniales en aval de Québec. En théorie, après y avoir passé des examens médicaux, les immigrants étaient censés monter à bord de bateaux à vapeur pour remonter le fleuve Saint-Laurent, vers l’intérieur du continent nord-américain.

Quand des bruits commencèrent à circuler par les voies coloniales et impériales que la vague d’immigration de 1847 serait de taille, l’administration laissa entendre qu’elle était en mesure de faire face à la situation. On engagea du personnel supplémentaire à Grosse-Île et on renforça l’infrastructure de l’hôpital. Cependant, lorsque le dégel libéra le Saint-Laurent de ses glaces et que les premiers navires arrivèrent au printemps, les installations, même améliorées, furent rapidement débordées par une immigration qui s’avéra massive. Les navires durent faire marche arrière dans le golfe du Saint-Laurent, soulevant ainsi l’ire du milieu des affaires, qui n’avait accordé son appui aux mesures de quarantaine qu’à la condition que les choses se fassent aussi rapidement et discrètement que possible. Les responsables médicaux durent renoncer à leur intention de faire passer des examens médicaux complets aux immigrants. Il fut révélé plus tard que ces examens avaient été précipités, entraînant ainsi de possibles erreurs de dépistage[30].

À la lecture des journaux et à la vue des événements qui se passaient aux quais de la ville, les Montréalais comprirent rapidement que l’ampleur inquiétante de la vague d’immigration obligeait à repenser la politique migratoire et les infrastructures permettant de l’appliquer. En effet, on constata collectivement que la station de quarantaine de Grosse-Île ne mettait pas tout en œuvre pour séparer les malades des bien portants. Ainsi, des responsables médicaux laissèrent passer des hommes, des femmes et des enfants qui avaient contracté la maladie lors de la traversée de l’Atlantique, mais n’en présentaient pas manifestement les symptômes ou savaient les dissimuler. D’autres immigrants avaient bel et bien reçu un certificat de bonne santé à Grosse-Île, mais contractaient le typhus sur les bateaux à vapeur où on les avait entassés pour les amener en amont, jusqu’à Montréal. Par conséquent, la population cessa de croire à la fiabilité du « cordon sanitaire » mis en place à la station de Grosse-Île, en dépit de l’assurance formelle donnée par le gouvernement dans ce sens au début de la saison de navigation.

De plus en plus conscientes de la gravité de l’épidémie, les autorités municipales adoptèrent le règlement 186 décrétant la formation d’un Bureau de santé chargé de coordonner les activités de lutte contre le typhus[31]. Le Bureau de santé reçut des pouvoirs considérables, notamment celui d’infirmer toute décision prise par des institutions concurrentes, y compris le conseil municipal et la Maison de la Trinité, qui régissait le port. Le Bureau de santé surveillerait la construction de tout nouveau bâtiment voué à la santé publique, en particulier celle d’un nouvel hôpital destiné à l’usage exclusif des immigrants et situé près des limites de la ville. Il serait également autorisé à inspecter les propriétés privées afin de s’assurer que les mesures d’hygiène y étaient respectées et, au besoin, ordonner aux citoyens de nettoyer leur résidence et les lots vacants qu’ils possédaient. Toute personne reconnue coupable d’avoir ignoré l’autorité du Bureau ou de s’y être opposée s’exposait à des amendes élevées et à une possible sentence d’emprisonnement[32].

Les pouvoirs considérables que le conseil municipal accorda au Bureau nouvellement formé nous intéressent à plusieurs égards. Premièrement, cela montre que, après des mois de tergiversations, les notables de la municipalité étaient désormais prêts à réagir avec vigueur à la menace que présentait le typhus. Deuxièmement, cela indique qu’ils étaient conscients de la difficulté à protéger la ville contre une éclosion de typhus, compte tenu du chevauchement complexe des compétences en matière d’immigration et de santé publique. Le gouvernement impérial, les autorités coloniales, le conseil municipal, la Maison de la Trinité et la population avaient tous intérêt à mettre en place des réformes permettant de combattre l’épidémie.

Si le conseil municipal sembla renoncer volontiers à ses compétences en la matière, il n’en fut pas ainsi des autres paliers de gouvernement et le Bureau de santé dut adopter une position agressive. Dans son premier rapport publié dans le Gazette quelques semaines après sa fondation, le Bureau de santé déclara avec vigueur que, bien que les baraquements accueillant les immigrants irlandais sur le bord du canal de Lachine aient été construits aux frais de l’administration coloniale, ils se trouvaient sur le territoire de la ville et, par conséquent, étaient de compétence municipale. Toute décision future concernant leur emplacement ou leur utilisation relevait donc exclusivement du Bureau. Cette partie du rapport préliminaire se terminait par une note qui tendait un maigre rameau d’olivier aux dirigeants coloniaux responsables du fonctionnement des baraquements et de l’administration de l’immigration en général. On y disait que les membres du Bureau de santé « prenaient de graves responsabilités au nom des citoyens, que leur travail exigeait d’eux une vigilance constante et qu’ils ne doutaient pas de trouver en la personne des agents gouvernementaux des assistants disponibles et de bonne volonté »[33]. En qualifiant leurs homologues coloniaux de simples assistants de bonne volonté, les membres du Bureau affirmaient fermement la primauté de celui-ci dans la coordination de la lutte contre le typhus.

Cette confiance inébranlable étonne peu quand on connaît la composition du Bureau de santé. John Easton Mills, le maire de la ville, en assurait la présidence. Tous les membres de la Commission de police de Montréal en faisaient partie, ce qui illustre bien le fait que la santé publique était encore considérée comme un enjeu de maintien de l’ordre public. Ces notables municipaux s’étaient déjà engagés à mettre en place des mesures visant à faire régner l’ordre dans la ville. Depuis la constitution de la municipalité au début de la décennie, les membres de la commission se rencontraient régulièrement et répondaient aux requêtes et plaintes se rapportant non seulement à la police, mais à tout ce qui pouvait concerner l’ordre public. En faisaient partie des personnalités éminentes : Jean-Louis Beaudry, John Glennon et Alfred Larocque. Enfin, le Bureau de Santé comptait aussi un médecin et sept citoyens éminents provenant chacun d’une des sept circonscriptions électorales de la ville, ce qui assurait une composition ethnique à l’image de celle de la ville[34]. Comme les autres organismes municipaux créés à cette époque, le Bureau de santé comprenait des hommes provenant des deux côtés du fossé ethnique et politique divisant Montréal.

L’administration coloniale réagit en convoquant l’Emigrant Committee, fondé en 1840 dans le but de gérer la question de l’immigration. Contrairement au Bureau de santé, cet organisme ne cherchait pas à refléter la diversité ethnique de la ville, recrutant plutôt ses membres au sein de l’élite britannique protestante, dont la majorité appuyait l’administration tory de l’époque. En faisaient partie Samuel Mathewson, Jacob DeWitt, John Leeming, William Workman, la présidence étant assurée par Adam Ferrie, l’un des principaux magnats commerciaux de la ville. Chose intéressante, John Easton Mills fut également nommé au sein de ce comité, peut-être dans le but de démontrer l’ouverture d’esprit des autorités coloniales vis-à-vis des apports locaux.

Le Bureau de santé donna rapidement son avis sur les deux principaux enjeux de gouvernance soulevés par l’épidémie de typhus. D’abord, il insista sur l’importance d’opérer une réforme sanitaire. « Les citoyens, proclama-t-on, ont l’obligation de suivre les consignes du Bureau en ce qui a trait aux ordures[35]. » Dans son rapport, il expliquait que, dans les villes densément peuplées comme Montréal, la maladie était directement liée à l’enlèvement des ordures, celles qui étaient jetées l’hiver se décomposaient durant l’été, « créant ainsi des effluves nocifs qui empoisonnent l’air dans les quartiers densément peuplés[36] ». Ce n’était pas, insistait-on, une entreprise dont pouvait se charger un petit groupe d’activistes, mais plutôt une obligation engageant tous les résidents. La famille qui suivait toutes les consignes sanitaires se trouvait tout de même menacée si ses voisins ne les respectaient pas, car « elle subissait tout autant la nuisance que les gens malpropres qui l’avaient causée[37] ».

Les préoccupations quant aux conditions sanitaires dans la ville ne dataient pas de l’époque où le typhus s’était déclaré. Tant en Grande-Bretagne qu’en Europe et en Amérique du Nord, les membres de l’élite d’orientation réformiste demandaient déjà qu’on investisse davantage dans l’enlèvement des ordures, le drainage et les systèmes d’égouts, et qu’on applique des règlements plus stricts en la matière. Les épidémies ne faisaient que donner plus de poids à ces demandes, ce qui était dû en grande partie à la croyance très répandue voulant que les maladies contagieuses se développent dans les milieux insalubres[38]. Les procès-verbaux des réunions bimensuelles du Bureau de santé, que publiaient fréquemment les journaux locaux, faisaient grand état de plaintes de résidents témoignant de situations qu’ils avaient observées dans leurs quartiers et qui constituaient des menaces à la santé publique. Souvent, cela supposait qu’ils dénoncent le voisin fautif, chose qui pouvait entraîner des conflits interminables[39].

La principale intervention du Bureau de santé face à l’épidémie de typhus fut de proposer qu’on déplace les installations abritant les immigrants. Son projet faisait appel au gouvernement colonial pour qu’il fournisse les fonds nécessaires à la construction d’une nouvelle station de quarantaine à bonne distance de la ville. Après avoir évalué les mérites de divers emplacements, on proposa d’établir cette station sur les Îles-de-Boucherville, situées à 20 kilomètres en aval du port de Montréal[40]. Aux yeux des membres du Bureau, cette solution présentait peu d’inconvénients. On estimait que, compte tenu de l’arrivée hebdomadaire de milliers d’immigrants démunis et malades, les baraquements du canal de Lachine étaient sur le point d’atteindre leur capacité maximale, sans compter qu’ils se trouvaient à deux pas des faubourgs situés à l’ouest de la ville, en forte croissance démographique.

Au début de juillet, une délégation composée de notables de la municipalité fit parvenir une longue lettre au gouverneur Elgin pour l’informer que les infrastructures en place sur Grosse-Île ne suffiraient pas. Les signataires précisaient que la maladie risquait de se propager rapidement à l’intérieur de la colonie, même si seules quelques personnes infectées échappaient à la surveillance des responsables médicaux surchargés en poste sur l’île. Ils conseillèrent vivement au gouverneur d’intervenir à Londres pour demander au gouvernement impérial de se pencher sur la question[41]. Dans sa réponse, qui vint presque un mois plus tard, Elgin n’offrit pas grand-chose. Il assura les pétitionnaires qu’il tenait le Secrétaire d’État à la Guerre et aux Colonies au courant de l’épidémie et que toute l’administration impériale se voyait fort attristée d’apprendre que l’épidémie était hors de contrôle. Il rendit hommage aux prêtres et aux religieuses qui risquaient quotidiennement leur vie dans le but d’offrir réconfort et soins aux immigrants désespérés et convint en principe que les abris seraient plus sécuritaires si on les éloignait davantage de la ville. Elgin ne manifesta cependant aucune volonté de passer à l’action : le projet de déplacer les abris nécessitait selon lui une longue réflexion et il était impensable qu’on puisse prendre une décision avant l’été suivant. Cet appel à la patience n’apporta guère de réconfort à ceux qui attendaient du gouvernement impérial une action rapide et des réformes radicales.

Le point de vue des Montréalais sur la crise s’appuyait en quelque sorte sur leur expérience sensorielle de l’épidémie. En effet, ils n’avaient qu’à se rendre aux quais du port pour y voir des immigrants démunis gisant un peu partout et souffrant des affres du typhus. Au début de juin, la Maison de la Trinité avait publié de nouveaux arrêtés qui obligeaient les capitaines des bateaux à vapeur transportant plus de 100 passagers en provenance de Grosse-Île à déposer ceux-ci directement aux baraquements plutôt qu’au port, mais ces ordres étaient souvent ignorés[42]. Dans un rapport du Bureau de santé publié dans les journaux locaux au début de juillet, on put lire le témoignage du docteur McCulloch qui soulignait l’incapacité des autorités à appliquer les mesures plus strictes qu’elles adoptaient durant la crise. McCulloch raconta que, à la suite de la réunion précédente du Bureau de santé à l’hôtel de ville, il avait accompagné le maire ainsi qu’une petite délégation au port, où tous avaient pu voir plusieurs personnes, malades, de toute évidence, étendues ici et là. À la grande surprise de la délégation, il se trouve qu’à ce moment-là, The Queen, l’un des plus gros bateaux à vapeur à faire le trajet Montréal-Québec sur le Saint-Laurent, arrivait au port. Le navire aborda et déposa 831 hommes, femmes et enfants, dont plusieurs semblaient à l’article de la mort. On rapporta également à la délégation que des personnes étaient mortes durant le voyage depuis la station de quarantaine de Grosse-Île.

Plus que le mauvais état de santé des passagers, ce qui indigna particulièrement les membres du Bureau de santé, c’était l’absence de personnel gouvernemental au port lors de l’accostage du bateau. Ils apprirent plus tard que l’agent d’immigration nommé par le gouvernement colonial avait quitté la ville temporairement[43]. Entre-temps, ils durent se charger eux-mêmes de trouver un policier qui verrait à ce que les immigrants soient déplacés vers les baraques. Dans son témoignage, le docteur McCulloch s’insurgeait contre le fait que les autorités ne prenaient pas les mesures suffisantes pour s’assurer que les immigrants soient confinés dans les abris ou, sinon, dans les tentes dressées à proximité du General Hospital[44]. Pour les membres du Bureau de Santé, ce dut être un sombre rappel de la facilité avec laquelle des immigrants manifestement atteints du typhus pouvaient se mêler à la population de la ville.

Des comptes rendus de témoins oculaires ont également révélé que les immigrants entretenaient de nombreuses relations avec les Montréalais des faubourgs avoisinants, alors qu’ils auraient dû être maintenus en isolement dans les baraques. Quand un fermier du village de Saint-Gabriel, situé à proximité de celles-ci, présenta les symptômes du typhus, les membres de sa famille expliquèrent que des immigrants qui auraient dû être en quarantaine échappaient à la surveillance du personnel médical et se rendaient à la ferme à pied pour se procurer du lait[45]. Citant l’exemple de la famille Mackay, dont l’un des membres était ainsi mort du typhus, les journaux de la bourgeoisie mettaient également en garde leurs lecteurs contre les risques qu’ils faisaient courir à leur maisonnée en engageant des domestiques qui, soit étaient passés eux-mêmes par les abris des immigrants, soit avaient été en contact avec des membres de leur famille qui l’avaient fait[46].

En outre, dans une ville où planait la sinistre menace d’une épidémie, la présence sur les quais de ces hommes, femmes et enfants à l’article de la mort soulevait de sérieux doutes quant à la capacité des autorités à protéger les résidents. Le public réclama que soient construits des baraquements sur les Îles-de-Boucherville, manière de faire savoir à l’administration coloniale qu’il n’approuvait pas sa gestion de l’épidémie. La maladie guettant les résidants aux portes de la ville, expliqua-t-on, comment quiconque ayant à cœur l’intérêt du public pouvait-il s’opposer au projet de mise en quarantaine des immigrants malades et démunis jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus le moindre doute quant à leur état de santé ? La Minerve, principal journal de langue française de Montréal, exprima son appui au projet des Îles-de-Boucherville en usant de ce genre de langage, soulignant au passage que le public avait le droit de se protéger lors d’une calamité de cette ampleur. Les Montréalais, y écrivit-on, ne resteraient pas les bras croisés alors que des milliers d’immigrants contagieux étaient toujours hébergés dans des baraques situées à quelques pas du port et des faubourgs de l’ouest de la ville. On encouragea la population à se faire entendre au cas où le gouvernement n’acquiescerait pas à ses demandes[47].

Les partisans du projet des Îles-de-Boucherville firent valoir que c’était la solution la plus raisonnable et que l’administration coloniale devait aller de l’avant[48]. Ils rédigèrent une lettre à l’intention du gouverneur Elgin, dans laquelle ils en soulignaient tous les avantages. Contrairement aux abris du canal de Lachine, les installations projetées constitueraient une véritable station de quarantaine, car les déplacements entre Montréal et les îles seraient difficiles. De plus, comme on disposerait de vastes terres, on pourrait séparer plus facilement les immigrants souffrant de maladies transmissibles de ceux que la dure traversée océanique avait tout simplement épuisés. Le projet plairait également à ceux qui s’inquiétaient de la présence éventuelle de milliers d’immigrants indigents dans les rues de Montréal durant l’hiver, sachant que les ressources des institutions de bienfaisance s’épuiseraient rapidement, sans compter que ces immigrants pourraient représenter une menace pour l’ordre public. Selon la proposition du Bureau de santé, Montréal serait partiellement, sinon entièrement, exclue du parcours migratoire des Irlandais, qui embarqueraient sur les bateaux à vapeur en direction de l’arrière-pays depuis la nouvelle station de quarantaine[49].

On affirmait également que cette nouvelle station offrirait de meilleurs soins aux immigrants. En effet, comme on pouvait le lire dans les journaux, des témoins oculaires ayant visité les baraques en dressaient un portrait sinistre : démunis et fiévreux, les immigrants étaient entassés sur des couchettes étroites dans des bâtiments construits à la hâte et presque entièrement dépourvus de fenêtres[50]. La construction d’une nouvelle station sur les Îles-de-Boucherville permettrait au gouvernement colonial de repartir sur une bonne base. Après tout, la décision de placer les immigrants en quarantaine dans les abris du canal de Lachine avait été prise par les autorités avant qu’elles n’aient pu mesurer l’ampleur de la vague d’immigration de 1847. On invoqua les arguments propres au libéralisme réformiste de l’époque pour justifier le projet : mieux équipées, de nouvelles installations seraient plus aptes à transformer les immigrants démunis en citoyens productifs.

Des éditoriaux publiés dans le British American Journal of Medical and Physical Science, principale revue médicale de la colonie, pendant la durée de l’épidémie et tout de suite après documentèrent la gestion de la crise par la ville de Montréal et la situation à Grosse-Île. On y résuma également les plus récentes études portant sur la propagation du typhus. La position éditoriale de la revue permet de penser que le milieu médical en général soutenait la mise en place de mesures de quarantaine plus strictes. En effet, dans un article publié en août, le rédacteur en chef de la revue appuya énergiquement le projet proposé par le Bureau de santé, alors même que le débat entourant le refus de l’administration coloniale à le financer atteignait son point culminant. S’appuyant sur les résultats d’études ayant porté sur le typhus et sur d’autres maladies infectieuses contractées à bord de bateaux surpeuplés et mal ventilés, l’éditorial rappelait qu’un nombre considérable de sujets n’avaient contracté ces maladies que des semaines après avoir débarqué à leur port d’arrivée. On demandait donc au gouvernement colonial d’imposer une quarantaine d’une durée de trois semaines à un mois[51].

Les partisans du projet des Îles-de-Boucherville appuyèrent également leurs arguments sur l’une des croyances les plus répandues à l’époque, à savoir que les miasmes malsains émanant des milieux insalubres étaient responsables de la propagation des maladies contagieuses[52]. Pour les adeptes de cette théorie, c’était le cas des baraquements, qui avaient été érigés sur des basses terres inondables et donc propices aux maladies. Lors d’un grand rassemblement public qui se tint au marché Bonsecours dans le but d’appuyer la construction d’une deuxième station de quarantaine, un résidant connaissant bien l’endroit prit la parole et rapporta qu’on y voyait souvent des flaques d’eau stagnante, chose qui, dans l’imaginaire collectif de l’époque, était étroitement associée à la maladie[53]. Conjugués à l’humidité suffocante de l’été montréalais, ces cloaques constituaient un milieu idéal pour l’apparition et la propagation d’épidémies. Le fait que les abris aient été construits sur de tels sites avait donc de quoi inquiéter, d’autant plus qu’ils se trouvaient à courte distance des quartiers les plus populeux de Montréal. Ce n’était pas le seul inconvénient de nature environnementale : plusieurs correspondants signalèrent que les autorités devaient s’inquiéter du fait que les immigrants buvaient la même eau que les Montréalais et s’y baignaient comme eux. La construction d’une station de quarantaine sur les Îles-de-Boucherville aurait donc pour avantage additionnel que les immigrants vivraient alors en aval de Montréal[54].

Pour les tenants de la théorie des miasmes, le projet proposé par le Bureau de santé présentait l’avantage de rapprocher les abris du fleuve. En effet, ils croyaient que les vents frais soufflant sur le Saint-Laurent dissiperaient les maladies contractées par les immigrants durant leur voyage. En fait, tout projet visant à rapprocher les immigrants du fleuve avait l’appui de ce groupe. C’est ainsi que l’auteur d’une lettre publiée dans le Gazette plaidait en faveur d’un hébergement sur l’île Sainte-Hélène, située juste en face du port de Montréal, en avançant l’argument suivant : « Quelle différence cela ferait alors pour le pauvre immigrant aux lèvres brûlées de disposer en abondance de cet élément si nécessaire à sa guérison[55]. »

Les partisans du projet des Îles-de-Boucherville maintinrent qu’une logique sociale s’y greffait par ailleurs. Non seulement cette station de quarantaine serait plus salutaire pour les immigrants, mais elle permettrait également de les protéger des criminels qui s’attaquaient aux hommes et aux femmes démunis à leur arrivée à Montréal. En effet, escroquer l’argent et les effets personnels d’immigrants désespérés était presque devenu une petite industrie artisanale sur les quais du port et les partisans de la nouvelle station insistaient sur le fait que les arnaqueurs ne pourraient plus exercer leur métier frauduleux si les abris étaient retirés du canal de Lachine[56]. En outre, des rumeurs circulaient, prétendant que de jeunes immigrantes irlandaises se tournaient vers la prostitution, ce qui fut confirmé par des gentlemen qui avaient des liens avec le Magdalene Asylum  et qui, sous couvert d’anonymat, confièrent à le Gazette que de jeunes femmes qu’on avait entraînées à se prostituer par la ruse avaient cherché refuge auprès de cet asile ou de l’Institution charitable pour les filles repenties. Les partisans du Bureau de santé ajoutèrent ce point à leur démonstration que les baraquements en usage n’apportaient rien de bon aux immigrants[57].

Les nombreux arguments mis de l’avant par les partisans du projet des Îles-de-Boucherville se ramenaient à une raison principale, à savoir que, contrairement à ce qui se passait sur les bords du canal de Lachine, les nouvelles installations constitueraient une station de quarantaine efficace. Tout en offrant aux immigrants un refuge propice à leur rétablissement, elles permettraient d’empêcher tout contact entre les malades et ceux qui étaient en santé ainsi qu’avec la population montréalaise. Le projet était présenté comme une manière de remettre de l’ordre dans le processus d’immigration, devenu chaotique en raison de l’importante vague d’immigration de 1847 et de la crise de santé publique qui l’accompagnait. En déplaçant les immigrants et les installations nécessaires à leur hébergement et aux soins qu’ils requéraient en aval de la ville, sur une île située dans le fleuve Saint-Laurent et accessible uniquement au personnel médical, aux fonctionnaires municipaux et aux organismes de bienfaisance, on mettrait un terme aux scènes de désordre qui, depuis le début de la saison de navigation, avaient un tel impact sensoriel marqué sur les Montréalais. On ne verrait plus sur les quais ces corps émaciés souffrant le martyre, ces tentes montées à la hâte sur le terrain du General Hospital et ces baraques sinistres remplies de gens malades se dressant à la lisière sud-ouest de la ville et menaçant la population. Il est donc possible de considérer le mouvement en faveur du projet comme une tentative de la part d’un groupe de notables de la ville de rétablir la confiance des Montréalais dans ses capacités à gouverner la ville efficacement et rationnellement en pleine crise publique. C’était particulièrement important à un moment où son autorité était remise en cause de multiples façons, voire rejetée. En effet, les capitaines des bateaux à vapeur ignoraient les règlements de sécurité mis en vigueur par le Bureau de santé[58] et les immigrants faisaient la navette entre la ville et leurs abris en toute impunité, deux situations que la population voyait comme la preuve des difficultés des représentants de la ville à affirmer leur autorité au milieu de la crise.

En juillet, après avoir soigneusement pesé les avantages du projet des Îles-de-Boucherville, l’Emigrant Committee nommé par l’administration coloniale annonça, à l’indignation générale, qu’il le rejetait. Accusés de faire preuve d’irresponsabilité en matière de santé publique, les membres du comité fournirent avec circonspection les raisons qui à leurs yeux justifiaient le statu quo. Ils déclarèrent d’entrée de jeu que le Bureau de santé n’avait tout simplement pas suffisamment réfléchi à la logistique du projet. En effet, firent-ils valoir, alors qu’on était en pleine crise publique, la construction d’installations de pointe sur une île se trouvant à très grande distance de la ville n’était pas réaliste. Même aux baraques existantes, on rapportait que les autorités avaient du mal à retenir les employés, qui craignaient, à juste titre, de contracter le typhus des immigrants qui y étaient confinés[59]. Comme c’était souvent le cas quand une épidémie poussait le gouvernement à envisager des mesures de quarantaine, les autorités en question peinaient à trouver un équilibre entre les demandes contradictoires d’un public désireux de se protéger contre les maladies contagieuses, d’immigrants hostiles à l’idée de se faire bousculer par des médecins et à être détenus contre leur gré, et d’un milieu commercial protestant contre tout ce qui risquait de nuire à l’industrie de la navigation[60].

L’Emigrant Committee justifia en outre sa décision en maintenant que le déplacement des immigrants vers les Îles-de-Boucherville constituerait une atteinte inacceptable à leurs droits. En effet, cela les obligerait à passer par deux stations de quarantaine avant d’être autorisés à s’établir en Amérique du Nord britannique. On brossa le tableau de ce que devait traverser un homme, une femme ou un enfant irlandais ayant probablement quitté son village sous la pression de la famine, du typhus et de la violence sociale pour se rendre dans une ville portuaire de la côte ouest de la Grande-Bretagne, qui grouillait déjà d’autres immigrants en quête de nourriture et d’hébergement. Puis, ceux qui en avaient les moyens s’embarquaient sur un bateau en direction de l’Amérique du Nord, ce qui constituait en soi une expérience pénible. La traversée de l’Atlantique se terminait déjà par une quarantaine à Grosse-Île, qui représentait un intervalle long, chaotique et probablement intenable. Cette expérience, le Bureau de santé et ses partisans voulaient contraindre les immigrants à la répéter alors qu’ils approchaient de Montréal[61]. L’Emigrant Committee formula également cet argument moral en termes économiques en soulignant que, à long terme, la colonie profiterait de cet afflux de gens qui deviendraient certainement des citoyens productifs. « Si ces sujets […] étaient détenus sur une île, pouvait-on lire dans sa déclaration, ils seraient pratiquement contraints à dépendre du gouvernement, car cela consisterait à leur enlever la capacité de se prendre en charge[62]. »

S’il est vrai que cette déclaration a suscité une vague d’indignation dans la population, il n’en illustre pas moins la divergence des points de vue quant aux activités se déroulant sur le port de Montréal au cours de l’été 1847. Alors que le Bureau de santé, la majorité des notables de la ville et, semble-t-il, une bonne tranche de la population voyait le désespoir et la misère des immigrants irlandais qui débarquaient à proximité de la ville comme une menace à l’ordre public, l’Emigrant Committee considérait ces mêmes scènes comme une conséquence inévitable de la croissance économique et un symbole de la volonté typiquement britannique de poursuivre son avancée en dépit de la crise[63]. En prolongeant considérablement la période de séquestration des immigrants en quarantaine, arguait le comité, le projet du Bureau de santé de Montréal risquait de rendre les immigrants dépendants du soutien gouvernemental. Dans son rapport, il soulignait à plusieurs reprises le fait que plus de la moitié des immigrants qui étaient passés par Montréal depuis le début de 1847 avaient payé leur traversée et avaient donc le droit d’être traités en conséquence par les autorités en place, sans égard aux préoccupations du public concernant la maladie. Ces chiffres, soutenait-il, étaient élevés en dépit de la misère et de la privation qui avaient marqué la vague d’immigration de 1847. Au cours des années précédentes, plus des trois quarts des immigrants venus d’Irlande et de Grande-Bretagne avaient payé leur passage. Bref, cette argumentation laissait transparaître la crainte que le projet du Bureau de santé n’ait pour conséquence, à long terme, d’amoindrir la capacité de la Province du Canada à attirer les immigrants financièrement indépendants dans la colonie, que cela soit intentionnel ou non[64].

En conclusion de sa réponse au Bureau de santé, l’Emigrant Committee s’interrogeait sur le genre de gouvernement que désiraient les citoyens. Le projet qu’il rejetait, bien qu’enveloppé d’une bonne dose de rhétorique concernant la protection des résidants de Montréal et l’offre d’un refuge sécuritaire et salubre aux immigrants épuisés, se fondait en fait sur une « coercition despotique et acharnée »[65].  Ce qui semblait être une froide indifférence aux yeux des partisans du projet du Bureau était plutôt, affirmaient les membres du comité, une volonté de tenir compte à la fois du droit des immigrants à ne pas être confinés outre mesure et des demandes des Montréalais en faveur d’une action décisive.

Sachant que le rapport susciterait un tollé général, les membres du comité se donnèrent beaucoup de mal pour convaincre la population que les mesures déjà prises par l’administration coloniale pour faire face à l’épidémie de typhus étaient adéquates. Il suffisait, affirmèrent-ils, de faire preuve d’un peu de patience et de retenue. Ils écrivirent que tout était fait pour s’assurer que les immigrants passent le moins de temps possible près de la ville et précisèrent que plusieurs des bienfaits censés découler des propositions du Bureau étaient déjà en voie de concrétisation et seraient prochainement intégrés dans l’entente courante. Ils vantèrent les nouveaux hôpitaux, « spacieux et aérés », qu’on achevait de construire à Pointe-Saint-Charles et qui permettraient d’isoler plus efficacement les malades des bien portants. Selon eux, en gardant toutes ces installations à proximité de Montréal, les autorités seraient en mesure de dépister les immigrants malades tout en intervenant le moins possible auprès de ceux qui étaient en santé, mais devaient rester à Montréal le temps que les membres de leur famille récupèrent en isolement[66]. Sans affirmer explicitement regretter la manière dont les baraques des immigrants avaient été administrées jusque-là, l’Emigrant Committee présenta son programme pour une meilleure surveillance du secteur entourant les installations, soulignant qu’on projetait d’ériger une enceinte solide dont les portes seraient gardées par des policiers qui auraient pour tâche d’empêcher toute communication avec le monde extérieur. Des mesures seraient prises pour déplacer les immigrants en santé vers les nouveaux abris salubres construits le long du canal de Lachine. À leur arrivée, ils seraient inscrits sur une liste par des fonctionnaires gouvernementaux qui, ensuite, organiseraient leur départ pour le Canada-Ouest de la manière la plus rapide et la plus efficace possible[67].

Les partisans de l’approche de l’administration coloniale réfutèrent avec force l’accusation selon laquelle leur stratégie face aux conditions extrêmes que subissaient les immigrants dénotait un véritable manque de compassion. Ils accusèrent plutôt ceux qui demandaient que l’on déplace les immigrants démunis de vouloir simplement soustraire ceux-ci à leur vue afin de ne pas être confrontés quotidiennement à leur souffrance. Lewis Drummond, opposant énergique à l’administration tory, nia vigoureusement l’accusation. Il affirma que les Montréalais, tous partis politiques confondus, avaient prouvé leur compassion et leur humanité à de multiples reprises au cours de la crise de 1847, mais qu’ils n’avaient pas à accepter la présence d’un « Champ des morts » à quelques pas de la ville[68].

Les adversaires de l’approche coloniale s’irritèrent des affirmations de la presse tory et de l’Emigrant Committee voulant que leurs propositions soient irresponsables et irréalistes. Ils rappelèrent que d’autres gouvernements et administrations, en Grande-Bretagne, dans l’Amérique du Nord britannique et aux États-Unis, avaient entrepris des actions nettement plus fermes que ce qui était fait à Montréal et qu’ainsi ils semblaient avoir réussi à mieux protéger leurs citoyens contre l’épidémie de typhus et les autres troubles sociaux ayant accompagné la vague massive d’immigration irlandaise. Ainsi, devant un afflux infiniment plus important que celui de Montréal, Liverpool avait décidé, durant l’été 1847, d’utiliser les fonds publics pour retourner en Irlande ceux qui ne pouvaient subvenir à leurs besoins[69]. De ce côté-ci de l’Atlantique, divers gouvernements et administrations américains avaient imposé aux immigrants des taxes et des restrictions, mesures qui se révélaient très efficaces pour en détourner le flot vers des villes portuaires comme New York[70]. Plus près de nous, la petite ville de Brockville, au Canada-Ouest, avait tout simplement décidé d’interdire aux capitaines de bateaux de débarquer les immigrants irlandais sur ses quais, les obligeant ainsi à remonter le fleuve Saint-Laurent vers le lac Ontario et la ville de Toronto[71]. Une population frustrée et agitée demandait aux autorités de Montréal pourquoi elles ne pouvaient imposer le même genre de restrictions[72].

La position de l’Emigrant Committee qui, ses membres le reconnaissaient dans leur préface, avait « suscité beaucoup de mécontentement » démontre à quel point les connaissances scientifiques entourant les maladies contagieuses restaient profondément contestées au milieu du XIXe siècle. Le comité rejeta la croyance populaire voulant que le typhus se propage par des miasmes charriés par le vent depuis les baraquements des immigrants, rappelant que seules les personnes qui avaient été en contact répété avec les malades avaient contracté la maladie, notamment les religieuses qui leur prodiguaient des soins et les fonctionnaires gouvernementaux qui y étaient postés. Tout en reconnaissant, à l’instar du Bureau de santé, que les maladies contagieuses pouvaient se propager dans l’air, le comité refusait d’admettre que les abris des immigrants, sur les bords du canal de Lachine, constituaient une menace pour les Montréalais. Ses assertions furent appuyées par les commissaires médicaux nommés par le gouvernement colonial[73], qui expliquèrent dans leur rapport que, compte tenu des vents dominants et de l’impact des rapides du Saint-Laurent sur les courants atmosphériques à proximité de Montréal, la probabilité que le typhus se répande dans la ville par le biais des miasmes était pour ainsi dire nulle. À l’instar de leurs homologues de l’Emigrant Committee, les commissaires médicaux déclarèrent qu’aucun motif rationnel ne justifiait le démantèlement des abris en place. Les partisans du gouvernement colonial minimisèrent le fait qu’en rejetant la proposition du Bureau de santé, le gouvernement évitait des dépenses publiques considérables, même si cela correspondait à leur engagement idéologique à limiter celles-ci.

Malgré les protestations des milliers de Montréalais qui signèrent des pétitions et participèrent à des rencontres publiques demandant le déplacement des immigrants, les responsables coloniaux affirmèrent que leur refus d’accéder à ces demandes ne mettait pas la population en danger. Dans les jours qui suivirent le rejet de la proposition de construire une nouvelle station de quarantaine dans les Îles-de-Boucherville, le ministère des Colonies suscita à nouveau l’indignation des Montréalais en décidant d’ériger des tentes sur le terrain du General Hospital afin d’offrir un refuge aux malades souffrant du typhus qui, par manque de place, ne pouvaient être accueillis à l’hôpital ou aux baraques. Chose qui souleva à nouveau la colère de la population. Denis-Benjamin Viger, éminent homme politique montréalais qui s’était montré de plus en plus critique envers la manière dont les autorités coloniales avaient géré les événements de 1847, prit la parole à l’Assemblée législative pour protester contre cette décision. Avec d’autres critiques de l’administration coloniale, il fit valoir que les tentes montées sur le terrain de l’hôpital constituaient un autre signe du manque d’initiative du gouvernement concernant l’épidémie de typhus. Il affirma que les études brandies par les responsables coloniaux dans le but de démontrer que la population ne courait aucun risque n’avaient aucune valeur, car il était de notoriété publique que, dans tous les quartiers de Montréal, des gens avaient contracté le typhus[74]. Viger brossa un tableau sombre de la ville telle qu’elle apparaissait en raison de l’approche prétendument non interventionniste de l’administration coloniale, ville dont le paysage était parsemé de baraques et de tentes d’hôpital érigées à la hâte, où dans chaque foyer on craignait de contracter la maladie et où des immigrants émaciés et fiévreux se regroupaient sur les quais. Il n’était pas le seul à blâmer l’administration coloniale pour la chute abrupte de l’activité commerciale qui avait accompagné l’épidémie. En effet, les marchands et autres visiteurs en provenance des États-Unis et de la Grande-Bretagne, de même que les habitants des campagnes en périphérie de Montréal évitaient autant que possible la ville, de crainte de contracter la maladie. Se faisant l’écho des observations de Viger, un éditorial de La Minerve s’attacha à décrire le calme sinistre qui régnait dans les rues de la ville[75].

Les partisans de l’administration coloniale dirigée par les tories n’allaient pas laisser ce genre d’allégations et d’insinuations se répandre sans les commenter. Ils accusèrent leurs adversaires politiques, dont certains membres du Bureau de santé nommés par l’administration municipale, de salir la réputation de Montréal et de semer inutilement la panique dans une communauté déjà ébranlée par une crise de santé publique. Étant donné qu’à cette époque, l’autorité légitime d’un personnage public se reconnaissait à sa capacité à faire preuve de sang-froid et de, l’affirmation du Comité selon laquelle des membres du Bureau craignaient d’affronter l’opinion publique et s’affolaient inutilement constituait une allégation hautement contestable et de nature politique. Le Comité s’engagea à ne pas céder aux demandes d’une population effrayée, à l’opposé du Bureau et de son projet difficilement applicable de construire une nouvelle station de quarantaine sur une île peu accessible, en aval de la ville[76]. Ces atteintes à la personnalité étaient courantes dans le paysage politique tendu du Montréal du milieu du XIXe siècle[77]. C’était durant des crises comme celle de l’épidémie de typhus que les politiciens cherchant à être bien vus étaient soumis à l’examen le plus rigoureux et où les allusions à ces préalables essentiels à toute vie publique étaient discutées avec la plus grande vigueur[78].

Pendant toute la durée de l’épidémie, des débats se succédèrent sur la question de savoir si les membres de l’élite politique devaient informer le public des conditions épouvantables que devaient affronter les immigrants dans les baraquements. Les critiques de l’administration tory soutenaient que la chose était du domaine public, alors que les tories rétorquaient que les membres de la faction réformiste nommés par le Bureau de santé cherchaient à provoquer l’hystérie populaire à des fins politiques et, ce faisant, salissaient la réputation de Montréal[79]. Autant ces deux factions politiques étaient divisées quant aux solutions proposées pour résoudre la crise de santé publique, autant elles considéraient le sang-froid et la retenue comme essentiels à une bonne communication[80]. C’est ainsi que, dans son premier rapport sur la nécessité de sanctionner avec plus de rigueur les infractions sanitaires, le Bureau insistait pour que cela se fasse dans un climat de calme et de retenue. Ainsi, il préféra dire que la situation fournissait un motif de « précaution, mais non d’alarme »[81]. En dépit de l’inquiétude du public, les hommes politiques des deux factions se servirent de la crise pour affirmer leur capacité à faire preuve de réserve dans un tel climat, attitude qui, on l’espérait de part et d’autre, aurait des effets positifs dans un contexte politique plus large.

En substance, le projet de réforme de l’Emigrant Committee consistait à transformer les baraquements du canal de Lachine en une station de quarantaine à part entière qui répondrait, d’une part, à la nécessité d’isoler efficacement les immigrants malades et d’éviter qu’ils ne se dispersent dans la population, et aussi, d’autre part, à la volonté de ne pas enfreindre indûment leurs droits. Cela montre comment, en période de crise, deux groupes d’hommes politiques rivaux étaient activement engagés dans un processus de gouvernance libérale. D’une part, le Bureau de santé proposait des mesures, notamment une infrastructure plus efficace, qui s’attaquaient à l’épidémie et à la crise entourant l’immigration en tant que problème de gouvernance. Il s’exprimait dans le langage réformiste de l’époque en laissant entendre qu’on pouvait à la fois soulager la souffrance des immigrants et atténuer les craintes de la population montréalaise en investissant dans une infrastructure qui améliorerait l’efficacité et l’efficience de l’ensemble du processus d’immigration. D’autre part, les mesures adoptées par l’Emigrant Committee manifestaient des aspirations similaires sur la réorganisation de l’infrastructure entourant l’immigration. Ses membres se demandaient toutefois si le Bureau de santé n’avait pas surestimé l’efficacité de sa proposition, celle-ci constituant un pas, petit mais significatif, vers un mode de gouvernance plus autoritaire en ce qui avait trait aux droits des immigrants, sans compter qu’elle représentait à leurs yeux une charge trop lourde pour le trésor public[82].

Les spécialistes en histoire de la santé publique observent depuis longtemps que la quarantaine, comme moyen de faire face à l’éclosion d’une épidémie, est source de tensions. D’un côté, cette mesure démontre la capacité d’un État à utiliser ses ressources de manière extrêmement concentrée dans le but de protéger l’ensemble de ses citoyens. De l’autre, elle expose l’administration locale à voir son autorité constamment remise en cause, ce qui se manifeste de diverses façons. Ce fut certainement le cas à Montréal durant l’été 1847. Les capitaines des bateaux à vapeur ignoraient ouvertement les restrictions imposées par la Maison de la Trinité quant aux lieux de débarquement des immigrants. Ainsi, les proches et amis des personnes confinées aux baraquements du canal de Lachine traversaient fréquemment le périmètre de protection pour les voir. Quant aux immigrants eux-mêmes, à l’issue d’un voyage migratoire long et pénible, ils cherchaient souvent à cacher leurs symptômes dans le but d’échapper à la quarantaine ou de recevoir au plus tôt leur congé. Tout cela concourait à faire la démonstration que, face à une crise publique complexe telle que l’éclosion d’une épidémie à l’échelle transnationale, les responsables aux niveaux municipal, colonial et impérial voyaient leur autorité s’effriter considérablement[83]. Les réactions, souvent contradictoires, à l’épidémie illustrent également le fait qu’il existe, au sein des sociétés libérales, des points de vue différents en matière de société, de politique et d’économie – depuis les gens prêchant l’isolationnisme jusqu’à ceux dont les intérêts commerciaux les amenaient à contrer sans relâche toute tentative d’imposer des restrictions au commerce transatlantique et international[84]. Le fait que les autorités aient réussi à répondre à ces demandes contradictoires nous en dit long sur la manière dont les diverses factions de l’élite montréalaise ont concilié les approches idéologiques de la gouvernance et les demandes résolues provenant de la sphère publique.

Au cours de la dernière décennie, des historiens ont exprimé l’opinion que c’est au milieu du XIXe siècle que l’élite politique de l’Amérique du Nord britannique s’est engagée dans la voie du libéralisme[85]. Bien que cette approche de la gouvernance se soit manifestée dans la vie quotidienne des populations urbaines du Canada, c’est durant des périodes comme la crise de l’épidémie de typhus de 1847 que le public a débattu des grandes lignes de ces valeurs. Le débat houleux qui est né de la nécessité de faire face à la crise de santé publique que traversait Montréal illustre la souplesse de ces principes directeurs. La polémique qui opposa l’Emigrant Committee formé par l’administration coloniale au Bureau de santé désigné par les autorités municipales ne consistait pas en un affrontement entre le libéralisme et les valeurs de l’ancien régime. Les deux organismes adhéraient, grosso modo, aux valeurs libérales qui, au cours de cette période, étaient en train de remodeler les rapports sociaux et économiques dans le monde de l’Atlantique Nord. L’un et l’autre estimaient que divers tentacules de l’État devaient gérer avec plus d’efficacité une situation désordonnée, mais croyaient également qu’il fallait le faire avec une certaine retenue. Durant la crise, les deux organismes avaient comme projet plus vaste de transformer les immigrants malades et démunis en citoyens productifs. Cependant, malgré ces valeurs communes, les réactions à la crise ne furent pas uniformes, les conditions locales donnant lieu à des perspectives très différentes sur la gouvernance. La façon dont Montréal affronta le typhus fut façonnée par sa position commerciale dans l’Amérique du Nord britannique, par ses antagonismes sectaires et politiques récents ainsi que par les conflits d’attributions existant entre les gouvernements municipal, colonial et impérial concernés par l’affaire.

En août, alors que le nombre de décès attribuables au typhus et le flux d’immigration commencèrent à décroître régulièrement, le Bureau de santé publia son dernier rapport, dans lequel il accablait d’injures l’administration coloniale pour ce qu’il percevait comme un manque de soutien de sa part tout au long de la crise. On y soutenait qu’un organisme comme le Bureau de santé n’aurait pu avoir d’effet positif durant une crise de santé publique que s’il avait disposé de plus grandes ressources financières et de pouvoirs exclusifs. Au contraire, y rappelait-on, le Bureau avait dû fonctionner avec un budget minime et consacrer beaucoup de ses énergies à des disputes sur des questions d’attributions avec l’Emigrant Committee nommé par l’administration coloniale et avec la Maison de la Trinité. Quand l’administration municipale avait mis en place le Bureau, elle l’avait fait en mettant en évidence les pouvoirs extraordinaires qui lui étaient attribués. Or, il ne fallut guère de temps pour que les médecins et les notables municipaux nommés en son sein comprennent que ces pouvoirs tant vantés étaient « illusoires »[86]. Les solutions pratiques qui auraient pu avoir un impact réel sur la propagation du typhus dans la ville – déplacement des immigrants à une plus grande distance de la ville, réglementation des conditions de vie à bord des bateaux les transportant vers la colonie ou remontant le fleuve Saint-Laurent, amélioration des conditions sanitaires dans les abris destinés aux malades afin qu’ils guérissent – relevaient toutes de la compétence d’autres organismes et paliers de gouvernement. Tenu de fonctionner dans le cadre de ces limites étroites, le Bureau en était réduit à ne s’occuper que des inspections sanitaires dans la ville. Même dans ce cas, il devait rapporter les infractions observées à l’administration municipale, qui en confierait la suite au corps policier[87].

À la fin de l’été 1847, l’épidémie de typhus commençait à décliner, mais la ville chancelait sous le poids des pertes. Les baraques des immigrants, sur les bords du canal de Lachine, seraient utilisées jusqu’au printemps de 1848, bien que le nombre de malades hébergés ait diminué régulièrement depuis le pic atteint l’été précédent. À bien des égards, l’histoire se répétait au moment où les craintes d’une éclosion généralisée s’estompaient. Comme en 1832, bon nombre des mesures d’urgence mises en place dans le but de freiner la propagation de la maladie furent abolies une fois la menace écartée[88]. Le fait que la crise n’ait pas entraîné une refonte complète des méthodes de gestion de la colonie en matière d’immigration et de santé publique ne devrait pas nous amener à voir les épidémies ayant touché Montréal dans la première moitié du XIXe siècle comme une simple préhistoire du mouvement de santé publique qui émergea dans la ville au cours des années 1850 et 1860[89]. Alors que les règlements sanitaires imposés par le Bureau disparurent avec lui, l’épidémie contribua à renforcer notablement l’idée que la propriété privée devait faire l’objet d’une surveillance afin d’éviter que l’imprudence de certains citoyens n’ait pour effet de mettre en danger toute la population. La décennie suivante fut marquée par une augmentation importante des investissements publics et privés dans les canalisations sanitaires et les égouts[90]. L’épidémie contribua également à alimenter le vœu que l’administration coloniale joue un rôle plus actif dans la régulation de l’immigration dans la colonie[91]. La colère dirigée contre le gouvernement impérial, qu’on accusait d’avoir manqué à ses obligations durant l’épidémie et d’avoir mal géré la crise en Irlande, conféra plus de légitimité aux demandes des notables locaux qui réclamaient une plus grande autonomie dans les affaires de la colonie[92]. Des responsables locaux, dont un des membres de l’Emigrant Committee, affirmèrent qu’il revenait au gouvernement impérial de réguler avec plus d’efficacité l’immigration transatlantique. Les hommes politiques de la colonie exprimèrent avec énergie leur désir que la Grande-Bretagne réforme son Passenger Act, dans le but d’améliorer les conditions sanitaires à bord des navires effectuant la traversée de l’Atlantique, dans l’espoir qu’à leur arrivée au Canada, les immigrants soient en meilleure santé qu’ils ne l’étaient en 1847[93].

Durant l’été 1847, la ville de Montréal fut secouée par une crise transnationale associée à la manière dont les gens, les idées et les biens circulaient dans le monde de l’Atlantique Nord à une époque du capitalisme mondial et de la gouvernance libérale. Les débats suscités par l’immigration résultant de la famine qui sévissait en Irlande et par l’épidémie de typhus qui l’accompagna donnent un aperçu des idées qu’entretenaient l’élite politique et la population face aux défis que posaient les transformations sociales rapides dont ils étaient témoins. Si les membres de cette élite s’entendaient peut-être pour dire que la santé publique et l’immigration nécessitaient l’intervention efficace d’organismes gouvernementaux, la manière dont cela devait se faire restait sujette à des débats vigoureux et à une forte résistance. De telles situations nous permettent de suivre le développement du projet de gouvernance libérale au Canada. Elles nous forcent à considérer le rôle qu’ont joué les crises sociales dans ce processus, ces moments de vulnérabilité individuelle et collective étant ceux où les effets de l’intervention gouvernementale pesaient le plus sur la conscience publique. Dans le cas de Montréal, où les transformations survenues au milieu du XIXe siècle ont laissé une marque profonde sur le tissu social de la ville, les événements de 1847 ont joué un rôle crucial dans la manière dont l’élite politique et la population ont appréhendé les enjeux liés à la gouvernance urbaine, à l’immigration et au rôle du gouvernement, alors que, d’avant-poste colonial, la ville se transformait en métropole industrielle.


  1. Traduction de « "The Public Has The Right to Be Protected From A Deadly Scourge" : Debating Quarantine, Authority and Liberal Governance During the 1847 Typhus Outbreak in Montreal », Revue de la Société historique du Canada/Journal of the Canadian Historical Association , 24, 1 (2013), p. 65-100. L’auteur souhaite remercier Michel Ducharme et les cinq évaluateurs anonymes pour leurs suggestions éclairées dans le cadre de cet essai.
  2. Voir le texte approfondi et particulièrement perspicace sur l’épidémie de Montréal de Maude Charest-Auger, Les réactions montréalaises à l’épidémie de typhus de 1847, Montréal, mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, 2012.
  3. Anne Hardy, « Urban Famine or Urban Crisis? Typhus in the Victorian City », Medical History, vol. 32 (octobre 1988), pp. 401–425.
  4. L’historiographie de la famine en Irlande s’est récemment enrichie de quelques contributions dans lesquelles la crise est vue comme un effet de la gouvernance coloniale libérale. Voir notamment Dave Nally, Human Encumbrances: Political Violence and the Great Irish Famine, South Bend, IN, University of Notre Dame Press, 2011; Phillip O’Regan, « “A dense mass of petty accountability” : Accounting in the Service of Cultural Imperialism during the Irish Famine, 1846–1847 », Accounting, Organizations and Society, vol. 35, no. 4 (mai 2010), pp. 416–430; Christine Kinealy, A Death-Dealing Famine: The Great Hunger in Ireland, Londres, Pluto Press, 1997 et ibid., The Great Irish Famine: Impact, Ideology and Rebellion, Londres, Palgrave, 2002. Pour en savoir plus sur l’immigration en Amérique du Nord consécutive à la famine en Irlande, voir Donald MacKay, Flight from Famine: The Coming of the Irish to Canada, Toronto, McClelland and Stewart, 1990; Andy Beilenberg, dir., The Irish Diaspora, Londres, Longman, 2000; Kirby Miller, Emigrants and Exiles: Ireland and the Irish Exodus to North America, Oxford, Oxford University Press, 1985, ainsi que les deux études de Christine Kinealy.
  5. Jeffrey McNairn, The Capacity to Judge: Public Opinion and Deliberative Democracy in Upper Canada, 1791–1854, Toronto, University of Toronto Press, 2000.
  6. Michel Ducharme, Le concept de liberté au Canada à l’époque des Révolutions atlantiques, 1776-1838, Montréal-Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2010. Pour un point de vue international sur ce processus, voir Geoff Eley, « Nations, Public and Political Cultures: Placing Habermas in the Nineteenth Century », dans Habermas and the Public Sphere, sous la dir. de Craig Calhoun, Cambridge, The M.I.T. Press, 1992, pp. 289–332, et Catherine Hall, « The Rule of Difference: Gender, Class and Empire in the Making of the 1832 Reform Act », dans Gendered Nations: Nationalisms and Gender Order in the Long Nineteenth Century, sous la dir. d’Ida Bloom, de Karen Hagemann et de Catherine Hall, Oxford, Oxford University Press, 2000, pp. 107–135.
  7. Ian McKay, « The Liberal Order Framework: A Prospectus for a Reconnaissance of Canadian History », Canadian Historical Review, vol. 81 (décembre 2000), pp. 617–645; Michel Ducharme et Jean-François Constant, « Introduction: A Project of Rule Called Canada — The Liberal Order Framework and Historical Practice », et Ian McKay, « Canada as a Long Liberal Revolution: On Writing the History of Actually Existing Canadian Liberalisms, 1840s–1940s », dans Liberalism and Hegemony: Debating the Canadian Liberal Revolution, sous la dir. de Jean-François Constant et de Michel Ducharme, Toronto, University of Toronto Press, 2009, pp. 3–32 et 347–452; Cecilia Morgan, Public Men and Virtuous Women: The Gendered Languages of Religion and Politics in Upper Canada, 1791–1850, Toronto, University of Toronto Press, 1996.
  8. Jean-Marie Fecteau, La liberté du pauvre : sur la régulation du crime et de la pauvreté au XIXe siècle québécois, Montréal, VLB, 2004; Jean-Marie Fecteau, Un nouvel ordre des choses: la pauvreté, le crime et l’État au Québec, de la fin du XVIIIe siècle à 1840, Outremont, VLB, 1989; sous la dir. d’Ian Radforth et d’Allan Greer, Colonial Leviathan: State Formation in Mid-Nineteenth-Century Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1992.
  9. Pour en savoir plus sur la gouvernance libérale au milieu du XIXe siècle, voir Patrick Joyce, The Rule of Freedom: Liberalism and the Modern City, Londres, Verso, 2003; Uday Singh Mehta, Liberalism and Empire: A Study in Nineteenth-Century British Liberal Thought, Chicago, University of Chicago Press, 1999.
  10. On trouvera une excellence étude de cas de ce processus dans Bruce Curtis, The Politics of Population: State Formation, Statistics and the Census of Canada, 1840–1875, Toronto, University of Toronto Press, 2002.
  11. Howard Markel, Quarantine: Eastern European Jewish Immigrants and the New York City Epidemics of 1892, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1997; Charles Rosenberg, The Cholera Years: The United States in 1832, 1849 and 1866, Chicago, University of Chicago Press, 1962; Micheal Bliss, Plague: A Story of Smallpox in Montreal, Toronto, Harper Collins, 1992; Esyllt Jones, Influenza 1918: Disease, Death, and Struggle in Winnipeg, Toronto, University of Toronto Press, 2007; Mark Harrison, Disease and the Modern World: 1500 to the Present Day, Cambridge, R.-U., Polity Press, 2004, particulièrement le chap. 6, « The Individual and the State »; Marola Espinosa, Yellow Fever and the Limits of Cuban Independence, 1878–1930, Chicago, University of Chicago Press, 2009; Peter Baldwin, Contagion and the State in Europe, 1830–1930, Cambridge, R.-U., Cambridge University Press, 2004.
  12. Voir Gerald Tulchinsky, The River Barons: Montreal Businessmen and the Growth of Industry and Transportation, 1837–1853, Toronto, University of Toronto Press, 1977.
  13. Voir Bettina Bradbury, Working Families: Age, Gender and Daily Survival in Industrializing Montreal, Don Mills, Ont., Oxford University Press, 1993, traduit en français sous le titre Familles ouvrières à Montréal : âge, genre et survie quotidienne pendant la phase d'industrialisation, Montréal, Boréal, 1995; Sherry Olson, « Pour se créer un avenir : stratégies de couples montréalais au XIXe siècle », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 51, no. 3 (hiver 1998), pp. 357–389; Jean-Claude Robert, « The City of Wealth and Death: Urban Mortality in Montreal, 1821–1871 », dans Essays in the History of Canadian Medicine, sous la dir. de Wendy Mitchinson et de Janice Dickin McGinnis, Toronto, McClelland and Stewart, 1988, pp. 18–38.
  14. Pour en savoir plus sur les changements démographiques dans le Montréal du XIXe siècle, voir Sherry Olson et Patricia Thornton, Peopling the North American City: Montreal 1840–1900, Montréal-Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2011.
  15. Yves Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec, 1760–1896, Montréal, Fides, 2000, pp. 120–135.
  16. Dan Horner, Taking to the Streets: Crowds, Politics and the Urban Experience in Mid- Nineteenth-Century Montreal, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2020; Allan Greer, The Patriots and the People: The Rebellion of 1837 in Rural Lower Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1993, traduit en français sous le titre Habitants et PatriotesLa Rébellion de 1837 dans les campagnes du Bas-Canada, Montréal, Boréal, 1997; James Jackson, The Riot That Never Was: The Military Shooting of three Montrealers in 1832 and the Official Cover-Up, Montréal, Baraka Books, 2009.
  17. Roberto Perin, Ignace de Montréal : Artisan d’une identité nationale, Montréal, Boréal, 2008, chap. 1.
  18. Voir Jean-Marie Fecteau, « La dynamique sociale du catholicisme québécois au XIXe siècle : éléments pour une réflexion sur les frontières et les conditions historiques de possibilité du “social” », Social History / Histoire sociale, vol. 35, no. 70 (novembre 2002), pp. 507–508.
  19. Ce groupe de réformateurs montréalais n’a pas fait l’objet d’une étude exclusive, mais on se fera une bonne idée de l’approche d’un réseau similaire œuvrant à New York en consultant l’ouvrage de David Scobey, Empire City: The Making and Meaning of the New York City Landscape, Philadelphie, Temple University Press, 2002.
  20. Pour en savoir plus sur la transition du féodalisme au capitalisme dans le Bas-Canada du XIXe siècle, voir Gérald Bernier et Daniel Salée, Entre l’ordre et la liberté : colonialisme, pouvoir et transition vers le capitalisme dans le Québec du XIXe siècle, Montréal, Boréal, 1995.
  21. Pendant toute la durée de l’épidémie, de nombreux commentateurs ont exprimé l’opinion que Montréal devrait consacrer ses ressources à assister ses « propres » pauvres plutôt que le dilapider auprès d’immigrants qui ne faisaient que traverser la ville. Voir un exemple de cette rhétorique dans la lettre d’Augustus Gugy publiée dans La Minerve, le 14 octobre 1847.
  22. Pour en savoir plus sur l’épidémie de 1832, voir Geoffrey Bilson, A Darkened House: Cholera in Nineteenth-Century Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1980; Robert. Pour un aperçu de la politique migratoire du Bas-Canada depuis l’ancien régime jusqu’au XXe siècle, voir Martin Pâquet, Tracer les marges de la cité : étranger, immigrant et État au Québec, 1627–1981, Montréal, Boréal, 2005.
  23. La presse montréalaise rendait régulièrement compte des tentatives de l’armée britannique de réprimer les émeutes et les autres formes de violence collective en Irlande lors des troubles suscités par la famine. Voir notamment Montreal Gazette (8 juin 1847).
  24. Voir, par exemple, La Minerve (14 février1847).
  25. Pour un bon compte-rendu de ces événements, voir K.H. Connell, « The Potato in Ireland », Past and Present, vol. 23 (novembre 1962), pp. 57–71.
  26. Pour un compte-rendu détaillé, voir Kinealy, A Death-Dealing Famine.
  27. MacKay; Kerby Miller, Emigrants and Exiles: Ireland and the Irish Exodus to North America, Oxford, Oxford University Press, 1985.
  28. La législation de l’État de New York rendait les capitaines de navires responsables des immigrants qu’ils débarquaient dans les ports. L’article le plus important de la loi voulait qu’on impose des amendes au capitaine si l’un des immigrants sous sa garde dépendait toujours de l’assistance publique de l’État deux ans après son arrivée. Conjuguée à d’autres charges et restrictions, cette loi eut pour effet de décourager les entreprises maritimes de débarquer des immigrants dans l’État de New York. Voir une description de la loi ainsi que l’opinion du comte Grey, du ministère des Colonies, sur ses mérites dans Journals of the Legislative Assembly of the Province of Canada, Session 1848, vol. 7, Montréal, Rollo Campbell, 1848, Annexe W.
  29. Scott See, Riots in New Brunswick: Orange Nativism and Social Violence in the 1840s, Toronto, University of Toronto Press, 1993; Graeme Wynn, Timber Colony: A Historical Geography of Early Nineteenth-Century New Brunswick, Toronto, University of Toronto Press, 1981.
  30. La Minerve (1er juillet 1847).
  31. À noter que, en 1847, l’administration municipale était encore toute jeune, ayant été créée au début des années 1840 par les autorités coloniales. Pour en savoir plus sur la fondation de la municipalité de Montréal et sur sa philosophie libérale, voir Michèle Dagenais, « The Municipal Territory: A Product of the Liberal Order? » dans Liberalism and Hegemony, pp. 201–220.
  32. Voir La Minerve (4 juin 1847); Gazette (9 juin 1847).
  33. Gazette (14 juin 1847).
  34. Montreal Gazette (9 juin 1847). Le Bureau de santé comptait également dans ses rangs Albert Larocque, le Dr McCulloch, William Speirs, Joseph Grenier, Wolfred Nelson, le Dr Bruneau, le Dr Peltier et Pierre Darmour.
  35. Ibid. (14 juin 1847).
  36. Ibid.
  37. Ibid.
  38. Des pamphlets dans lesquels on établissait un lien entre le système sanitaire et la santé publique furent publiés et largement lus dans les années 1840. Voir notamment R.D. Grainger, Unhealthiness of Towns: Its Causes and Remedies, Londres, Charles Knight & Co., 1845, et Henry Scading, Cleanliness Akin to Godliness. Toronto, Diocesan Press, 1850.
  39. Voir des exemples dans Montreal Gazette (5 juillet 1847). On trouvera des dépositions décrivant des plaintes en matière de problèmes sanitaires dans les rapports du Bureau de santé. Archives de la Ville de Montréal (ci-après AVM), fonds Bureau de santé, VM45 S1 SS2.
  40. Les îles de Boucherville faisaient partie intégrante de la seigneurie concédée à Pierre Boucher en 1644. Peu de temps après, les terres furent mises en culture. En 1847, une bonne partie de cette propriété seigneuriale appartenait au magnat de la bière John Molson, qui y avait une résidence. Au XXe siècle, ce fut brièvement le site d’un parc d’attractions avant de devenir, en 1984, le Parc national des Îles-de-Boucherville.
  41. La Minerve (1er juillet 1847).
  42. Ibid. (4 juin 1847). Le Gazette fit campagne contre les capitaines de bateaux à vapeur qui continuaient d’ignorer le règlement. On y publia leurs noms espérant ainsi leur faire honte et les amener à interrompre cette pratique. Montreal Gazette (5 juillet 1847).
  43. La Minerve (1er juillet 1847).
  44. Montreal Gazette (2 juillet 1847).
  45. La Minerve (26 juillet 1847).
  46. Ibid.
  47. Ibid. (15 juillet 1847).
  48. Les partisans du projet de station sur les Îles-de-Boucherville comptaient de grosses pointures, notamment Pierre Beaubien, Denis-Benjamin Viger, Benjamin Holmes, William Workman et Charles Rodier. Montreal Gazette, 13 juillet 1847.
  49. Ce genre de projet se fondait souvent sur le souvenir de l’épidémie de choléra de 1832, qui se manifesta d’abord dans les groupes d’immigrants avant de se propager rapidement à la population. Pour en savoir plus sur les réactions consécutives à cette épidémie, voir Bilson.
  50. Parmi les comptes rendus les plus détaillés et les plus poignants, citons celui que donna publiquement le Dr Wolfred Nelson à l’Assemblée. Voir Journals of the Legislative Assembly, Session 1847, vol. 6, p. 478.
  51. The British American Journal of Medical and Physical Science 3 no 4 (août 
1847), p. 107.
  52. Voir discussion sur les débats concernant la théorie des miasmes et le typlus dans l’article de Margaret Crawford, « Typhus in Nineteenth-Century Ireland » dans Medicine, Disease and the State in Ireland, 1650–1940, sous la dir. de Greta Jones et d’Elizabeth Malcolm, Cork, Cork University Press, 1999, p. 131.
  53. Montreal Gazette (15 juillet 1847). Le secteur du port de Montréal et du canal de Lachine était depuis longtemps considéré par les notables de la municipalité et la population comme un foyer de désordres sociaux. C’était le point zéro des transformations sanitaires et sociales associées à l’industrialisation. Ce quartier hébergeait bon nombre des ouvriers itinérants qui travaillaient au port. Dans les années 1840, il accueillit les immigrants irlandais embauchés pour les travaux d’expansion du canal de Lachine. Compte tenu des maigres salaires et des mauvaises conditions de travail de ces derniers, les campements où on les logeait devinrent le site de révoltes ouvrières et de violence collective. Voir Jason Gilliland, « Muddy Shore to Modern Port: Redemensioning the Montreal Waterfront Time-Space », Canadian Geographer, vol. 8, no. 4 (hiver 2004), pp. 448–470; Dan Horner, « Solemn Processions and Terrifying Canal Strike of 1843 », Urban History Review / Revue d’histoire urbaine XXXVIII, no. 2 (printemps 2010), pp. 36–47.
  54. Montreal Gazette (2 juillet 1847). En plus des risques que couraient les Montréalais, une lettre à la direction publiée dans le Gazette rapporta que les eaux peu profondes adjacentes aux abris des immigrants étaient particulièrement malsaines, puisque la ville s’en était longtemps servie comme dépotoir informel. Des observateurs rapportèrent y avoir vu de nombreux cadavres de chevaux.
  55. Ibid. (2 juillet 1847).
  56. Ibid. (10 juillet 1847).
  57. Ibid. (21 mai 1847).
  58. Ibid. (5 juillet 1847).
  59. Journals of the Legislative Assembly, Session 1847, vol. 7, Annexe N, Report from the Commissioner of Public Works.
  60. Voir une discussion éclairante sur l’histoire officielle de la quarantaine dans Lawrence Gostin, Public Health Law: Power, Duty, Restraint, Berkeley, University of California Press, 2008.
  61. On trouvera le compte-rendu le plus complet sur la station de quarantaine de Grosse-Île dans Marianna O’Gallagher, Grosse-Île: Gateway to Canada, 1832–1937, Sainte-Foy, Québec, Carraig Books, 1984.
  62. Journals of the Legislative Assembly of the Province of Canada, Session 1847, vol. 6, pp. 197–199.
  63. Ibid.
  64. Ibid. Pour en savoir plus sur l’immigration au Canada au début du XIXe siècle, voir Pâquet et Lisa Chilton, « Managing Migrants: Toronto, 1820–1880 », Canadian Historical Review, vol. 92, no. 2 (juin 2011), pp. 231–262.
  65. Ibid.
  66. Ibid.
  67. Ibid.
  68. Montreal Gazette (15 juillet 1847).
  69. Ibid.
  70. Ibid. (16 août 1847).
  71. Ibid. (19 août1847). Pour en savoir plus sur l’épidémie de typhus à Toronto, voir Chilton.
  72. La Minerve (19 août 1847).
  73. Les commissaires médicaux étaient le Dr McCulloch, Wolfred Nelson, Francis 
Badgley, Jasper Crawford et Joseph Campbell, tous médecins.
  74. La Minerve (22 juillet 1847).
  75. Ibid.
  76. Montreal Gazette (15 juillet 1847).
  77. Voir Dan Horner, « Shame upon you as men!: Competing Visions of Masculine Authority in the Aftermath of Montreal’s Gavazzi Riot », Social History / Histoire sociale. vol. 44, no. 87 (mai 2011), pp. 29–52.
  78. Voir Morgan; McKay, « Canada as a Long Liberal Revolution », pp. 353–357.
  79. Voir notamment l’attaque du Gazette contre The Pilo : Montreal Gazette (9 juillet 1847).
  80. Comme l’indique la documentation de l’époque victorienne, on accordait alors beaucoup d’importance aux vertus masculines de la retenue et du sang-froid. Voir notamment Matthew McCormack, The Independent Man: Citizenship and Gender Politics in Georgian England, Manchester, R.-U., University of Manchester Press, 2006; Ben Griffin, The Politics of Gender in Victorian Britain: Masculinity, Political Culture and the Struggle for Women’s Rights, Cambridge, R.-U., Cambridge University Press, 2012; John Tosh, A Man’s Place: Masculinity and the Middle-Class Home in Victorian England, New Haven, CT, Yale University Press, 1999.
  81. Montreal Gazette (14 juin 1847).
  82. Voir Joyce pour une vaste discussion sur la manière dont le libéralisme a façonné la gouvernance municipale au milieu du XIXe siècle.
  83. Voir Markel, qui présente une discussion intéressante de la chose dans le contexte de l’épidémie de typhus qui a frappé la ville de New York en 1892.
  84. On trouvera un autre exemple de situation où il y a eu opposition entre intérêts commerciaux et mesures de quarantaine dans Dorceta Taylor, The Environment and the People in American Cities, 1600s–1900s: Disorder, Inequality and Social Change, Durham, NC, Duke University Press, 2009, p. 107.
  85. Voir McKay, « Canada as a Long Liberal Revolution »; Fecteau, Un nouvel ordre des choses et La liberté du pauvre.
  86. La Minerve (19 août 1847).
  87. Ibid.
  88. Pour en savoir plus sur la manière dont les notables de la municipalité de Montréal ont effectivement fait face aux épidémies ultérieures, voir Bruce Curtis, « Social Investment in Medical Forms: The 1866 Cholera Scare and Beyond », Canadian Historical Review vol. 81, no. 3 (septembre 2000), pp. 347–379.
  89. Martin Pâquet retrace la relation existant entre santé publique et efforts concertés pour réguler l’immigration avant les années 1840. Voir « Diminuer le danger par de bons règlements intérieurs : État colonial et contrôle médical des migrations au Bas-Canada et au Canada-Uni, 1795-1854 », Canadian Bulletin of Medical History / Bulletin canadien d’histoire médicale 16 (1999), pp. 271-291.
  90. Voir Robert Gagnon, Questions d’égouts : Santé publique, infrastructures et urbanisation à Montréal au XIXe siècle, Montréal, Boréal, 2006.
  91. Voir Pâquet et Chilton.
  92. Voir compte rendu détaillé des débats autour du gouvernement responsable dans Phillip Buckner, The Transition to Responsible Government: British Policy in British North America, 1815–1850, Westport, CT, Greenwood Press, 1985.
  93. Adam Ferrie servit cet argument avec force dans une lettre ouverte qu’il adressa au comte Grey, du ministère des Colonies. Voir Adam Ferrie, « Letter to the Rt. Hon. Earl Grey, Embracing a Statement of Facts in Relation to Emigration to Canada during the Summer of 1847 », Montréal, The Pilot, 1847

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