1 Liens d’amitié, de parenté et d’appartenance à une collectivité : genre, itinérance et aide mutuelle à Montréal au début du XIXe siècle

Mary Anne Poutanen

Traduit de l’anglais par Hélène Paré[1]

À Montréal, les femmes errantes passaient le plus clair de leur vie dans les rues, les places et les lieux publics comme le Champ-de-Mars, dans les champs et les fermes entourant la ville, ainsi que dans certains établissements publics, notamment les tribunaux, les prisons et les débits de boissons. Elles allaient et venaient dans l’espace public, seules, à deux ou en groupe, avec des membres de leur famille, des amis et des connaissances. Afin de tenir bon dans un environnement hostile, elles nouaient des liens de dépendance mutuelle, souvent aux heures les plus difficiles. Ces liens n’assuraient pas toujours la survie de ces femmes, mais ils les aidaient à se rendre au bout d’une journée, d’une nuit ou d’une saison. Ils mettaient en œuvre tout un registre de comportements associés à l’intimité, la chaleur et « l’amour », d’une part, et à la tension, la colère et la simple indulgence, de l’autre. La diversité des lieux de vie et des relations entre les sans-logis remet en cause la notion de relations familiales utilisée par les historiens, qui considèrent celles-ci comme enracinées dans des espaces domestiques et privés plutôt que dans des endroits publics.

La plupart des spécialistes d’histoire sociale qui étudient les collectivités, la parenté et la famille ont recours à des sources qui situent les hommes, les femmes et les enfants à l’intérieur d’habitations. Le recensement, en particulier, prête une certaine permanence à l’attribution de lieux particuliers aux gens et aux rapports sociaux qu’on y observe. Les historiennes féministes accordent une grande importance à l’étude de la reproduction et de son fonctionnement à l’intérieur des familles; elles soulignent le rôle primordial des femmes comme porteuses de la génération suivante et comme les premières responsables d’une série de tâches destinées à assurer aux membres de la famille un toit, des vêtements et de la nourriture. Les spécialistes d’histoire de la famille la placent au cœur de certains des liens affectifs les plus intenses. À l’opposé, les historiens du système de justice criminelle ne tiennent habituellement pas compte de la famille et concentrent leur attention sur les crimes, les procès criminels, les tendances en matière de sanction pénale ou le but du système judiciaire. La présente étude emprunte quelques questions aux recherches sur la famille et sur la collectivité pour les appliquer à la vie d’un groupe en particulier au sein du système de justice criminelle, les vagabondes arrêtées à Montréal entre 1810 et 1842. Non seulement bien peu de ces femmes avaient accès à leur propre toit, mais le simple fait de chercher de la nourriture et des vêtements était susceptible de les impliquer dans une activité criminelle ou de les amener à solliciter une forme ou une autre de charité. En tant que sujets criminalisés, ces femmes apparaissent privées d’amitié, de parenté et d’appartenance à une collectivité, et pourtant elles avaient des relations affectives. La présente étude explore le répertoire complexe des relations que les vagabondes établissaient pour elles-mêmes et les personnes à leur charge dans leur quête quotidienne de réponses à leurs besoins d’abri, de nourriture et de chaleur, ainsi que de soutien et de réconfort affectif, tout cela dans un monde caractérisé par le danger, la pauvreté, l’absence de foyer, la faim, le froid et l’exclusion sociale. Leur éventail de choix était ainsi limité. Pourtant, les alliances et les stratégies de survie de ces vagabondes mettent en lumière leur savoir-faire et révèlent tout à la fois leur vulnérabilité et leur ténacité. La recherche de moyens de subsistance amenait les femmes errantes à entrer en contact avec une foule de personnages aux prises avec des défis semblables aux leurs. Premièrement, comme « pauvres non respectables », elles avaient de la difficulté à obtenir de l’aide caritative. En tant que femmes seules, non soumises à l’influence et à la discipline d’un père ou d’un époux, elles représentaient une menace pour une société disciplinée et ordonnée. Deuxièmement, leurs liaisons discutables, leurs habitudes de consommation d’alcool et le voisinage du vice suscitaient de plus en plus d’attention de la part des autorités publiques, à mesure que les attitudes de la bourgeoisie en matière de respectabilité devenaient hégémoniques. Troisièmement, leur quête liée aux besoins essentiels de la vie les réunissait autour d’un objectif commun. On discerne, dans les documents historiques, des marques de ces relations de parenté, d’amitié et de solidarité auxquelles leurs infractions ont donné lieu.

Les archives judiciaires et les registres de police du début du XIXe siècle à Montréal offrent des indices très utiles concernant une série de liens établis par les vagabondes. Au cours de la période étudiée, la police a arrêté et mis en accusation des Montréalaises pour au moins 2 528 incidents de vagabondage. Comparaître devant un juge de paix pour faire face à une accusation de vagabondage entraînait l’inscription officielle de ce fait dans une déposition. Les relations entre des vagabondes arrêtées ensemble n’étaient cependant pas toujours évidentes. En retrouver le sens est un véritable défi. Le greffier de la cour n’inscrivait souvent sur la déposition que des renseignements de base ou utilisait des formulaires imprimés où il ne consignait que le nom de l’accusée. D’autres sources, en particulier les affidavits, renferment des éléments d’information additionnels qui donnent un aperçu de la vie des femmes errantes et des relations complexes et ambiguës qu’elles établissaient avec les femmes et les hommes qui partageaient leur univers.

Le présent article examine d’abord l’utilisation par les vagabondes des lieux publics dans leur recherche quotidienne de nourriture, d’un abri et de sécurité. Il s’intéresse également à la façon dont leurs déplacements révèlent la perméabilité et la nature improvisée des sphères publique et privée, de même que les divisions embrouillées entre la vie quotidienne et le milieu criminel. Il explore ensuite les divers liens que les vagabondes ont développés comme membres de la collectivité des femmes, comme mères célibataires et comme parentes. L’article se termine par une analyse des types de relations que les femmes errantes ont entretenues avec les hommes qui partageaient le même espace public.

L’espace urbain, la culture de l’itinérance et la recherche de nourriture, d’un abri et de sécurité

Au début du XIXe siècle, Montréal est un centre urbain dynamique. Son économie connaît des transformations qui culmineront dans une révolution industrielle avant la fin du siècle. Les rébellions, la suspension des institutions démocratiques et la conclusion brutale de la révolte armée par les forces britanniques et la milice urbaine mènent à une importante restructuration politique dans les années 1840. La population de la ville s’accroît avec la migration d’hommes et de femmes des campagnes canadiennes (c.-à-d. canadiennes-françaises) et l’arrivée d’immigrants venus des îles britanniques par la mer ou des États-Unis par voie terrestre. Vers 1832, les non-francophones forment la majorité de la population de Montréal[2]. Ainsi, un nombre important de Montréalais vivent ensemble sans que des liens anciens les rattachent les uns aux autres, à leur quartier ou à la collectivité. De nombreux immigrants tissent de nouvelles relations alors qu’ils n’ont aucune parenté ou qu’ils ont perdu tout contact avec elle.

Des hommes et des femmes d’origines sociales et ethniques différentes se rassemblent dans les rues, les places et les espaces verts de la ville où ils travaillent, font des achats, socialisent et se promènent. Les mendiants demandent l’aumône, les camelots vendent leurs marchandises, les marchandes ambulantes crient leurs produits, les mères vaquent à leurs tâches ménagères avec l’aide des enfants, les prostituées font de la sollicitation et les sans-logis vagabondent. Le long des voies publiques, charretiers et cochers font la file à des stations, dans l’attente de clients. Prolongement de maisons exiguës, la rue est le « salon des misérables[3] », qui y vivent « sous le regard d’autrui[4] ». L’historien William Atherton a comparé le Montréal du milieu du XIXe siècle à un village primitif : les vieillards assis devant leur porte « comméraient avec des amis qui passaient et il arrivait souvent que toute la famille s’y trouve encore dans la soirée[5] ».

Dans la vieille ville aux murs de pierre grise et aux toits de tôle, les Montréalais marchent sur des trottoirs de bois le long de rues étroites, évitant de mettre le pied dans la boue, les excréments d’animaux et les flaques d’eau qui montent jusqu’aux chevilles. La rue des Commissaires est « encombrée de tas d’ordures, de mares stagnantes et de profondes ornières et, par endroits, à moitié recouverte de rondins de bois[6] ». Les rues plus larges des faubourgs sont à peine en meilleur état. En été, les rues non pavées se changent en poussière et en boue sous la pluie. Au printemps et à l’automne, la rue Sherbrooke n’est carrossable qu’à la lumière du jour. L’air chaud charrie les odeurs nauséabondes des carcasses d’animaux en décomposition, des étals non lavés du marché, des ordures accumulées et des toilettes extérieures. En hiver, les rues de la ville sont couvertes de neige et de glace, jusqu’à deux ou trois pieds (env. 60 ou 90 cm) d’épaisseur par endroits.

Les femmes errantes passent leur vie dans ces lieux publics cacophoniques et mouvementés, dans une situation « de subsistance improvisée, de la main à la bouche[7] ». C’est là qu’elles travaillent – habituellement comme prostituées –, consomment nourriture et alcool, jouent, discutent, courtisent, se battent et dorment à la dure. Elles circulent à travers la ville, se rassemblent autour des quais près des casernes et du côté nord de la ville, au Champ-de-Mars. Vagabonds et vagabondes entrent et sortent des quartiers sans éclairage, des ruelles et des passages potentiellement dangereux, ils vont et viennent à l’intérieur et autour des maisons abandonnées et des terrains inoccupés. Ils passent à travers les faubourgs et se réunissent près de fermes, de champs et de vergers situés aux limites de la ville, à la recherche de nourriture, d’un abri ou de clients à solliciter. Les vagabondes fréquentent aussi les débits de boissons dans des zones mal famées et peu sûres de la ville, soit les buvettes basses alignées au bord du fleuve qui pourvoient aux besoins des matelots assoiffés et fébriles débarquant des flottes de navires étrangers, qui jettent l’ancre dans le port au terme de longs voyages océaniques, ou les caves aménagées sous les marchés publics et réputés pour être le repaire de soldats et de voleurs[8] ou encore, les entrepôts en bois bordant le canal de Lachine, lieux de prédilection des travailleurs irlandais. On les voit aussi rue de la Capitale, près de l’ancien marché, où les tenanciers font des affaires en or en servant des boissons aux visiteurs qui fréquentent les dix-huit cabarets jalonnant la rue[9]. En 1816, cette rue et ses célèbres cabarets font l’objet d’une pétition demandant leur fermeture[10].

À mi-chemin entre les pauvres méritants et une confrérie de criminels[11], les vagabonds sont accusés de fomenter bon nombre des maux de la société et blâmés de tous les torts de la jeunesse, comme des cambriolages non résolus. Les propriétaires des journaux mettent constamment en garde les Montréalais contre les vagabonds impénitents qui traînent dans les rues de la ville : « Comme la session de la cour criminelle s’est clôturée à la fin de la semaine dernière, la prison a été vidée, comme d’habitude. Nos citoyens devraient par conséquent se tenir sur leurs gardes contre les déprédations des incorrigibles vagabonds qui sont maintenant en liberté. Des cambriolages ont eu lieu récemment; ils ont sans doute été commis par ces détenus perpétuels de nos prisons[12]. » Le crime de vagabondage, construit à partir d’une crainte de désordre, a contribué à l’accroissement du pouvoir de l’État centralisé. Utilisé contre des personnes suspectes, ce crime n’a rien à voir, soutient Linda Kerber, avec ce qu’une personne a fait – puisqu’un comportement analogue n’a aucune conséquence juridique pour les propriétaires –, mais avec ce qu’elle semble être. Ainsi, les femmes errantes sont présumées désœuvrées et donc susceptibles d’être accusées de vagabondage[13].

Les archives de la cour criminelle révèlent que des vagabondes ont, par exemple, dérobé du pain de charriots sans surveillance, de la nourriture des étals du marché et de petits objets là où elles le pouvaient, pour leur propre usage, pour obtenir de l’argent ou pour payer en nature chez le prêteur sur gages, dans les cabarets du port qui acceptent le recel ou encore dans les bordels de la ville[14]. Ainsi, les vagabondes de Montréal circulent entre l’univers de la pègre – fait d’un réseau de prêteurs sur gages, de maisons de chambres, de bordels, de cabarets et d’autres lieux publics – et celui de la rue, cadre de leur vie quotidienne. Bon nombre d’entre elles participent donc à une culture de rue où abondent les activités malhonnêtes. Les membres du grand jury ont peut-être ces vagabondes en tête lorsqu’ils expriment leur inquiétude devant l’importance grandissante des femmes parmi les auteurs de larcins : « dans la situation actuelle, même des femmes s’enhardissent au point de s’associer avec les grands voleurs; après les avoir encouragés à piller tout le pays, elles jouent ensuite le rôle de receleuses de biens volés et de fournisseuses de faux témoignages[15]. »

La faim et la malnutrition guettent ces femmes, tout comme l’hypothermie, car elles sont constamment exposées au froid. À ces menaces s’ajoutent la négligence, la maladie et le manque de soins médicaux, de sorte que vivre « à la dure » est épuisant et met parfois leur vie en danger. Les femmes errantes cherchent refuge dans les édifices publics, les maisons abandonnées, les dépendances et les bâtiments de ferme, en se déplaçant d’un endroit à l’autre selon les circonstances. À la mi-novembre 1835, Appoline St-Germain et sa compagne de rue Emily McIntosh se réfugient dans un grenier[16]. Quelques années plus tard, Appoline St-Germain se trouve avec Mary Milligan, Mary Ann Smith, Sarah Mitchell, Edward Lawrence, John Leines et Joseph Charpentier, qui ont érigé leur abri au beau milieu de la vieille ville. La police les arrête dans leur campement, sur un terrain vacant de la rue Saint-Paul. George Bourne, brasseur, les décrit comme des vagabonds « de la pire espèce ». Malgré leur tentative de se donner un toit, ils sont déclarés chômeurs et sans-logis[17]. Certaines de celles qui peuvent payer un loyer habitent seules : Adélaïde Ménard loue une chambre, rue Saint-Paul, où elle est accusée de faire entrer des hommes par la fenêtre[18]. D’autres partagent des lieux de vie : chambre dans un logement multifamilial, caves sous le Marché Sainte-Anne, petits appartements, maisons en bois délabrées, ou alors elles passent de la rue au bordel et inversement.

Lorsque la police fait une descente dans la maison de débauche d’Ellen McConvey et de Patrick Thomas, le 21 avril 1841, on autorise la prostituée Margaret Delany à rester dans la maison pour s’occuper de ses cinq enfants, qui habitent avec elle[19]. Une semaine plus tard, à la recherche d’un toit pour ses enfants et elle-même, Margaret Delany se retrouve au poste de police, où elle demande un hébergement pour la nuit. Cet incident donne à penser que les tenanciers de bordels fournissaient un toit aux travailleuses du sexe et à leurs enfants, qui autrement auraient été errantes. Bien que les sources ne précisent pas qui s’occupait des enfants, il est tout à fait vraisemblable que les personnes qui vivaient dans le bordel se partageaient les responsabilités à l’égard des enfants. Il va sans dire que les femmes qui, comme Margaret Delany, habitaient dans les maisons de débauche de la ville devaient y travailler, les tenancières et tenanciers de bordels ne faisant pas la charité. Lucie Rolland, qui tenait l’une des maisons de prostitution les plus cotées, dénonça Émilie Blanchard à un juge de paix, la disant folle et vagabonde[20]. L’univers du bordel et celui de la rue se chevauchent donc : les prostituées font de la sollicitation dans la rue pour amener les hommes à entrer au bordel où elles travaillent, tandis que les prostituées de rue cherchent avec leurs clients des bâtiments inhabités, qu’ils occupent jusqu’à ce que les autorités les en délogent. Elizabeth Austin, Elmire Perrault et deux soldats sont entrés par effraction dans une maison abandonnée appartenant au notaire Pierre Beaudry. Quelques jours plus tard, la police les déloge de la maison et arrête les deux femmes sur une plainte déposée par Pierre Beaudry auprès d’un juge de paix[21].

D’autres se tournent vers les quelques établissements philanthropiques privés qui existent et qui ont été fondés par des femmes de la bonne société pour venir en aide aux femmes « non respectables ». En 1831, Agathe-Henriette Huguet-Latour, veuve McDonell, ouvre l’Institution pour la réception des filles repenties (Magdalen Asylum, aussi appelé Institution charitable pour les filles repenties), soutenue financièrement par des subventions publiques et des dons privés, dans un bâtiment situé à l’entrée du faubourg Saint-Antoine. L’objectif principal du refuge est de corriger le comportement sexuel des prostituées et de les former pour le service domestique. En 1836, l’établissement doit fermer ses portes en raison de l’insuffisance de l’aide financière gouvernementale et du manque d’intérêt de la population pour la permanence de son fonctionnement[22]. La plupart des autres organismes de bienfaisance refusent d’aider les vagabondes. La Maison de l’Industrie, qui a ouvert ses portes en 1819, ne s’occupe que des « pauvres respectables » de Montréal. Rien d’étonnant à ce qu’on refuse d’aider les personnes peu recommandables, puisque c’est l’élite qui administre les œuvres caritatives de la ville. Dans son étude sur les organismes de bienfaisance protestants de Montréal, Janice Harvey révèle que les politiques des institutions caritatives témoignaient davantage des préjugés de leurs bienfaiteurs que des besoins des miséreux et qu’elles avaient une fonction de régulation sociale[23]. Malgré leurs besoins urgents en aide alimentaire et en hébergement, les vagabondes en sont exclues en raison de leur mauvaise réputation. En 1821, cet établissement n’est pas encore parvenu à attirer même les pauvres industrieux[24]. Pour beaucoup d’entre eux, la Maison de l’Industrie représente un établissement de terreur d’où ils craignent ne jamais pouvoir sortir[25]. L’historienne Lynn HoIlen Lees a observé qu’en Angleterre, la grande majorité des pauvres des villes évitaient les établissements draconiens régis par l’État et conçus précisément pour eux. Les indigents cherchaient ainsi d’autres solutions à leur itinérance et à leur misère : l’aide de parents et de voisins, le recours à des prêteurs sur gages, le crédit, le vol et la mendicité[26]. En Irlande, au cours de la même période, les maisons de correction suscitaient tout à la fois la peur et le mépris. L’étude de John O’Connor sur ces établissements montre que pendant la Grande Famine, les Irlandais ont préféré émigrer et affronter les incertitudes de la traversée à bord de « cercueils flottants » plutôt que de rester en Irlande, où les attendaient l’enfermement, la faim chronique, la malnutrition, la vulnérabilité aux maladies mortelles dans les maisons de correction ou la mort par manque de tout[27].

Si l’on compare les noms des femmes inscrites comme bénéficiaires aux registres des Sœurs Grises, des Sœurs de la Providence et de la Montreal Ladies’ Benevolent Society avec ceux des femmes arrêtées pour vagabondage, on constate que seul un petit nombre d’itinérantes ont reçu l’aide de ces organismes de bienfaisance[28]. La Montreal Ladies’ Benevolent Society divise les femmes selon qu’elles sont « respectables » ou « non respectables », ce qui dresse une barrière entre les femmes jugées indignes et l’aide dont elles ont besoin. Durant cette période, tandis que les bourgeoises se taillent des espaces intermédiaires pour leurs activités, la Ladies’ Benevolent Society ne connaît aucune expansion physique ou idéologique pour héberger les femmes errantes. Au lieu de cela, l’organisme offre des emplois, de la nourriture, des vêtements, du combustible et parfois de l’argent pour le loyer à des femmes pauvres au-dessus de tout reproche. Les noms de celles que l’on juge indignes sont apparemment rendus publics, dans le but de prévenir toute dépendance de ces femmes à l’égard de la magnanimité d’autrui et de les obliger soit à travailler, soit à quitter la ville[29]. On peut penser que les femmes charitables s’inquiètent de ce que les Montréalais peuvent être amenés malgré eux à donner l’aumône aux femmes classées parmi les non méritantes.

Compte tenu du faible nombre d’options possibles, il arrive souvent aux vagabondes de chercher un toit pour la nuit au poste de police ou de se résoudre à la détention en prison pendant les mois les plus froids. En janvier 1836, lorsqu’un petit groupe de femmes fut relâché de la prison, quatre d’entre elles demandèrent à être réincarcérées en raison des intempéries. Devant le refus du juge de paix, elles brisèrent plusieurs vitres du palais de justice et furent rapidement arrêtées et écrouées de nouveau[30]. La police arrête aussi les femmes qui, à son avis, risquent de mourir d’hypothermie, de faim ou de maladie[31]. Magdeleine McDonald était l’une de ces vagabondes. Vers la mi-décembre 1836, quatre hommes du guet l’ont amenée jusqu’au corps de garde. Au cours d’une tempête hivernale, ils l’avaient trouvée intoxiquée et dans un état alarmant, dans une auberge non loin du Marché Sainte-Anne[32]. La prison commune sert aussi de refuge aux mourants. Martha Hyers, célibataire, analphabète et noire, dont l’histoire de prostitution et de vagabondage remontait à huit ans avant sa mort, connaissait bien cet établissement. Au cours des cinq dernières années de sa vie, chaque fois qu’elle s’est retrouvée en prison, elle fut traitée par le Dr Arnoldi pour une multitude de maux reliés à la sous-alimentation et à l’exposition récurrente au froid, ainsi que pour des maladies vénériennes. Après sa dernière arrestation, en novembre 1841, Martha Hyers languit en prison avant de succomber à un mal attribué à une hypothermie chronique et à la négligence[33]. Les responsables de la prison décident parfois de prolonger les périodes d’incarcération de vagabondes dont le traitement médical n’est pas terminé ou qui ne possèdent pas de vêtements convenables pour affronter les tempêtes.

Obtenir sa libération de ce « service social » a parfois des conséquences tragiques. En décembre 1841, par exemple, le directeur de la prison remit à la rue une vagabonde. La police la trouva peu de temps après, ivre et étendue dans une cour, les vêtements gelés et collés au sol, les jambes et les chevilles couvertes d’engelures. Elle fut immédiatement réadmise à la prison où elle fut traitée pour le gonflement et le noircissement de ses extrémités[34]. Il y a également des femmes errantes qui meurent d’hypothermie, comme en 1825 où l’une d’entre elles succomba au froid près d’un chemin public de la ville[35]. Certains Montréalais trouvent ces décès inconvenants. Exaspéré par la mort d’une femme dans la rue Notre-Dame, le directeur du Montreal Herald recommanda qu’on rouvre l’ancienne prison et qu’on en fasse un refuge pour les sans-abri : « nos rues fourmillent d’ivrognes, et maintenant que l’hiver s’installe et qu’il n’existe aucun lieu pour les abriter, le sort qui les attend inévitablement est de mourir dans la rue[36]. ». L’incarcération devient donc une ressource importante à laquelle les vagabondes ont accès et dont elles dépendent comme solution de rechange à la perspective de dormir dans la rue, à la dure. Ainsi, comme leurs homologues britanniques, elles gomment « la division entre la vie au-dedans et leurs propres groupes d’appartenance, au-dehors[37]. »

Tout au long de l’année, la prison commune et la maison de correction de Montréal sont surpeuplées, infestées de vermine et nauséabondes. En été, les bâtiments mal ventilés sont suffocants et en hiver il y fait froid à cause du manque de chauffage. Insuffisamment vêtus, les prisonniers doivent endurer l’air glacial et la neige qui pénètrent dans les salles de la prison par les carreaux brisés des fenêtres. Certains dorment par terre et d’autres sur des paillasses, avec une mince couverture. Pour conserver leur chaleur, les femmes se blottissent ensemble dans de petites pièces. Les prisonniers vivent de pain et d’eau durant la semaine et, on leur sert aussi de la viande dans un bouillon aqueux, les dimanches et jours de fête[38]. Le fait que les femmes errantes aient recours à ces établissements horriblement inadéquats montre bien leur misère extrême[39]. L’étude réalisée par Marcela Aranguiz sur l’itinérance des hommes à Montréal confirme que la tendance à chercher refuge dans les postes de police et les prisons s’est poursuivie pendant une bonne partie du XXe siècle, c’est-à-dire bien après l’institution de refuges et des maisons de l’industrie pour les personnes sans logis[40]. En 1842, les membres d’un grand jury comprennent que, pour bon nombre de sans-logis, la porte qui sépare la prison de la rue est une porte tournante : « elle constate que toutes les portes lui sont fermées, elle est obligée de rester dans la rue, entourée de tentations, sans moyens de subsistance ni amis pour l’aider, elle est surveillée de près par la police et rapidement renvoyée à la maison de correction pour deux autres mois, de sorte que ses jours misérables se passent tantôt dans la rue, tantôt sous les verrous[41].

Entre 1810 et 1842, on effectue plus de 2500 arrestations pour vagabondage, qui concernent en majorité des Irlandaises célibataires arrêtées une fois ou deux durant cette période. Cela témoigne de la précarité de leur situation en tant qu’immigrantes de fraîche date en Amérique du Nord britannique. Les épreuves auxquelles les nouveaux venus doivent faire face sont connues de tous. Un éditorial paru dans un journal de la ville signale ainsi que des immigrants pauvres « errent dans nos rues, plongés dans l’état le plus lamentable de misère et de dénuement[42]. Le dilemme de Margaret Hazette, arrivée d’Irlande peu de temps auparavant, illustre d’une manière émouvante la pénible condition des femmes placées dans la même situation. Elle confie au policier qui l’a arrêtée que, incapable de trouver du travail, elle risque de « prendre le mauvais chemin[43] ». À défaut de moyens pour se procurer de la nourriture et un abri, de nombreuses femmes essaient temporairement de vivoter dans la rue jusqu’à ce que de nouvelles possibilités se présentent ou qu’elles parviennent à mettre au point un plan d’urgence.

À l’opposé, un petit nombre de femmes font l’objet d’arrestations répétées pour des délits liés au vagabondage. Ces femmes comptent pour les deux tiers des arrestations. Leurs caractéristiques démographiques ressemblent à celles de toutes les vagabondes : elles sont pour la plupart non francophones et célibataires, et une sur dix est mariée ou veuve. Certaines s’adonnent à la prostitution de rue pour pourvoir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants, d’autres souffrent d’alcoolisme chronique et sont sans logis. La police, qui connaît bien ces femmes, les soumet à des incarcérations répétées, surtout à cause de leur visibilité et de leur réputation. La veuve Bridget Howe est arrêtée au moins 29 fois pour vagabondage. Elle mourra à l’âge de 26 ans dans la prison commune, après y avoir passé la majeure partie des six dernières années de sa vie. Le coroner estima que la maladie, la pauvreté et l’alcoolisme ont accéléré sa mort[44].

Chez ces récidivistes, les arrestations pour infraction à l’ordre public l’emportent de loin sur les arrestations pour autres motifs criminels, ce qui démontre l’obsession de l’État pour la réglementation de l’espace public[45]. Entre 1838 et 1842, par exemple, les policiers (« constables ») et les veilleurs de nuit, représentants en première ligne de l’État, ont arrêté des femmes principalement pour vagabondage, tenue de maisons de débauche, prostitution de rue, atteinte à l’ordre public et parce qu’elles étaient libres ou sans attache (« loose ») et inactives (« idle »). Ces catégories générales masquent cependant toute une série d’activités. Au moment de leur arrestation, la plupart des femmes errantes faisaient de la sollicitation, d’autres rôdaient, proféraient des obscénités, étaient ivres ou sans logis, endommageaient la propriété d’autrui ou lançaient des menaces. Les accusations de vagabondage liées à des infractions graves, comme le vol, les voies de fait et l’extorsion, sont moins nombreuses. À Paris, les gendarmes parisiens ciblaient de la même manière les vagabondes qu’ils percevaient comme dangereuses : « une population flottant entre mendicité, prostitution et escroquerie est plus menaçante et plus difficile à contrôler par sa mobilité et sa capacité à s’associer facilement[46]. »

En 1840, la population de Montréal s’élève à environ 40 000 habitants. Il devient de plus en plus difficile pour les policiers d’identifier les vagabonds. Un incident survenu cette même année est particulièrement éloquent. Lorsque le constable Denis Dowde ne parvient pas à identifier un vagabond, l’inspecteur du service de police, P.E. Leclerc, ordonne aux constables en chef de faire défiler devant leurs hommes, chaque matin, tous les vagabonds incarcérés, afin que les constables les identifient avant de quitter leur service. En outre, Leclerc menace de congédier les constables qui seront à l’avenir incapables d’identifier les vagabonds de la ville[47]. Ainsi, l’inspecteur Leclerc attache aux vagabonds une étiquette qui transcende leur état présent de sans-abri, mais il va plus loin en les reléguant de façon permanente à la catégorie de ces sans-abri qui seront dorénavant assujettis au contrôle de la police. Ce paternalisme indique que le vagabondage devient une identité plutôt qu’une action. À partir du moment où la police connaît personnellement chaque vagabond, il ne s’agit plus d’une identité passagère.

Les vagabonds ont l’habitude de se rassembler hors de la ville sur les terrains communs, considérés comme un endroit où les personnes sans logis peuvent vivre[48]. La ferme des prêtres, située au pied de la montagne à l’ouest de la ville, est un endroit particulièrement populaire chez les soldats et les sans-logis, qui s’y rassemblent. Ces hommes et ces femmes se nourrissent à même les vastes jardins et les nombreux vergers et passent dans les pâturages des alentours pour y traire les vaches. La ferme a pour but de servir aux Sulpiciens et à leurs étudiants de « lieu de récréation, où, pendant l’été, tous les membres de l’établissement, supérieurs et élèves, se rendent une fois la semaine[49] ». Ce qui contrarie les autorités catholiques, c’est que l’endroit est devenu un lieu de plaisir d’un autre genre. C’est aussi le cas d’un moulin à vent, vraisemblablement aux limites de la ville, où le constable Julien Martineau arrêta John Lally en compagnie de sept vagabondes, tous en train d’y boire ensemble[50]. À Montréal même, certains espaces verts servent à des fins que les urbanistes ne leur ont jamais attribuées. Durant la journée, par exemple, le Champ-de-Mars est un terrain d’exercices militaires et un lieu de promenade très prisé par les élites de la ville, mais à la tombée de la nuit, il devient un lieu de prostitution. Les femmes errantes se rassemblent aussi dans les rues et les tavernes voisines des casernes militaires, où les soldats leur offrent de l’argent en échange de rapports sexuels. Un souci tourmente de plus en plus les notables de la ville : ils ont la conviction que les hommes et les femmes des classes populaires prennent part à une série d’activités illicites sous le couvert de l’obscurité. De leur point de vue, la nuit camoufle les intentions criminelles d’hommes comme Edmund Lund, criminel avéré dont on dit qu’il se déguise en femme. La nuit cache aussi les activités illicites de femmes comme cette étrangère non identifiée qui, apparemment, parcourt les rues habillée en homme. Lorsqu’elle tombe malade et est confiée aux soins d’un médecin, il apparaît clairement qu’il s’agit d’une femme[51]. On considère également que l’obscurité rend invisible « la débauche ».

L’éclairage des rues est censé accroître la sécurité dans la ville. La portion ouest de la rue Saint-Paul est éclairée au crépuscule depuis 1815, et là – à l’inverse de la plupart des rues et ruelles de Montréal –, des policiers et des veilleurs de nuit patrouillent régulièrement, surveillent les bâtiments d’affaires de l’élite commerciale et ont à l’œil le commerce sexuel qui s’exerce près du vieux marché. Paradoxalement, l’existence de cette « zone sûre » a pour conséquence que les femmes errantes sont plus susceptibles d’être arrêtées et que de nouvelles possibilités s’offrent aux promeneurs attirés vers les lieux de loisir, à la recherche de plaisir sexuel[52]. La rencontre entre Mary Crechetelli et le lieutenant John Deacon, du 23rd Regiment of Foot, donne un aperçu de la chorégraphie spiralée et périlleuse à laquelle se livrent dans la rue une prostituée et un promeneur. Alors qu’elle marchait vers sa maison, à la tombée de la nuit, allégua Mary Crechetelli, John Deacon s’approcha d’elle et, après avoir examiné attentivement son visage lorsqu’elle passait près d’un réverbère de la vieille ville, il la poursuivit jusqu’au marché au foin. À ce moment, il la saisit par le cou et lui demanda où elle allait. Comme ils passaient devant le mess des officiers, Deacon invita Mary Crechetelli à y entrer, mais elle refusa. Il la suivit ensuite jusqu’au Marché Sainte-Anne, où elle lui remit un paquet de vêtements, puis elle accompagna le lieutenant à sa chambre où celui-ci essaya – selon les termes de la femme – « d’avoir des rapports charnels avec moi, mais il n’y est pas parvenu, étant donné ma résistance ». Deacon persévéra, ils eurent des rapports sexuels, le lieutenant offrit de l’argent à la femme, mais elle refusa et le quitta bientôt, emportant seulement une partie des vêtements. Plus tard, Mary Crechetelli retourna chercher le reste de ses vêtements chez Deacon. Celui-ci l’accusa d’avoir volé sa montre. Même si elle fut accusée et si l’objet fut trouvé chez elle, on la jugea plus tard non coupable[53].

Le rituel de la prostituée et du client pouvait se jouer au grand jour comme dans l’obscurité avec les mêmes conséquences, ainsi que le montre l’exemple suivant. En faisant une course pour son maître dans le faubourg Saint-Laurent, John West « rencontra par hasard » Marguerite Miron et il accepta de lui payer un verre. Lorsqu’il retourna chez son employeur, ce soir-là, la porte était verrouillée et West, ne voulant soi-disant pas déranger la famille, décida de dormir dans une dépendance. Marguerite Miron et un de ses amis qui l’accompagnait auraient suivi West dans le bâtiment et lui auraient redemandé de la boisson. West leur dit qu’il n’avait pas d’argent et il suggéra même à la femme de le fouiller pour en être certaine. Après leur départ, West découvrit que sa montre en argent avait disparu et il porta plainte à la police. Accusée de vol, Marguerite Miron comparut devant des juges de paix et un jury auxquels elle déclara qu’à la demande de West, elle lui avait fourni des services sexuels et qu’il lui avait donné sa montre en guise de paiement. West nia l’interprétation de Marguerite Miron, mais le jury ne le crut pas et déclara la femme non coupable de vol[54]. L’éclairage des rues sert aussi à projeter une lumière morale sur l’« indécence ». Malgré le symbolisme du geste de Betsey Dunn et de François Neau, qui eurent des rapports sexuels sous un réverbère de la rue Notre-Dame, l’illumination de leur geste facilita la tâche au veilleur de nuit Antoine Gospel qui arrêta Betsey Dunn pour vagabondage[55]. Le projecteur braqué sur la participation de Neau à l’acte en question n’entraîna aucune poursuite contre lui.

La solidarité parmi les femmes errantes

Les femmes créent un réseau de solidarité féminine et tissent des liens avec les hommes se trouvant dans la même situation lorsqu’elles doivent affronter les pires aspects de l’errance : la concurrence dans la recherche de nourriture, d’un gîte, d’alcool et de clients, la nature illicite de leurs activités et la vie « à la dure » dans les rues de la ville et dans une culture de danger issue à la fois de leur travail et de leurs loisirs. Dans la présente section, je vais explorer les façons dont les groupes de vagabonds vivent ensemble hors de tout ménage au sens propre du terme. Peut-on considérer la rue comme « l’habitation des pauvres exclus », comme le prétend Anthony Vidler[56]?

Ces femmes errantes déambulent dans les espaces urbains par groupes, où se côtoient amies et parentes. Ensemble, elles cherchent à se distraire et à combler leurs besoins quotidiens en matière de nourriture et de gîte, elles travaillent dans les métiers du sexe, s’adonnent à la sollicitation et se font arrêter[57]. Puis elles comparaissent en cour et sont détenues en prison collectivement, de sorte qu’elles partagent ensemble de grands pans de leur existence. Les femmes errantes jouent un rôle clé dans le recrutement d’amies et de parentes dans l’industrie du sexe. Des dépositions révèlent que des sœurs, tout comme des mères et leurs filles, exercent ensemble ce métier. Magdeleine McDonald, prostituée bien connue, venait de Québec. Son nom de famille était Poliquin, mais quand sa mère se remaria, elle prit officieusement le patronyme de son beau-père, Jean McDonald. En 1818, mineure et enceinte, elle épousa Germain Couture. Sa fille Magdeleine fut la première de sept enfants, dont trois moururent en bas âge. La trace de la famille Couture s’estompe jusqu’à la naissance d’un enfant mort-né à Montréal, en 1831. Sept ans plus tard, après la mort du père, les deux Magdeleines, la veuve et sa fille aînée, se prostituent et circulent ensemble. Elles sont arrêtées dans les bordels et les rues de la ville. Entre 1838 et 1842, la police arrête Magdeleine Couture au moins vingt-sept fois pour prostitution et vagabondage. Selon toute vraisemblance, c’est la mère qui, devenue veuve, a initié sa fille au commerce du sexe.

Parfois, un groupe se compose de femmes de la même origine ethnique. En 1838, les policiers arrêtent un groupe d’Irlandaises, Mary Burnet, Catharine Morrison, Mme Bland et la veuve Catharine Raigan, parce qu’elles vivent ensemble depuis plusieurs mois dans un bâtiment abandonné, à l’angle des rues de l’Hôpital et Saint-Alexis. Un voisin, l’avocat Peter Rossiter, a porté plainte, disant que la maison, qui appartient au marchand Benjamin Demers, est réputée impropre à l’hébergement d’humains[58]. D’autres femmes se tiennent ensemble dans des groupes mixtes. Adélaïde Saint-André, Henriette Hamelle et Peggy Dollar se réunissent régulièrement dans le chemin Papineau, où elles sollicitent les hommes, selon un boucher nommé Charles Picard[59].

Ces femmes tissent des liens de dépendance mutuelle essentiels à leur survie d’une manière qui ressemble à la « communauté radicale de femmes », dont l’historienne Maria Luddy soutient qu’elle a existé chez les « wrens of the Curragh[60] ». Son étude sur ces femmes de camp qui ont vécu en marge de la société près du camp militaire de Curragh, dans le comté de Kildare, en Irlande – prostituées, vagabondes, ex-détenues et alcooliques –, se fonde sur un ouvrage écrit en 1867 par un journaliste, James Greenwood, qui s’est rendu auprès d’elles pour les interviewer. Bien que le journaliste ait décrit les liens unissant ces femmes comme des liens familiaux, Maria Luddy rejette cette idée de « famille » en affirmant que la structure observée n’était ni nucléaire ni élargie et que, par conséquent, elle ne correspondait pas à l’idéal victorien de l’organisation familiale. Elle propose plutôt de voir dans ce groupe de femmes rejetées une communauté radicale. Leur vie, soutient-elle, s’organisait autour de femmes et d’enfants, à l’exclusion des hommes. Elle trace également un parallèle plutôt fascinant entre la vie de ces femmes et celles de religieuses dans un couvent.

Les femmes errantes de Halifax affichent une solidarité semblable à celle des vagabondes de Montréal. Aux prises avec des conditions de vie difficiles et privées du soutien des hommes, c’est ensemble qu’elles vivent, travaillent, boivent, se présentent devant la cour et vont en prison. À leur sortie, elles se regroupent pour continuer à subsister dans les rues de la ville et les espaces verts des environs[61].

À Montréal, les vagabondes mettent en commun toutes les ressources qu’elles possèdent, que ce soit de la nourriture, un abri ou de la boisson. Ann Crawley, Eliza Ferguson, Eliza Martin, Eliza Taylor et Mary Mahoney traînent ensemble du côté de la ferme Saint-Gabriel, où elles peuvent obtenir, quoiqu’illégalement, un abri et de quoi subsister. Ensemble, elles dorment dans les bâtiments de ferme, glanent de la nourriture dans les champs et les vergers environnants et traient les vaches aux champs[62]. Dans la ville même, Adélaïde Saint-André et Betsy Lafranchise dérobèrent dix pains au boulanger John Tassie un jour où il avait laissé son chariot sans surveillance pour livrer du pain à des clients[63]. Pour certaines femmes, mettre en commun des biens a des conséquences tragiques. Lorsque les autorités carcérales libérèrent Mary Ann Bothwell et Ann Grimes de la prison commune en janvier 1841, Mary Ann Bothwell utilisa un chèque qu’elle avait trouvé afin d’acheter de la boisson pour sa compagne et elle-même. Plus tard, dans le chemin Victoria, elle s’étendit, ivre, sur un banc de neige où elle s’endormit et mourut de froid[64].

Vivre et travailler ensemble peut réduire les risques d’agression ou permettre aux femmes de s’entraider en cas de violence. Lorsqu’Antoine Dubord dit Latourelle loua à deux veuves une partie de sa maison de la rue Sanguinet, où il habitait, il ne s’attendait pas à ce qui s’ensuivit. Selon Dubord, les deux femmes « ont débauché son fils Charles Dubord dit Latourelle, puis elles l’ont mis à la porte de la maison[65]. » Les veuves Chartrand et Shiller ont sans doute compris que la sécurité des femmes dépendait de leur nombre. Mary Burk, qui avait accumulé plusieurs arrestations pour vagabondage, loua une chambre dans la maison de James Robinson, rue des Commissaires. Le voyant un jour agresser sa femme, elle alla trouver la police pour accuser Robinson de violence conjugale[66]. Les femmes errantes se battent aussi, parfois, contre ceux et celles qui essaient de voler le peu de biens qu’elles possèdent. La police arrêta Antoine Delaunay et sa femme, Louise Corbeille, pour délit mineur après qu’ils eurent dérobé un chapeau appartenant à Marguerite Bleau alors qu’elle marchait dans une rue du faubourg Sainte-Anne. Leurs tentatives pour lui enlever son manteau avaient été vaines, Marguerite Bleau s’étant débattue furieusement pour garder ce vêtement indispensable à Montréal, à la fin de décembre[67].

Beaucoup de femmes ont recours à des moyens illicites pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur entourage, certaines sont sœurs dans le crime, au sens propre. Félicité et Marguerite Bleau travaillent ensemble comme prostituées de rue et de bordel et à l’occasion comme voleuses. En 1839, elles confessèrent avoir volé des billets de banque à un Américain en visite, qui était ivre. Travaillant en tandem, Marguerite avait entraîné le touriste à la maison de débauche d’Angélique Paré, où Félicité avait eu des rapports sexuels avec lui. Ensemble, elles lui avaient pris son argent[68]. En un an de mauvais coups, elles sont arrêtées plusieurs fois pour vagabondage[69], jusqu’à ce que Marguerite meure de tuberculose au cours de sa dernière période de détention[70].

Après la mort de sa sœur, Félicité Bleau cherche de la compagnie dans un groupe de sans-logis. En mai 1841, la police l’arrêta ainsi que ses acolytes, Amable Berthier, Augustine Squire, Louise Wagner, Mary Fob, Catharine Murphy et Mary Dear, dans le champ d’un cultivateur, à la périphérie de la ville[71]. La composition de ces groupes se modifie au fur et à mesure que des femmes meurent, sont arrêtées et incarcérées ou trouvent un autre refuge et d’autres moyens de subsistance. En mars 1840, la police arrêta Susan Smith en même temps que Maria Reeves, Esther Hewitt et Susan Murray[72]. Deux mois plus tard, Susan Smith fut arrêtée de nouveau, cette fois en compagnie d’Ellen Lee et d’Elizabeth Austin[73].

De toute évidence, les liens que ces femmes tissaient les unes avec les autres étaient complexes. Dans son étude sur les prostituées de New York, Marilynn Wood Hill décrit leurs relations comme étant vraisemblablement caractérisées par la compétition, la jalousie et l’antagonisme, d’une part, et par la solidarité féminine, de l’autre. Les prostituées « assumaient un rôle émotif central dans la vie les unes des autres, ce qui donnait souvent naissance à de profondes amitiés mutuelles caractérisées par de solides liens féminins et un sentiment particulier de solidarité[74]. » Comme je l’ai soutenu ailleurs, les femmes errantes de Montréal, tout comme leurs sœurs des milieux populaires et de la classe ouvrière qui calomniaient, menaçaient et agressaient leurs voisines, recouraient elles aussi à la violence les unes contre les autres. En février 1827, Catherine Ryan et Sarah Singleton accusèrent leurs compagnes vagabondes Margaret Périgord et Eliza Robertson de les avoir agressées violemment et d’avoir volé le grand châle rouge de Catherine Ryan ainsi qu’une aigrette de plumes noires alors qu’elles « se promenaient » à huit heures du soir dans la vieille ville, près de la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours[75]. Lors d’un autre incident, Margaret McGinnis agressa Elizabeth Reid, épouse de John Ross, dans la cour de ces derniers, et tenta de poignarder leur fils de 13 ans, James Ross. Quand Elizabeth Reid s’interposa pour protéger son fils, la sœur de Margaret, Grace, frappa Elizabeth avec une pelle et la blessa à la tête[76]. Les batailles pour trouver de la nourriture, un gîte, de l’alcool et des clients, qui s’ajoutent à la nature illicite de leurs activités et aux dangers associés au travail et aux loisirs, produisaient des tensions et des conflits[77]. On ne saura probablement jamais ce qui déclencha une querelle entre Jane Hicks, Émélie Gauthier et Eliza Lewis. Le grand connétable [chef de police] Benjamen Delisle les arrêta au vieux marché pour avoir troublé la paix en se disputant et en se bagarrant les unes avec les autres[78]. Leurs vies étaient chargées de ce que Françoise Barret-Ducrocq a appelé « une histoire faite de contrastes : d’impudence et de morale, de cynisme et de tendresse, de cruauté et de générosité[79]. »

Des mères errent dans les rues avec leurs enfants, dans des circonstances qui rappellent le Londres du XVIIIe siècle, où l’on voyait parmi les sans-abri des veuves et leur progéniture et des épouses abandonnées avec des enfants très jeunes et des nouveau-nés[80]. À Montréal, une femme non identifiée, dans le dénuement absolu, sans logis ni aucun moyen de subsistance, se réfugie avec ses six enfants dans une remise appartenant à un dénommé Lloyd[81]. Pareillement, Mary Ann Day et son petit enfant sont sans logis lorsque la police les arrête dans une rue de Montréal, en plein hiver, au mois de janvier[82]. D’autres ont un logement, mais parcourent les rues à la recherche de boisson ou de nourriture pour leur famille. En passant de porte à porte pour vendre des vêtements qu’elle a volés à Martin Duval, Jane Hicks confie à Josephte McFarlane qu’elle n’a rien à manger et qu’elle a besoin d’argent pour acheter de la nourriture pour ses enfants[83]. Moins d’un mois plus tard, la police arrêtera Jane Hicks pour prostitution. Margaret Delany, que nous avons vue plus haut, est une prostituée de rue bien connue lorsque, en avril 1841, elle cherche refuge au poste de police pour elle-même et ses cinq enfants[84]. Quelques mois plus tard, elle sera relâchée en raison de sa grossesse avancée : les autorités considèrent que la prison n’est pas un endroit convenable pour accoucher[85]. Nous ignorons complètement ce qu’il est advenu de ses enfants, mais, parent unique et sans travail rémunéré, Margaret Delany a essayé de les garder malgré l’appauvrissement de sa famille. Marguerite Martin, envoyée en maison de correction pour vagabondage – et ce n’était pas la première fois –, y emmena elle aussi son fils[86].

L’historienne Luise White soutient que les femmes avaient recours à la prostitution parce que cela permettait à leur famille de rester unie[87]. Il y a pourtant des femmes qui ont abandonné leurs enfants. Ainsi, en 1831, Julie-Archange Daigneau quitta ses quatre filles, Marie-Elmire, Archange, Marie-Henriette et Caroline, les laissa à son mari, Jean Dérouin, et déménagea du domicile familial. Julie-Archange Daigneau était mineure et enceinte lorsqu’elle avait épousé Dérouin en juin 1841 et leurs quatre filles étaient nées au cours de leurs sept premières années de mariage. On ne sait pas très bien ce qui avait chassé l’épouse du lit conjugal, mais Dérouin prétendit qu’elle les avait tout simplement abandonnés, ses enfants et lui, pour aller vivre dans la rue[88]. Un an plus tard, le mari mourut, vraisemblablement au cours de l’épidémie de choléra. La femme, elle, resta dans la rue. On ignore ce qu’il est advenu de ses quatre filles, dont la plus jeune n’avait que quatre ans à la mort de son père. À l’inverse, la famille Love – Andrew, Francis, Matthew et Maria – survécut dans la rue précisément parce que ses membres restèrent ensemble. Ils purgèrent même ensemble une peine de prison[89].

Des historiens et historiennes ont fait allusion à l’existence de relations de type familial entre groupes de vagabonds. Lorsqu’on examine la situation des vagabonds, il est utile de relire John Gillis et sa reconstruction de familles d’autrefois, car il nous rappelle que « la maison n’occupait pas la même place dans l’imagination temporelle ou spatiale de l’époque que la maison moderne dans l’imaginaire d’aujourd’hui. Sa place était le présent, sans anticipation de l’avenir ni évocation du passé[90]. » Il soutient que l’élasticité de la famille et la perméabilité des relations familiales ont permis à l’unité familiale de recourir à une certaine souplesse pour répondre aux nouvelles exigences des transformations économiques et sociales et pour créer de nouvelles formes d’unités familiales. Avant le XIXe siècle, la plupart des adultes passaient une partie de leur vie dans la maison de quelqu’un d’autre ou dans des abris temporaires. On ne les considérait pas comme étant des vagabonds, car ils pouvaient faire partie d’un autre ménage ou se sentir chez eux aux champs, au marché, dans la rue, au cabaret du lieu ou devant l’âtre de quelqu’un. La maison ou le chez-soi était différent de l’image bourgeoise de plus en plus sentimentale qui en a été construite[91]. L’historienne Judith Fingard a observé une solidarité familiale semblable au sein des couches inférieures de la société de Halifax au milieu du XIXe siècle. Chaque année, un petit nombre de familles avaient habituellement recours aux asiles et aux prisons communes pour passer les mois d’hiver ou trouver un refuge. Les vagabondes se présentaient aussi à l’hospice des pauvres lorsqu’elles étaient malades ou que le vieillissement les empêchait de continuer à vivre dans la rue. Elles y allaient aussi pour mourir[92]. On a décrit une utilisation semblable de ces institutions par les familles dans les villes européennes[93].

Les relations avec les hommes

Les archives judiciaires et les registres de police révèlent divers aspects des relations qu’entretenaient ces femmes avec d’autres femmes partageant la même situation, ainsi que des liens de parenté entre sœurs et entre mères et enfants. Dans leurs tournées quotidiennes, les vagabondes rencontraient aussi une diversité d’hommes (constables et veilleurs de nuit, soldats, marins, journaliers, artisans et, bien sûr, des vagabonds) avec lesquels elles avaient des relations. Certains hommes offraient leur protection aux femmes errantes, partageaient avec elles le peu d’argent, d’alcool et de nourriture qu’ils avaient ou se mettaient avec elles pour trouver à manger en fouillant les ordures ou pour chercher un abri. Les recherches de Victoria E. Bynum sur les femmes pauvres du sud des États-Unis révèlent que certaines étaient prêtes à compromettre leur réputation pour nouer des relations avec des hommes « non respectables » en échange de sécurité physique et économique. En Caroline du Nord, avance-t-elle, la barrière raciale rigide n’empêchait pas les femmes d’entretenir des relations interraciales même si elles devaient pour cela renoncer à leur statut dans la société blanche. « Au prix d’une condamnation absolue de la part de la société blanche, [elles] obtenaient une meilleure protection physique – chose dont les femmes pauvres et exclues étaient en général dépourvues – en franchissant la ligne de partage des couleurs[94]. »

À Montréal, Mary Kelly était pauvre, sans foyer et séparée de son mari, incarcéré à la prison commune, lorsqu’elle trouva à se loger, d’une certaine manière, avec un vagabond. Sa cabane, sur la plage où il s’était installé sans permission, était « si imparfaitement construite qu’elle était perméable au vent et à la pluie et qu’elle ne méritait guère le nom d’abri ». Lorsque Mary Kelly mourut d’hypothermie et de malnutrition, on décrivit son corps comme étant « réduit au dernier degré de maigreur et d’émaciation ». On découvrit son compagnon en larmes, profondément angoissé et se lamentant devant sa mort[95]. Dans leur temps libre et leur vie de travail, les femmes errantes cultivent toutes sortes de liens avec les hommes, qui vont de la relation occasionnelle à la relation intime. Ayant la pauvreté en partage, ces gens chevauchent la fine frontière entre l’activité criminelle et l’entraide. Compte tenu du nombre de femmes qui se prostituent, il est probable que bien des hommes profitent de la rémunération que les femmes touchent par la prostitution. Le rôle que jouent les hommes dans l’aspect commercial de la prostitution de rue est obscur. Toutefois, plusieurs de ces hommes et femmes se prodiguent certainement réconfort et consolation les uns aux autres sous des formes assez semblables à ce qui est offert dans les familles, surtout s’ils sont séparés de la leur. Dans d’autres cas, l’activité sexuelle est plus vraisemblablement forcée ou supportée en échange d’un repas, d’un verre ou de sécurité. Par conséquent, les hommes ont des relations avec les vagabondes à titre de clients, de conjoints (mariés légalement ou concubins), ou de protecteurs dans ce qui peut être des rapports d’exploitation, d’affrontement, de cordialité ou d’avantages mutuels[96].

Les historiens ont commencé à remarquer ces rapports informels à des époques et dans des lieux différents. Bronislaw Geremek considère que les gens qui vivaient aux marges de la société à la fin du Moyen Âge, à Paris, ont forgé des relations fondées sur la similarité de leurs existences, leur mobilité et la rencontre régulière des mêmes compagnes et compagnons dans leurs lieux préférés[97]. « Pour ces gens sans feu ni lieu, l’auberge offre une maison. Non pas un logement, mais un endroit où l’on passe le temps, un cercle de famille particulier[98]. » En étudiant les archives judiciaires de Paris, Arlette Farge a découvert que les hommes et les femmes qui faisaient partie de bandes à Paris étaient souvent concubins et que les femmes passaient parfois d’un homme à l’autre. En outre, les couples de vagabonds et les familles sans foyer, y compris les enfants, cousins, neveux et nièces, traînaient dans les rues et les espaces verts, afin de « survivre ensemble sur les chemins du hasard[99] ». À Montréal, il arrivait que des couples mariés soient arrêtés et accusés de vagabondage. La police appréhenda ainsi ensemble Catherine Hicks et son mari Michael Riley pour vagabondage[100], puis Louis Bonin et Henriette Mercier furent détenus par le constable en chef Adelphe Delisle après avoir fait du tapage dans la rue[101]. Noah et Patrick Hanley n’avaient pas de femme et cohabitaient dans une cabane en bois – la police choisit d’y voir un repaire de voleurs – où hommes et femmes se réunissaient pour boire[102]. Thomas Rawdon, cordonnier et propriétaire d’une maison, rue William, porta plainte auprès d’un juge de paix, disant que Hugh McLaughlin et Catherine Clarke y vivaient ensemble hors des liens du mariage. Catherine Clarke, semble-t-il, était déjà mariée à Ambroise Nugent[103].

La cohabitation de couples, considérée comme immorale, suscitait le blâme de la famille et des voisins. William Lemon, Henri Latreille et Marie-Anne Labonne voulaient faire arrêter pour vagabondage un dénommé Charbonneau et sa maîtresse Véronique Fleury, car « en gardant Véronique Fleury avec lui dans sa maison, Charbonneau causerait un énorme scandale[104] ». De la même façon, le journalier Charles Leclerc demanda à la police d’arrêter sa propre fille et l’amant de celle-ci, à la suite d’une dispute qui l’avait opposé à Alexis Dumont au sujet du bien-être de la jeune femme. Ils étaient sans foyer, disait Leclerc, et « traînaient dans la rue comme des vagabonds[105] ». Comme il était le frère de la tenancière de bordel Angélique Leclerc, Charles était en mesure d’évaluer les périls de la notoriété. On peut présumer qu’il s’inquiétait au sujet du bien-être de sa fille tout autant que de sa propre impuissance à maîtriser le comportement de la jeune femme.

Certaines vagabondes tissaient avec des soldats des liens qui prenaient la forme de relations intimes à long terme semblables à celles que Judith Fingard a décrites entre les soldats et les prostituées de rue ou les épouses abandonnées à Halifax. Plusieurs épouses de soldats qui étaient économiquement dépendantes de leur mari devinrent officieusement, au départ des régiments, les femmes des soldats venus prendre la relève[106]. D’autres se tournèrent vers la prostitution après le départ de leur mari. Catharine Daly, qui était mariée à un soldat britannique du 37e régiment, habitait à Montréal lorsque son mari la quitta après avoir été en garnison à Kingston, dans le Haut-Canada. Quelque temps après, elle fut arrêtée pour prostitution de rue[107]. De la même façon, lorsque Elizabeth Thomson succomba à l’hypothermie et à un empoisonnement à l’alcool, son mari, soldat du 10e régiment, n’était pas présent pour réclamer le corps ou pour organiser son enterrement. Le directeur de la police (ou « grand connétable ») dut s’occuper des arrangements funéraires[108].

Les rues de la ville se contractaient et s’étiraient avec la présence des soldats qui venaient à Montréal pendant les épisodes de conflit. Ce fut le cas au cours de la guerre de 1812 et à nouveau en 1837 et 1838 lorsque des militaires furent transférés dans le Bas-Canada pour réprimer les rébellions qui avaient éclaté dans la région de Montréal. Les soldats étaient logés dans les casernes du faubourg Québec, à l’extrémité est de la ville. Plus de mille soldats y séjournèrent à un moment ou un autre, entre 1839 et 1854. La plupart étaient célibataires ou séparés de leur femme. L’historienne Elinor Senior soutient que 6% seulement des soldats britanniques avaient droit à des rations de l’armée et à un logement en caserne pour leur famille. La plupart n’avaient pas les moyens de faire venir leur famille au Canada ou d’assurer seuls leur subsistance. Si un soldat voulait se marier, il devait obtenir la permission du capitaine de sa compagnie, qui apparemment s’enquérait du tempérament de la femme avant d’acheminer la demande au commandant, qui prononçait la décision finale[109].

Bon nombre de ces soldats avaient recours aux prostituées de rue pour avoir des relations intimes. Les prostituées agissaient probablement comme ambassadrices culturelles informelles, informant les nouveaux arrivants des endroits où trouver des cabarets convenables et des activités de loisir à Montréal[110]. À cette fin, Catharine Raigan, veuve du soldat Daniel Burke, loua une chambre dans une maison près des casernes militaires[111]. Pour elle et d’autres femmes, ces soldats constituaient une importante source de revenus. Tout en recevant de l’argent pour leurs services, certaines volaient les soldats lorsque l’occasion se présentait. Elles profitaient aussi de leur protection contre les agressions physiques d’autres hommes. Ces liaisons paradoxales présentaient une multitude de difficultés et exigeaient de ces femmes une astuce extraordinaire pour assurer leur propre sécurité. Une prostituée de rue fut assaillie si violemment devant la maison du juge de paix Moses Judah Hayes que le pas de sa porte était « saturé de sang ». Elle et ses compagnes se trouvaient avec un groupe de soldats dans la vieille ville lorsque l’incident est survenu[112]. La gestion des tensions, dont des historiens ont dit qu’elle faisait partie du travail des femmes au foyer, était particulièrement importante dans ces situations difficiles[113]. Les trois prostituées qui accompagnaient trente soldats dans le jardin et le verger de M. Brechenridge étaient sans doute particulièrement expertes pour désamorcer des situations potentiellement violentes. Les agents de police envoyés sur les lieux pour arrêter les femmes refusèrent de le faire à la lumière des circonstances[114].

Les soldats qui étaient peut-être dominateurs envers des femmes errantes utilisaient aussi l’intimidation pour empêcher que leurs compagnes soient arrêtées. Le constable adjoint James McGough a sans doute perdu ses moyens devant un groupe de soldats qui sauva une vagabonde qu’il avait arrêtée. Dans la mêlée, la prisonnière perdit un châle, que le constable adjoint John Kinch apporta au poste lorsqu’il y fit rapport de l’incident[115]. Le cultivateur Pierre Parent apprit lui aussi à quel point les soldats pouvaient être menaçants lorsqu’il porta plainte à la police du fait que des soldats et des femmes errantes volaient régulièrement des pommes dans son verger. Le grand nombre de soldats qui s’étaient rassemblés dans sa propriété repoussèrent la police par leurs menaces et leurs actions violentes[116]. Le constable Jeremie apprit à quel point il était dangereux d’intervenir dans des situations impliquant des soldats. Un soldat le blessa d’un coup de baïonnette après qu’il eut, avec un groupe de policiers, essayé d’éjecter des soldats et des vagabondes d’une grange sur les bords du canal de Lachine[117].

Les soldats, les hommes des classes populaires et les vagabonds s’opposent et résistent à l’ingérence policière dans leur utilisation habituelle de l’espace public : ils délivrent les prisonniers, interviennent dans les affaires de la police, raillent les policiers et les assaillent. Ceux-ci répondent à ces menaces, insultes et agressions en portant plainte auprès des juges de paix de la ville[118]. L’ambiguïté de ces relations a été notée par Donald Fyson dans le cas de Montréal et par Bill Bramwell dans celui de Birmingham au XIXe siècle. À Birmingham aussi, l’intervention de la police dans la vie des classes populaires, qui se déroulait dans la rue – rassemblements informels, flâneries, querelles bruyantes et comportements tapageurs liés à l’ivresse –, était impopulaire. Hommes et femmes se montraient rebelles et hostiles à ces interventions dans ce qui n’était pas considéré comme des affaires criminelles, à tel point qu’ils assaillaient les policiers et délivraient leurs prisonniers[119].

Les vagabondes interviennent elles aussi dans des incidents qui opposent des soldats ou des vagabonds à la police et elles participent à une variété d’activités illégales d’une manière qui montre bien une dépendance mutuelle. Émélie Millette fit entrer clandestinement des outils dans la prison pour aider Benjamin Johnson à s’évader[120]. Cela donne à penser qu’à Montréal, comme à Paris, les voleurs qui avaient des vagabondes pour maîtresses s’attendaient à ce qu’elles les aident à s’évader s’ils se trouvaient emprisonnés. Il leur arrivait aussi de jouer un important rôle d’influence et de soutien en tant que « détentrices d’un précieux savoir[121] ». Certaines infractions impliquaient la fourniture de boissons alcoolisées à des hommes dans des circonstances douteuses : Margaret Kane fut appréhendée après avoir fourni de la boisson à des soldats en devoir[122]. Émilie Masson fit entrer clandestinement de la boisson dans le tribunal à l’intention des vagabonds Belotte et Fournelle, qui étaient alors accusés. Ceux-ci s’enivrèrent au point de perturber la cour, de sorte que la police arrêta Émilie Masson. Le juge de paix qui présidait l’audience la condamna à passer le reste de la durée de la session en prison[123].

Parfois, la police arrête des femmes pour vagabondage même si elles sont en fait complices de crimes comme le vol, la désertion ou la fraude. Jennet L’Huissier fut arrêtée pour avoir caché Charles Mitchell qui, accusé de fraude, s’était enfui après avoir confié à la femme une somme d’argent considérable, qu’il avait obtenue illégalement. Selon Mitchell, « elle était très attachée à lui et il n’avait été avec aucune autre femme depuis qu’il était dans ce pays[124] ». Des vagabondes aidaient aussi des hommes à commettre des crimes violents comme des vols à main armée. Betsey Robertson et Eliza Martin auraient accosté le colporteur James Smith alors qu’il marchait sur le Champ de Mars. Lorsqu’il refusa de céder son argent à deux soldats, elles l’auraient plaqué au sol, auraient fouillé ses poches et pris une bourse contenant de l’argent et des billets de banque[125]. La police emprisonna Mary Molloy et l’accusa de vagabondage pour avoir incité un soldat à déserter. Elle et le soldat John Hunter avaient réussi à se rendre jusqu’à Laprairie lorsqu’ils furent arrêtés[126]. Comme les déserteurs devaient toujours avoir de l’avance sur les autorités pour éviter de se faire arrêter, leur situation illégale favorisait leur dépendance à l’égard de leurs compagnes. Un groupe de constables des postes des quartiers Ouest et Est de la ville fut constitué pour se rendre sur la ferme de Griffin, y fouiller les bois et arrêter tous les vagabonds et les soldats « qui par leur aspect loqueteux ou autrement suspect pouvaient être considérés comme des déserteurs[127] ».

Les vagabondes faisaient le point sur les possibilités et les contraintes afin d’échapper aux circonstances oppressives et elles tissaient des relations avec des femmes et des hommes qui, dans bien des cas, se trouvaient dans la même situation. Ensemble, ils luttaient pour survivre aux marges de la vie urbaine. Ainsi, elles persévéraient jusqu’à ce que d’autres occasions favorables se présentent. Elles établissaient des liens de dépendance mutuelle pour s’aider à passer la journée, la nuit ou la saison.

Conclusion

Dans le Montréal du début du XIXe siècle, les femmes errantes vivaient dans un monde dur, illicite et dangereux. Elles y vivaient avec des membres de leur parenté (sœurs, mères, enfants et autres), parfois dans des collectivités de femmes, parfois en compagnie d’hommes, vagabonds ou soldats. Quelle que soit la constellation, elles tissaient des relations de dépendance mutuelle dans leur recherche d’un abri, de nourriture, de confort et de protection. Toujours attentives aux risques de blessures au travail comme dans les moments de loisir, elles parcouraient les espaces publics en groupe pour réduire le danger. Étiquetées comme personnes pauvres non respectables, elles n’avaient qu’un nombre limité de choix, mais en mettant leurs ressources en commun et en recourant à la prostitution et à des moyens illégaux pour se procurer de la nourriture et un abri, certaines arrivaient à se débrouiller. La concurrence pour obtenir des clients, de la nourriture et un abri, concurrence aggravée par la faim, le froid, l’excès d’alcool et la maladie, faisait naître des conflits entre les femmes errantes. Elle entraînait aussi la constitution d’un réseau féminin d’entraide. Certaines femmes nouaient ainsi des alliances avec des hommes vivant des situations semblables, en se tenant sur une mince frontière entre le risque d’abus et leur désir de sécurité émotive et physique. Occupant les mêmes espaces urbains, luttant contre la même pauvreté abjecte et s’efforçant de résoudre quotidiennement des problèmes de survie, vagabondes et vagabonds nouaient des relations très particulières.

Les sentiments n’ont pas leur place lorsqu’on examine comment les vagabondes trouvaient les moyens de vivre dans la rue. Les mères cherchaient nourriture et abri pour leurs enfants, amis et parents veillaient les uns sur les autres. Les vagabondes formaient des groupes de femmes capables de mettre en commun ressources et services. Même si des femmes offraient à des hommes des contacts sexuels, du réconfort et la possibilité d’entretenir des relations émotives, ces hommes leur fournissant en retour protection, argent et le même potentiel d’intimité, l’activité sexuelle était aussi quelque chose d’incontournable pour survivre. La manière dont ces femmes vivaient démontre la futilité des divisions nettes et étanches entre la famille et le travail, le public et le privé, le domicile et la rue.


  1. Ce texte est une traduction de « Bonds of Friendship, Kinship, and Community: Gender, Homelessness, and Mutual Aid in Early-Nineteenth-Century Montreal », dans Negotiating Identities in 19th and 20th Century Montréal, sous la direction de Bettina Bradbury et Tamara Myers, Vancouver, UBC Press, 2005, p. 25-48. Je tiens à remercier Tamara Myers et Bettina Bradbury d’avoir accepté de critiquer ce texte.
  2. Jean-Claude Robert, Atlas historique de Montréal, Montréal, Éditions Libre Expression, 1994, p. 79.
  3. Jules Vallès, La Rue à Londres, Paris, 1951, p. 37, cité dans Françoise Barret-Ducrocq, L’amour sous Victoria. Sexualité et classes populaires à Londres au XIXe siècle, Paris, Plon, 1989, p. 21.
  4. Arlette Farge, La vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarités à Paris au XVIIe siècle, Paris, Hachette, 1986, p. 19.
  5. William Henry Atherton, Montreal, 1535-1914, vol. 2, Under British Rule, 1760-1914, Montréal, S.J. Clarke, 1914, p. 131.
  6. Montreal Herald, 17 mai 1817.
  7. Linda Woodbridge, Vagrancy, Homelessness, and English Renaissance Literature, Chicago, University of Illinois Press, 2001, p. 6.
  8. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Montréal (ci-après BAnQ-M), E17, TL30 S1 SS11, déclaration du grand jury, 18 janvier 1840.
  9. Donald Fyson, « Eating in the City: Diet and Provisioning in Early Nineteenth-CenturyMontreal », mémoire de maîtrise, département d'histoire et études classiques, Université McGill, 1989, p. 89.
  10. Pétition de Mme veuve Joseph Perrault, Journal de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada 25, 21 (février 1816), p. 298-302.
  11. Woodbridge, Vagrancy, p. 4.
  12. Montreal Gazette, 15 septembre 1835.
  13. La capacité apparente de subvenir à ses besoins avait une signification différente selon la race et selon le sexe des personnes. Linda K. Kerber, No Constitutional Right to Be Ladies: Women and the Obligations of Citizenship, New York, Hill and Wang, 1998, p. 51-55.
  14. La police arrêta Élisabeth Degané et ses filles, Catherine et Émilie, à au moins quatre reprises, pour recel de biens volés. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, inculpation d’Isabelle Marcotte et Joseph Moses, 18 août 1824; inculpation de Catherine Marcotte, 27 août 1824; déposition de James Benny, 14 octobre 1826; et déposition de Marguerite Boisjolie et F.-X. Mareille, 18 octobre 1826.
  15. BAnQ-M, E17, TL30 S1 SS11, déclaration du grand jury, 2 octobre 1825.
  16. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Henry Herbert, 18 novembre 1835.
  17. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de George Bourne, 21 juin 1838.
  18. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Thomas Quinn et Thomas Busby, 10 juillet 1824.
  19. Bibliothèque et Archives Canada (ci-après BAC), RG4 B 14, registres de la police, no 34, 21 avril 1841.
  20. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Lucie Rolland, 10 juillet 1824.
  21. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SSI, déposition de Pierre Beaudry, 27 juillet 1839.
  22. Montreal Gazette, 21 juillet 1836.
  23. Janice Harvey, « Dealing with “the Destitute and the Wretched”: The Protestant House of Industry and Refuge in Nineteenth-Century Montreal », Journal of the Canadian Historical Association, 2001, p. 73-94, en particulier p. 74.
  24. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déclaration du grand jury, 19 janvier 1821.
  25. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déclaration du grand jury, 19 janvier 1821, Journal de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada, 15 février 1823.
  26. Lynn Hollen Lees, The Solidarities of Strangers: The English Poor Laws and the People, 1700-1948, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 1998, p. 37, 71.
  27. John O’Connor, The Workhouses of Ireland: The Fate of Ireland’s Poor, Dublin, Anvil Books, 1995, p. 165.
  28. Un petit nombre de ces femmes qui recevaient de l’aide étaient des veuves qui avaient quitté depuis assez longtemps le monde de la prostitution : certaines étaient accompagnées d’enfants ou d’un conjoint. Voir Mary Anne Poutanen, « “To Indulge Their Carnal Appetites”: Prostitution in Early Nineteenth-Century Montreal, 1810-1842 », thèse de doctorat, département d’histoire, Université de Montréal, 1996, p. 93-94.
  29. Montreal Gazette, 5 octobre 1833.
  30. Montreal Gazette, 23 janvier 1836.
  31. Entre 1810 et 1836, au moins soixante-et-onze femmes femmes errantes furent arrêtées par mesure de précaution, afin qu’elles ne meurent pas de faim ou d’hypothermie, autres aspects de la violence associée à la vie dans la rue. En 1837, les tribunaux commencèrent à utiliser des formulaires imprimés, de sorte qu’à compter de cette date, on ne trouve aucune information sur ce type d’arrestation dans les archives judiciaires. Les registres de la police révèlent que cette pratique d’offrir le gîte à des vagabondes s’est poursuivie à la fin des années 1830 et au début des années 1840.
  32. BAC, RG4 B 14, registres de la police, no 38, 18 décembre 1836.
  33. BAnQ-M, E17, TL32 S26 SSI, rapport du coroner, 25 novembre 1841.
  34. Montreal Transcript, 21 décembre 1841.
  35. BAnQ-M, E17, TL32 S26 SSl, rapport du coroner, 25 octobre 1825.
  36. Repris par la Montreal Gazette, 22 octobre 1836.
  37. Lucia Zedner, Women, Crime, and Custody in Victorian England, New York, Oxford University Press, 1991, p. 5.
  38. Poutanen, « “To Indulge Their Carnal Appetites” », p. 302-304.
  39. Suivant la description faite par Judith Fingard, la prison de Halifax, avec ses quartiers chauffés, ses lits propres et ses aliments nourrissants, contrastait avec son équivalent montréalais. The Dark Side of Life in Victorian Halifax, Potters Lake (NS), Pottersfield Press, 1989, p. 48-55.
  40. Marcela Aranguiz, Vagabonds et sans-abris à Montréal : perception et prise en charge de l’errance, 1840-1925, Montréal, Regroupement des chercheurs et chercheures en histoire des travailleurs et travailleuses du Québec (RCHTQ), 2000.
  41. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déclaration du grand jury, 19 janvier 1842.
  42. Montreal Herald, 19 décembre 1818.
  43. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, calendrier de la maison de correction, 21 janvier 1826.
  44. BAnQ-M, E17, TL32 S26 SS1, rapport du coroner, 21 juillet 1843.
  45. Aucune statistique en matière de justice criminelle n’a été conservée par les autorités durant cette période. Les recherches de Donald Fyson sur les délits jugés par les juges de paix révèlent que 4% des cas instruits en Cour des sessions générales de la paix entre 1810 et 1830 se rapportaient à l’ordre public, tandis que 40% des inculpations en Cour des sessions spéciales et hebdomadaires concernaient l’ordre public entre 1810 et 1829. Donald Fyson, « Criminal Justice, Civil Society and the Local State: The Justices of the Peace in the District of Montreal, 1764-1830 », thèse de doctorat, Département d’histoire, Université de Montréal, 1995, p. 288. [À partir de cette thèse, Donald Fyson a publié un ouvrage dont la version française s’intitule Magistrats, police et société : la justice criminelle ordinaire au Québec et au Bas-Canada, 1764-1837. Montréal, Hurtubise, 2010.] L’examen que j’ai fait des registres de la police pour les années 1838 à 1842 indiquent que dans les 16 680 cas soumis aux magistrats, près des trois quarts des accusations portaient sur des infractions à l’ordre public. Dans l’autre quart – ou à peu près –, les accusations concernaient des crimes comme les voies de fait, le vol et la désertion. Sur les 3 457 femmes accusées d’infractions à l’ordre public, plus de la moitié (54%) furent arrêtées pour avoir « vagabondé, rôdé, été libres ou sans attache [free], inactives [idle] et pour inconduite et prostitution de rue », Poutanen, « “To Indulge Their Carnal Appetites” », p. 200-202.
  46. Farge, La Vie fragile, p. 161.
  47. BAC, RG4 B 14, registres de la police, no 31, 3 septembre 1940.
  48. Fingard, The Dark Side of Life,, p. 39-40.
  49. Joseph Bouchette, Description topographique de la province du Bas-Canada, avec des remarques sur le Haut-Canada et sur les relations des deux provinces avec les États-Unis de l’Amérique, [Londres, W. Faden, 1815] Montréal, Éditions Élysée, 1978, p. 164.
  50. BAnQ-M, El7, TL32 S1 SSI, déposition de Julien Martineau, 5 octobre 1833.
  51. Montreal Herald, 20 mai 1820.
  52. Ce n’est pas par hasard que, près du Collège de Montréal, un terrain avait été « réservé pour l’emplacement d’une nouvelle maison de correction » : Joseph Bouchette, Description topographique, p. 159; Jane Rendell, « Displaying Sexuality: Gendered Identities and the Early Nineteenth-Century Street », dans Images of the Street: Planning, Identity and Control in Public Space sous la direction de Nicholas R. Fyfe, New York, Routledge, 1998, p. 75-91, en particulier p. 79.
  53. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de John Deacon, 17 janvier 1842.
  54. Montreal Herald, 2 septembre 1826.
  55. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition d’Antoine Gospel, 30 novembre 1829.
  56. Anthony Vidler, « The Scenes of the Street: Transformations in Ideal and Reality, 1750-1871 », dans On Streets sous la direction de Standford Anderson, p. 29-111, Cambridge (MA), MIT Press, 1978, p. 73.
  57. J’ai analysé le nombre de prostituées de rue qui furent arrêtées seules, à deux ou en groupe entre 1810 et 1836, et 70% de ces femmes furent arrêtées avec d’autres personnes. Après 1836, les tribunaux adoptèrent des formulaires imprimés où il n’était possible d’inscrire qu’une seule femme par document, de sorte que je n’ai pu poursuivre l’analyse au-delà de 1836.
  58. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Peter N. Rossiter, 10 juillet 1838.
  59. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Charles Picard, 16 juin 1836.
  60. Maria Luddy, « An Outcast Community: The “Wrens of the Curragh” », Women's History Review, vol. 1, no 3, 1992, p. 341-355.
  61. Fingard, The Dark Side of Life, p. 113.
  62. BAC, RG4 8 14, registres de la police, no 59, 15 juin 1842.
  63. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de John Tassle, Cour des sessions générales et de la paix, documents, 27 novembre 1835.
  64. BAnQ-M, E17, TL32 S26 SS1, rapport du coroner, 2 février 1841.
  65. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition d’Antoine Dubord dit Latourelle, 19 novembre 1841.
  66. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Mary Burke, 3 septembre 1832.
  67. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Marguerite Bleau, 29 décembre 1836, et inculpation, 10 janvier 1837.
  68. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition d’Elizabeth Gallagher, 18 février 1839.
  69. BAC, RG4 B 14, registres de la police, no 55, 9 mai 1840 et 6 juin 1840.
  70. BAnQ-M, E17, TL32 S26 SS1, rapport du coroner, 1er décembre 1840.
  71. BAC, RG4 B 14, registres de la police, no 59, 26 mai 1841.
  72. BAC, RG4 B 14, registres de la police, no 55, 9 mars 1840.
  73. BAC, RG4 B 14, registres de la police, no 55, 2 mai 1840.
  74. Marilynn Wood Hill, Their Sisters’ Keepers: Prostitution in New York City, 1830-1870, Los Angeles, University of California Press, 1993, p. 296-297.
  75. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Catherine Ryan, 16 février 1827.
  76. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition d’Elizabeth Reid, 1er décembre 1828.
  77. Voir Mary Anne Poutanen, « Images du danger dans les archives judiciaires : comprendre la violence et le vagabondage dans un centre urbain du début du 19e siècle, Montréal, 1810-1842 », Revue d'histoire de l’Amérique française, vol. 55, hiver 2002, p. 381-405.
  78. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Benjamin Delisle, 31 octobre 1831.
  79. Barret-Ducrocq, L’amour sous Victoria, p. 235.
  80. Nicholas Rogers, « Policing the Poor in Eighteenth-Century London: The Vagrancy Laws and Their Administration », Histoire sociale/Social History, no 24, mai 1991, p. 127-147, en particulier p. 135.
  81. BAC, RG4 B 14, registres de la police, no 61, 22 octobre 1840.
  82. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Phillip Ryan, 22 janvier 1842.
  83. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Josephte McFarlane, 5 janvier 1831.
  84. BAC, RG4 B 14, registres de la police, no 34, 27 avril 1841.
  85. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de William Harris, 15 juin 1841.
  86. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS11, Cour des sessions générales de la paix, registre, 30 octobre 1815.
  87. Luise White, « Prostitutes, Reformers, and Historians », Criminal Justice History, no 6, 1985, p. 206-211.
  88. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Jean Dérouin, 26 octobre 1831.
  89. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Thomas Adams, 8 novembre 1840.
  90. John R. Gillis, A World of Their Own Making: Myth, Ritual, and the Quest for Family Values, Cambridge (MA), Harvard University Press, 1996, p. 37.
  91. Ibid., p. 36-39.
  92. Fingard, The Dark Side of Life, p. 71-85.
  93. Joachim Schlor, Nights in the Big City: Paris, Berlin, London, 1840·1930, Londres, Reaktion Books, 1998, p. 148-149.
  94. Victoria E. Bynum, Unruly Women: The Politics of Social and Sexual Control in the Old South, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1992, p. 93.
  95. Montreal Herald, 9 octobre 1821.
  96. Wood Hill, Their Sisters’ Keepers, p. 292.
  97. Bronislaw Geremek, Les Marginaux parisiens aux XIVe et XVe siècles, (traduit du polonais) Paris, Flammarion, 1976.
  98. Ibid., p. 334.
  99. Farge, La Vie fragile, p. 176-178.
  100. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Joseph Auger, 8 mai 1833.
  101. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition d’Adelphe Delisle, 21 juillet 1824.
  102. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Henry Lespérance, 9 novembre 1833.
  103. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Thomas Rawdon, 28 juin 1841.
  104. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de William Lemon, Henri Latreille et Marie-Anne Labonne, 24 avril 1815.
  105. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SSI, déposition de Charles Leclerc, 26 juillet 1825.
  106. Fingard, The Dark Side of Life, p. 98.
  107. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de James King, 2 juillet 1824.
  108. Montreal Gazette, 11 novembre 1816.
  109. Elinor K. Senior, British Regulars in Montreal: An imperial Garrison, 1832-1854, Montreal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1981, p. 148-149.
  110. De nombreux cabaretiers encourageaient les prostituées à se rassembler dans leur établissement pour y attirer des clients. Le constable en chef Fitzpatrick accusa Nolan Millette d’héberger des prostituées dans son débit de boissons, « pour accommoder les soldats », BAC, RG4 B 14, registres de la police, no 64, 11 avril 1842.
  111. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Thomas Earl et Mary Fraser, 11 mars 1841.
  112. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Moses Judah Hayes, 11 décembre 1841.
  113. Bettina Bradbury, Working Families: Age, Gender, and Daily Survival in Industrializing Montreal, Toronto, McClelland and Stewart, 1993, p. 178-180.
  114. BAC, RG4 B 14, registres de la police, no 33, 27 mai 1840.
  115. BAC, RG4 B 14, registres de la police, no 64, 8 décembre 1841.
  116. BAC, RG4 B 14, registres de la police, no 58, 19 septembre 1839.
  117. BAC, RG4 B 14, registres de la police, no 58, 29 septembre 1839.
  118. Allan Greer, « The Birth of the Police in Canada », dans Colonial Leviathan: State Formation in Mid-Nineteenth-Century Canada sous la direction de Allan Greer et Ian Radforth, p. 17-49, Toronto, University of Toronto Press, 1992, p. 25; Fyson, « Criminal justice, Civil Society and the Local State », p. 307-308; Poutanen, « Images du danger », p. 397.
  119. Fyson, « Criminal justice, Civil Society and the Local State » [voir aussi Fyson, Magistrats, police et société]; Bill Bramwell, « Public Space and Local Communities: The Example of Birmingham, 1840-1880 », dans Urbanising Britain: Essays on Class and Community in the Nineteenth Century sous la direction de Gerry Kearns et Charles W.J. Withers, p. 31-54, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 1992, p. 43.
  120. Montreal Gazette, 2 novembre 1826.
  121. Farge, La Vie fragile, p. 186.
  122. BAC, RG4 B 14, registres de la police, no 34, 13 juin 1841.
  123. Montreal Gazette, 27 février 1834.
  124. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de Jennet L’Huissier, 7 mai 1841.
  125. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de James Smith, 8 septembre 1829.
  126. BAnQ-M, E17, TL32 S1 SS1, déposition de William McKay, 8 juillet 1824.
  127. BAC, RG4 B 14, registres de la police, no 31, 7 août 1841.

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