1 Chimie médicinale des médicaments

1.1         Différentes voies vers la découverte de médicaments

La chimie médicinale exploite en synergie les applications de la biologie cellulaire et moléculaire avec les principes de la chimie pharmaceutique et organique afin de décrypter les processus naturels du corps humain. Les médicaments couramment utilisés aujourd’hui ont émergé grâce à la combinaison de différentes facettes de la recherche, incluant l’observation astucieuse de l’utilisation traditionnelle des produits naturels, le hasard ainsi que la conception chimique rationnelle ou ciblée fondée sur des hypothèses.

Par exemple, la découverte de l’acétaminophène (également connu sous les noms de Tylenol ou paracétamol), un médicament analgésique très répandu, est le résultat de ce qui a été publié comme un « heureux incident ». En 1884, le professeur Adolf Kussmaul de l’Université de Strasbourg employait deux assistants qui analysaient différents agents contre les vers intestinaux tout en observant leurs effets sur les patients. L’un de leurs composés, le « naphtalène », s’est révélé avoir des effets antipyrétiques inattendus. Alors, comme c’est souvent le cas lorsqu’on obtient des résultats inattendus, l’ensemble des données et des protocoles expérimentaux ont été minutieusement examinés. Il s’est avéré que, par erreur, le patient avait obtenu auprès de la pharmacie de l’acétanilide au lieu du naphtalène. L’acétanilide et d’autres composés dérivés, tels que la phénacétine, ont été étudiés plus en profondeur pendant plusieurs années. Chaque analogue présentait des avantages et des toxicités différents. Certains de ces effets toxiques indésirables étaient associés à des métabolites des composés, tandis que d’autres étaient dus à des contaminants présents lors des étapes de synthèse ou de purification. Finalement, la molécule, le paracétamol, fut identifiée. En 1955, ce médicament a été commercialisé sous le nom de Tylenol Elixir et a fait l’objet d’une importante promotion grâce à des campagnes de marque exclusives, en tant que médicament en vente libre conçu pour les enfants malades alités.

D’autres médicaments ont été découverts grâce à des approches de conception plus rationnelles, axées sur des cibles thérapeutiques. Parmi eux, le Gleevec (imatinib), souvent qualifié de « médicament miraculeux », est considéré comme le prototype des inhibiteurs de kinase. Dans les années 1950, deux chercheurs, Peter Nowell et David Hungerford, analysaient des cellules provenant de différents patients atteints de cancer du sang. Dans un sous-type précis de cancer du sang, la leucémie myéloïde chronique (LMC), les chercheurs ont découvert la présence d’un chromosome anormalement court chez ces patients, désigné sous le nom de « chromosome de Philadelphie ». Plus d’une décennie depuis cette découverte, la cytogénéticienne Janet Rowely a établi que le chromosome de Philadelphie résultait d’une translocation entre les chromosomes 9 et 22. Puis, au cours d’une autre décennie, les chercheurs ont mis en évidence que cette translocation provoque précisément la fusion de deux gènes, à savoir ABL et BCR, situés respectivement sur les chromosomes 9 et 22, pour aboutir à la formation d’un nouveau produit génique appelé BCR-ABL. En temps normal, ABL est une protéine kinase essentielle qui joue un rôle dans la stimulation de la croissance cellulaire, en particulier celles des globules blancs. La nouvelle protéine de fusion BCR-ABL perturbe les mécanismes de régulation conventionnels de la kinase ABL, entraînant une croissance cellulaire extrêmement proliférative. L’oncologue Brian Druker a axé ses recherches sur la création d’une molécule capable de se fixer au site actif (site de liaison à l’ATP) de la protéine BCR-ABL, permettant ainsi d’inhiber efficacement son activité. Son équipe a utilisé des modèles informatiques pour prédire les structures chimiques susceptibles de s’engager dans les interactions recherchées. Par la suite, ces composés ont été synthétisés et criblés in vitro sur des lignées de cellules cancéreuses de la LMC. Après environ deux ans, le composé le plus prometteur, initialement appelé ST1571 et aujourd’hui connu sous le nom de Gleevec, a été évalué lors d’un essai clinique de phase I. Les 31 patients inclus dans l’étude ont tous obtenu une rémission complète. La FDA américaine a approuvé le Gleevec en 2001, celui-ci ayant démontré un taux de réponse complète supérieur à 95 % sur une période de 60 mois. L’approbation du Gleevec est le fruit de la convergence de multiples apprentissages dans des disciplines distinctes, depuis la biologie du cancer jusqu’à la recherche clinique, en passant par la biophysique structurale et la chimie organique. Depuis la découverte du Gleevec, de nombreux médicaments ont été mis au point grâce au processus itératif de développement de la chimie pharmaceutique basée sur les principes de la biologie.

Quelle que soit l’approche adoptée pour la conception de médicaments novateurs, l’objectif fondamental demeure d’optimiser les avantages thérapeutiques tout en réduisant au minimum les interactions non ciblées, assurant ainsi son utilisation sécuritaire. Au Canada, plus de 13 000 médicaments sont offerts pour de multiples applications. Ce document vise à fournir un aperçu des médicaments les plus fréquemment prescrits, en mettant en lumière leur origine chimique et biologique, ainsi que certains thèmes communs de la chimie médicinale entre différents médicaments.

 

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Chimie pharmaceutique des thérapies moléculaires Copyright © by Elvin D. de Araujo, Bilal Saqib, Jeffrey W. Keillor et Patrick T. Gunning. All Rights Reserved.

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